On sait que la néphropathie induite par les produits de contraste est une cause d'insuffisance rénale aiguë (IRA) dont la gravité va de la simple augmentation transitoire de la créatinine à la mise en dialyse.
On sait aussi que, dans 90 % des cas, cette néphropathie survient chez des patients ayant une insuffisance rénale (IR) préexistante. Or avec l'accroissement de l'espérance de vie des insuffisants rénaux chroniques et avec la grande prévalence des maladies coronariennes chez ces patients, de plus en plus de sujets en insuffisance rénale chronique (IRC) sont candidats à une intervention coronarienne percutanée, avec administration de produit de contraste. On est donc en présence d'une population à risque élevé de néphropathie aux produits de contraste.
Cette néphropathie doit être prévenue. Mais les moyens classiques (hydratation, acétylcystéine, mannitol, furosémide, antagonistes calciques, dopamine, fenoldopam ou autres médicaments rénoprotecteurs) ne sont vraiment efficaces qu'en cas d'IR modérée ou lorsque le volume du produit de contraste est faible. De plus, l'hémodialyse prophylactique (démarrée immédiatement après l'administration de l'agent de contraste) est sans bénéfice.
On a donc pensé à l'hémofiltration, autre technique substitutive dans l'IRC, caractérisée par une bonne stabilité hémodynamique ; deux études ont déjà suggéré l'intérêt de cette procédure dans cette indication. Une nouvelle étude, conduite par une équipe italienne, est publiée aujourd'hui dans le « New England Journal of Medicine ».
Hémofiltration en unité de soins intensifs
Ce travail a porté sur 114 patients ayant une IRC sévère (clairance de la créatinine inférieure à 50 ml/min), qui devaient avoir une coronarographie ou une intervention coronarienne percutanée ; de façon randomisée, 58 ont été affectés à l'hémofiltration en unité de soins intensifs, et 56, dans le groupe réhydratation par perfusion salée isotonique.
L'hémofiltration (voir encadré) était commencée de quatre à six heures avant la procédure coronarienne ; elle était temporairement interrompue pendant cette procédure (la voie d'abord vasculaire étant conservée) ; puis elle était reprise pendant dix-huit à vingt-quatre heures.
Dans le groupe contrôle, les patients recevaient une perfusion intraveineuse continue de sérum salé isotonique à raison de 1 ml/kg de poids et par heure (ou 0,5 ml/kg/heure si la fraction d'éjection était inférieure à 40 %), cela pendant six à huit heures avant la procédure et vingt-quatre heures après.
Les caractéristiques des patients des deux groupes étaient comparables ; leur clairance de la créatinine était en moyenne de 26 ± 9 ml/min dans le groupe hémofiltration (HF) et de 26 ± 8 ml/min dans le groupe contrôle.
Moins d'augmentation de la créatinine
Résultats :
- une augmentation de la créatininémie de plus de 25 % par rapport à la valeur initiale est survenue moins souvent dans le groupe HF que dans le groupe contrôle (5 %, contre 50 %) ;
- un traitement substitutif (épuration extrarénale par hémodialyse ou par nouvelle hémofiltration) a été nécessaire chez 25 % des patients du groupe contrôle, contre 3 % de ceux du groupe HF ;
- la mortalité hospitalière a été plus faible dans le groupe HF (2 %, contre 14 %) ;
- la mortalité cumulative à un an a été de 10 % dans le groupe HF, contre 30 % dans l'autres groupe.
« L'hémofiltration prophylactique dans une unité de soins intensifs apparaît efficace et sûre pour la prévention d'une dysfonction rénale aiguë liée aux produits de contraste chez les patients qui ont une insuffisance rénale chronique et qui ont une procédure coronarienne percutanée », concluent les auteurs.
Comme l'ont montré des travaux antérieurs, l'hémodialyse prophylactique, réalisée immédiatement après la procédure coronarienne, ne s'est pas montrée supérieure à la perfusion isotonique. Comment expliquer cette différence avec l'HF ? Peut-être par le fait que l'hémodialyse peut induire une hypovolémie, alors que l'HF est remarquable par sa stabilité hémodynamique.
Enfin, les auteurs admettent que l'HF, coûteuse, ne s'applique pas aux patients exposés à des agents de contraste pour des procédures plus simples que celle de la présente étude.
Giancarlo Marenzi et coll. (Milan). « New England Journal of Medicine » du 2 octobre 2003, pp. 1333-1339.
La technique
L'hémofiltration est une méthode d'épuration extrarénale plus récente que l'hémodialyse. Toutes deux font appel à une circulation extracorporelle.
Très schématiquement, l'hémodialyse se déroule de la façon suivante : grâce à un système de pompe, le sang du patient circule au travers d'un dialyseur puis retourne au patient. Dans le dialyseur, le sang est séparé du dialysat par une membrane semi-perméable. Le dialysat est fabriqué tout au long de la dialyse par un générateur. Les échanges entre sang et dialysat représentent l'épuration. La perte de poids souhaitée est la résultante d'une différence de pression entre sang et dialysat.
Pour l'hémofiltration, le sang circule dans un hémofiltre capillaire* qui ressemble à un dialyseur capillaire à ceci près que la performance de la membrane de l'hémofiltre est supérieure. Dans l'hémofiltration, il n'y a pas d'échange permanent au niveau de l'hémofiltre. Le principe de l'hémofiltration est en effet le suivant : une dépression créée dans l'hémofiltre grâce à une pompe d'extraction entraîne la formation d'un ultrafiltrat qui est éliminé ; en permanence, en aval de l'hémofiltre, une pompe de réinfusion remplace dose pour dose (moins la perte de poids souhaitée), dans le circuit sanguin, l'ultrafiltrat par du liquide de réinjection isotonique (préparé sous forme de poches).
Dans l'étude italienne, l'abord vasculaire était un cathéter en Y à double lumière placé dans une veine fémorale ; l'hémofiltre était un Renaflow HF700. Le débit sanguin était de 100 ml/mIn et, en l'absence de perte de poids souhaitée, l'extraction et la réinfusion avaient un débit de 1 000 ml/heure.
* Capillaire : le sang circule dans des milliers de fibres creuses fines comme des cheveux. Dans l'hémodialyse, les fibres sont baignées par le dialysat ; dans l'hémofiltration, elles baignent dans l'ultrafiltrat.
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