La santé en librairie
Denyse, la mère d'Aude Zeller, psychanalyste et membre d'une grande fratrie d'origine protestante, va cheminer « 2 200 jours » dans la démence sénile pour finir par mourir dans la paix entourée de tous les siens.
« Tu diras que j'étais intelligente », demande-t-elle à sa fille un an avant sa mort. Promesse largement tenue par Aude Zeller qui s'est attelée à montrer comment la régression de fin de vie, aggravée par la démence, pouvait être, pourvu qu'on l'accompagne très habilement et presque professionnellement, une transformation positive. D'abord effrayée par sa double identité de fille et de thérapeute, elle raconte comment elle a néanmoins réussi à répondre aux besoins affectifs, participer à la restauration de l'image du corps de sa mère devenue dépendante, accepter le retour massif du refoulé.
Loin d'elle l'idée de se vanter d'une quelconque prouesse filiale ; loin s'en faut. Parcours personnel complétant son expérience de psychothérapeute autant que sa relation avec sa mère, son cheminement avec et pour elle montre avec émotion comment la régression d'une vieille dame, son retour vers l'enfance et ses traumatismes peuvent être difficiles pour l'entourage mais utiles pour celle dont les capacités mentales, physiques et psychiques sont en déclin.
Poussée par un élan spirituel constant dont elle se fait largement l'écho dans son récit, Aude Zeller déploie des trésors d'inventivité pour autoriser sa mère à « lâcher prise » et à trouver sa vérité avant de partir ; sans pour autant, dans cette « perspective spirituelle, nier la réalité psychique et physique, ni la déplacer sur un ailleurs vague, compensatoire et aveuglant, ni dénier la souffrance, ni l'exalter dans une glorification mortifère ou dans un élan sado-masochiste effarant. »« Dans l'adversité de certaines fins de vie, il revient aux plus vaillants de l'entourage d'aider tous ces êtres désorientés à traverser le plus calmement possible ces étapes d'évolution (...). Quand on n'est plus rien aux yeux du monde, et qu'on ne peut plus grand chose pour soi-même, l'attention d'autrui vous recrée à chaque instant », dit l'auteur.
Car l'expérience d'Aude Zeller, comme celle de Mariana Loupan, le montre, parvenir à se sentir vivant malgré ses immenses difficultés nécessite créativité, ingéniosité et confiance dans une évolution possible.
Une rencontre providentielle
Voir que votre enfant ardemment désiré et choyé ne suit pas les phases évolutives habituelles pour son âge n'est déjà pas chose simple pour ses parents. Vient ensuite l'obligation de l'admettre puis de décider de demander de l'aide. Puis de la chercher sans toujours la trouver. C'est un rude parcours du combattant que vont vivre Anton et ses parents pour tenter, sans succès,
d'obtenir un diagnostic et une proposition cohérente de prise en charge. Faire face au regard, voire à l'hostilité d'autrui, sur cet enfant tant chéri, assumer la responsabilité de refuser les thérapeutiques proposées parce qu'elles semblent absurdes ou sont inefficaces, imposer à cet enfant un marathon médical sont quelques-unes des difficultés auxquelles se heurteront les parents du petit Anton. Seul l'acharnement maternel (et paternel) à trouver une solution, une porte qui veuille bien s'ouvrir, à faire reconnaître les qualités de son enfant plutôt qu'à déplorer ses manques et ses impossibilités lui évitera l'abandon éducatif.
Mariana et Jonathan Loupan, après un périple médical ou le pire côtoiera le meilleur, trouveront leur salut dans le projet thérapeutique d'un professeur de psychologie israélien, Reuven Feuerstein. C'est l'équipe de ce thérapeute d'origine roumaine, formé auprès de Jean Piaget et d'André Rey, chargé après la guerre de la prise en charge des « enfants des cendres », orphelins traumatisés venus de toute l'Europe, qui va permettre à Anton et à sa famille d'émerger la tête hors de l'eau dans laquelle notre système sanitaire et éducatif semblait les noyer. Anton, 7 ans, sa sur et ses parents s'installeront à Jérusalem pendant dix-huit mois près de l'unité de psychologie expérimentale du Pr Feuerstein. En près de deux ans de travail assidu avec les multiples thérapeutes (orthophoniste, psychomotricien, kinésithérapeute, etc.), le petit garçon fera des progrès considérables au point de pouvoir réintégrer une école primaire à son retour en France.
Une vision constructive
« Soit vous l'enfermez, soit vous lui laissez la chance de vivre parmi les autres », avait dit aux parents lors de leur première entrevue le Pr Feuerstein dont l'objectif est « d'apprendre à apprendre » à l'enfant en difficulté, qu'il préfère comparer à lui-même qu'à une norme pour percevoir ses modalités d'apprentissage et de réflexion.
Les Loupan comme Aude Zeller font partager leur conviction que voir les qualités au lieu de souligner les défauts, admettre l'éventualité de changements significatifs chez un enfant « déficient » ou une très vieille dame démente sont possibles. Aude Zeller et Mariana Loupan ont en commun le refus d'abdiquer, le courage d'emprunter des chemins non balisés comme si le rejet dont leurs proches pouvaient faire l'objet décuplait leur résistance intérieure.
Si le cheminement d'Aude Zeller est explicitement spirituel et que savoir psychanalytique et spiritualité chrétienne s'imbriquent étroitement dans son parcours, celui de Mariana Loupan ne fait référence à aucune transcendance ; elle cite pourtant en exergue de son émouvant témoignage cette phrase de l'écrivain suédois Göran Tunström, fils de pasteur : « J'ai conclu un accord avec Dieu selon les termes duquel je ne crois pas en lui et Il dit que ce n'est pas grave. »
« A l'épreuve de la vieillesse », d'Aude Zeller, Desclée de Brouwer, 188 pages, 19,50 euros.
« Le Voyage d' Anton », de Mariana Loupan, Presses de la Renaissance, 225 pages, 17 euros.
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