L'alcool est responsable chaque année de la mort de 45 000 Français*. Seize mille de ces décès sont dus à des cancers, 8 200 à des affections digestives, 7 600 à des maladies cardio-vasculaires et 7 700 à des accidents et traumatismes.
Un accident mortel de la circulation sur trois s'explique par une alcoolémie illégale. Au total, l'alcool contribue à 14 % des décès chez les hommes et 3 % chez les femmes. La mortalité prématurée (hors accidents et traumatismes) est, bien entendu, elle aussi une des conséquences de l'alcoolisme : de 12 à 18 % des décès dans la population masculine de 35 à 64 ans et de 7 à 10 % parmi les Françaises sont liés à l'alcool. La Bourgogne, le Centre, le Limousin et l'Auvergne apparaissent comme les régions les plus touchées par des excès de mortalité liés à l'alcool. La Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et le Val-d'Oise sont les départements qui détiennent la palme de la mortalité alcool-tabac par cancers des voies aéro-digestives supérieures.
Alors que la consommation quotidienne de boissons alcoolisées est majoritaire chez les hommes de 45 ans et plus, contre 33 % chez les femmes de 65-75 ans, la même pratique chez les moins de 25 ans se caractérise par des ivresses fréquentes en fin de semaine. Dans le monde adulte, les employés et les artisans sont les plus portés sur la bouteille et, autour de 17 ans, le phénomène touche les adolescents des filières professionnelles ou non scolarisés qui s'adonnent également au cannabis et au tabac.
Pourtant, la dangerosité de l'alcool n'est plus à démontrer. Mais ses représentations positives restent prépondérantes. Boire fait partie intégrante de la « culture alimentaire festive ». En ce qui concerne les effets bénéfiques sur le plan cardio-vasculaire, l'INSERM apporte un bémol, rappelant qu'il existe un effet protecteur pour de faibles doses d'alcool consommé quotidiennement, « mais avec une augmentation rapide du risque d'hypertension artérielle, d'accident vasculaire cérébral et de cirrhose ».
En fait, constate Bernard Kouchner, la réglementation sur les boissons alcoolisées manque de vigueur. La loi Evin du 10 janvier 1991 a été pour ainsi dire anémiée par des amendements successifs. Seule reste, sur le papier, l'interdiction de vente d'alcool aux mineurs de moins de 16 ans, qui n'est pas appliquée, et le code de la santé publique « se contente de rendre obligatoire l'apposition sur chaque publicité d'un message sanitaire précisant que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé" ». Pour ce qui est du système de soins en alcoologie, les Prs Reynaud et Parquet, dans un rapport remis aux pouvoirs publics en 1998 et cité par le ministre, relèvent un manque de cohérence dû à une politique insuffisamment définie, au refus ou à l'impossibilité de repérer et donc de traiter les consommations nocives et au peu d'intérêt porté au traitement des alcooliques.
Intensifier la communication
Quoi qu'il en soit, les Français boivent moins, beaucoup moins, depuis la guerre. Les campagnes de prévention sont passées par là. En outre, « l'adoption, pour la première fois, d'une politique globale vis-à-vis des consommations de produits psychoactifs, principe de base du plan gouvernemental adopté en juin 1999 », se réjouit le ministre, va dans le bon sens. Il appartient à la société de « s'interroger et d'agir pour décrypter les phénomènes qui associent conditions de travail contraignantes, précaires ou pénibles, fragilité sociale, mauvaises conditions de vie et consommations nocives d'alcool ou d'autres drogues ».
Déjà, dans le « Programme de santé publique » présenté le 27 septembre à la presse, Bernard Kouchner prône une intensification et une diversification de la communication pour mieux faire connaître les normes de la consommation de base. Les recommandations de l'OMS servent de référence : pour les buveurs réguliers de sexe féminin « pas plus de 2-3 verres par jour, à raison de 10 g par verre, et moins de 14 hebdomadaires » et pour les hommes « pas plus de 3-4 » (moins de 21 par semaine) ; dans le cas de consommations occasionnelles, « pas plus de 4 verres en une seule occasion ». L'abstinence est recommandée aux femmes enceintes, aux enfants, aux automobilistes ou conducteurs de machines dangereuses, aux personnes exerçant des responsabilités qui réclament de la vigilance, aux sujets sous traitement médicamenteux, aux anciens alcoolo-dépendants et aux malades atteints d'affections aiguës ou chroniques (épilepsie, pancréatite, hépatite virale, etc.). Evidemment, admet le ministre, il n'est pas facile de développer « un contexte favorable à une consommation faible » en France, « compte tenu de la minimisation des risques soutenue par un puissant lobbying des alcooliers et relayée par de nombreux leaders d'opinion au nom de l'hédonisme et de la liberté individuelle ».
Cependant, une action de communication institutionnelle permanente en direction des élus et des leaders d'opinion est présentée comme la clé du changement. En même temps, pour réduire les accidents de la circulation, il faut, d'une part, poursuivre chez les jeunes la stratégie du « conducteur désigné », et, d'autre part, « engager, à moyen terme, une réflexion sur la révision à la baisse du taux d'alcoolémie maximal fixée par la loi », tout en multipliant, dès maintenant, les dépistages. « La dissuasion de la conduite sous l'influence de l'alcool est proportionnelle au taux de dépistage dans la population des usagers de la route. Un dépistage tous les ans ou tous les deux ans, en moyenne, semble la meilleure garantie du bon respect de la législation. »
Rétablir la loi Evin
Quant à la loi Evin, « affaiblie par des mesures réglementaires multipliant les exceptions, elle devrait être pleinement rétablie », notamment pour l'interdiction de la publicité par voie d'affichage, tandis qu'une interdiction du mécénat de manifestations sportives, culturelles, ou scientifiques par les entreprises du secteur des boissons alcooliques est à prévoir. Sans oublier, note le ministre, que la prohibition de vente aux mineurs, introduite dans le corpus juridique il y a dix ans, doit être fermement appliquée.
Enfin, au niveau de la médecine, Bernard Kouchner met l'accent sur « le repérage de l'usage nocif d'alcool » par les généralistes, chez les personnes non dépendantes (« le Quotidien » du 18 septembre). Une telle démarche « doit permettre une action précoce évitant l'aggravation et la pérennisation des comportements à risque et le passage à l'addiction ». En 1998-1999, le Baromètre santé des omnipraticiens, réalisé par le Comité français d'éducation pour la santé, indiquait que seulement 23 % des médecins de famille se jugeaient efficaces pour lutter contre l'alcoolisme.
* Ce chiffre, outre les morts directement liées à l'alcool, comprend des décès de diverses maladies et des accidents qui sont favorisés ou aggravés par la consommation de boissons alcoolisées.
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