DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
ARUGAM BAY - Columbo. A l'ERU d'Arugam Bay (structure d'urgence montée par la Croix-Rouge française), sur la centaine de consultations enregistrées quotidiennement, un tiers des patients présentent des tableaux caractéristiques de stress posttraumatique, avec des troubles du sommeil, de l'humeur et de l'appétit, des douleurs diffuses et autres perturbations du transit digestif. Parmi eux, « ce sont les femmes, dans la tranche d'âge des 30-45 ans, et les enfants qui sont les plus nombreux, précise le Dr Frédéric Birgel. A part une tentative de suicide par pendaison (« le Quotidien » du 13 janvier) et deux cas de délires psychotiques qui ont entraîné des hospitalisations à Pottuvill, le lot commun s'observe ces derniers jours sur un mode apparemment plus bénin. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne nécessite pas une prise en charge attentive et massive. »
Faire parler les enfants.
Parmi les survivants, les enfants semblent donc très exposés psychologiquement. Il y a, par exemple, cette fillette de cinq ans repêchée in extremis dans le tourbillon des eaux, qui refuse de s'alimenter depuis le raz de marée et qu'il a fallu conduire de force à l'ERU, car elle avait peur de s'aventurer dans un local aménagé aussi près de la plage ; ou cette autre fillette de douze ans qui n'arrive pas à dormir et qui est en proie à des crises de larmes incoercibles.
A Colombo, le Dr Shanthi Wijesinghe, vice-président du Collège sri-lankais de médecins psychiatres (Cslp), a recensé les différents types de réactions qui sont observés chez les enfants : pleurs, dépression, inaptitude à la concentration, passages fréquents aux toilettes, refus de retourner à l'école, cauchemars, maux de têtes, rythmes du sommeil et de l'alimentation bouleversés, peur du noir, peur de rester seul. « Il faut encourager les enfants à parler de la catastrophe sans leur poser de questions, mais en se contentant de les écouter ; les expressions édulcorées sont à bannir, comme le fait de dire que quelqu'un "est parti dormir". Mieux vaut employer franchement le mot de mort . Dès l'âge de quatre ou cinq ans, l'enfant est en mesure de comprendre les événements, c'est une erreur de sous-estimer ses facultés d'assimilation. Quand un enfant est en état de choc parce qu'il a vu un de ses parents emportés par les flots sous ses yeux, il faut le rassurer en lui expliquant qu'il n'est en rien blâmable. »
Enfin, souligne le psychiatre, « les adultes ne sauraient se contenter d'être simplement attentifs aux comportements des enfants, il faut qu'ils s'efforcent de leur prodiguer toute la sympathie et l'empathie qui est leur principal besoin, surtout lorsque les membres proches de la famille ne sont plus là ».
Le Collège sri-lankais de psychiatrie a édicté un guide de recommandations à l'attention des adultes rescapés. Nombre d'entre eux sont en état de choc. Et ils doivent faire le deuil de leurs proches. C'est pourquoi il faut veiller au respect des rites funéraires lors de l'ensevelissement des corps. Et quand ceux-ci ne sont pas retrouvés, des cérémonies religieuses sont une aide précieuse. Même le simple fait d'allumer une bougie en mémoire d'un disparu aide à faire le deuil.
Apprendre à revivre.
Beaucoup de sinistrés vont devoir reconstruire leurs maisons. Mais, avant tout, ils doivent se reconstruire eux-mêmes et apprendre à revivre. L'apprentissage de cette vie nouvelle passe par quelques règles. Raconter son « histoire » est l'une des principales, que ce soit en présence d'un spécialiste exercé à ces prises en charge ou d'un simple auditeur. La personne qui les écoute doit s'abstenir dans ce dernier cas de donner son avis et, a fortiori, de s'aventurer dans une thérapie.
Les personnes déplacées sont menacées de perdre toute réaction et de devenir dépendantes. On doit donc les aider à se prendre elles-mêmes en charge, par exemple en assumant leurs parts dans les procédures de distribution d'aide, alimentaire ou autre.
Enfin, le souci de préserver la dignité de ces personnes est primordial. Il faut absolument éviter de les regarder comme des spécimens. La plupart d'entre elles ayant perdu dans la catastrophe leur outil de travail, pour recouvrer leur dignité et se reconstruire, il leur faut retrouver le plus rapidement possible un emploi, même différent de celui qu'elles occupaient pour leur permettre d'accéder à l'indépendance.
Le Slcp envisage aussi la médicalisation, psychothérapique ou médicamenteuse. Des listes de numéros de téléphone sont publiés pour contacter les hôpitaux dans tous les districts de l'île.
La présidente Chandrika Kumaratunga ne cache pas cependant que le pays a un besoin urgent de professionnels qualifiés dans la prise en charge des traumatismes des survivants. A défaut de professionnels de santé en nombre suffisant, elle a suggéré de « faire appel aux personnels enseignants, aux membres des clergés, comme aux intervenants internationaux de ONG. En lien avec l'Unicef et l'OMS, les experts médicaux étrangers actuellement présents sont invités à lancer des programmes de formation du personnel local, de manière à ce que puisse être surmonté l'obstacle de la langue ».
C'est exactement l'idée que nous avait confiée il y a deux jours le Dr Birgel. Ces formations pourraient commencer à être dispensées dans le courant de cette semaine, à l'issue du travail préalable d'évaluation qui a été confié au Dr Irène Compagnon, une généraliste grenobloise envoyée au Sri Lanka par AMI (Aide médicale internationale).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature