ZENON
Oui, l'horrible petit cri du billet de 500 F passé à la trouillotteuse, devant son propriétaire, est pire que le petit bruit de l'œuf dur cassé sur le comptoir, enregistré par Jacques Prévert... Et le couinement du cochon que l'on égorge pour la tuée de printemps n'a rien à voir non plus.
Vous avez sans doute connu, ces jours derniers, cette situation sans issue : ou nous partons faire les soldes avec nos reliquats de liasses d'argent gris - vingts billets de 500 F reliés par un bracelet orange, oui quarante billets de 200 F ficelés de vert - ou nous hésitons. Aller acheter la petite robe noire dénichée et retenue une semaine plus tôt, ou sauter sur l'occasion de ce pantalon knickerbockers déjà furieusement tendance, en exhibant ce vieil argent, c'est - quelque part - vulgaire.
Alors il faut se rendre à résipiscence, autrement dit son agence bancaire où, au détour d'une opération uniquement destinée à faire savoir au caissier que nous sommes clients de la boîte, demander ingénument, avant de repartir : « Au fait, vous me reprendriez quelques vieux billets en francs ? » L'autre, en face, avec son sourire las, a tout compris, mais puisque vous êtes client... Il ramasse votre liasse, neuve, immaculée (elle n'a jamais circulé), se retourne d'un bref mouvement du buste qui vous dissimule l'espèce de guillotine posée derrière lui. Il enfourne un bout de votre liasse comme des cartes dans le sabot, au casino, et d'un geste sec et désespéré, abat le levier avant de brandir, non une tête sanglante de révolutionnaire, mais vos billets définitivement troués, dont j'affirme qu'ils ont poussé, sinon un petit cri, au moins un gémissement fiduciaire. Et dire que « fiduciaire » vient du mot « confiance » !..
Le bourreau, ou la bourrelle, dépose les cadavres encore palpitants dans une enveloppe, où il note des signes cabalistiques destinés à la morgue de la Banque de France. En échange, il vous tend une carte en plastique : « Vous pouvez retirer en échange vos euros dans la machine, là. Je ferai l'appoint en pièces. » On se sent honteux. Comme si l'on avait trahi ces braves billets, en les sortant du tiroir le matin même sans leur dire où ils finiraient ? On ramasse sans les regarder, ni les compter, les euros trop neufs, trop brillants, que l'on entasse dans un portefeuille soudain devenu trop grand (ces euros, c'est des lires, des drachmes, ou quoi ?) et l'on ressort rêveur de la banque. Le cœur n'est plus aux soldes. On ne « claque » pas cent euros avec ce beau désespoir qui nous faisait tendre une liasse de 500 F. La fête est finie. Nous sommes européens !
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