L ES maladies infectieuses constituent une importante cause de sélection naturelle chez les humains. Toutefois, une forte sélection liée à des allèles de résistance n'a été démontrée que dans le paludisme (hétérozygotes pour l'allèle S de l'hémoglobine, les homozygotes SS présentant une drépanocytose).
Il est vraisemblable que la mutation delta 32 du CCR5 a conféré un avantage de 30 % dans les populations européennes lors de la grande épidémie de peste de 1346 à 1352. La peste, qui a tué entre 25 et 35 % des Européens, aurait en effet sélectionné les sujets porteurs de la mutation delta 32 de CCR5. Au point que l'on estime que c'est la peste bubonique qui a sélectionné la mutation delta 32.
Or cette mutation de CCR5 est connue pour conférer une résistance au VIH à l'état homozygote et pour retarder le passage au SIDA à l'état hétérozygote. D'où l'hypothèse émise par trois Californiens : la haute prévalence du VIH dans quelques pays africains crée les conditions d'une forte sélection naturelle sur les variants génétiques qui modulent les délais entre l'infection à VIH et le passage au SIDA. « Une rapide évolution de la résistance au SIDA est attendue dans ces populations si les conditions épidémiques actuelles persistent. »
En 1999, rappellent-ils, la prévalence de l'infection à VIH était de 20 % en Afrique du Sud, 36 % au Botswana, 25 % au Zimbabwe et 20 % en Zambie. « Si l'incidence de l'infection à VIH et la mortalité liée au SIDA ne changent pas, pour un garçon âgé de 15 ans en 1999, le risque de mourir du SIDA est de 65 % en Afrique du Sud et de 90 % au Botswana. »
Les variants de CCR5 (un récepteur cellulaire de surface pour les chimiokines) modifient la susceptibilité au VIH et le délai de passage au SIDA.
Le polymorphisme de CCR5
« Les polymorphismes de CCR5 vont être soumis à une sélection naturelle considérable car ils augmentent la survie au moment du pic de fertilité. » Les haplotypes de résistance au VIH les plus communs en Afrique retardent le passage au SIDA de deux à quatre ans ; à l'inverse, des haplotypes de susceptibilité l'accélèrent dans des proportions similaires. Les auteurs ont calculé que la période de fertilité est accrue de 15 % si le génotype retarde de deux ans le passage au SIDA et de 30 % si le génotype retarde le passage au SIDA de quatre ans. A l'inverse, elle est diminuée dans les mêmes proportions en cas de susceptibilité génétique au VIH.
Actuellement, en Afrique du Sud, la fréquence d'un haplotype de résistance est de 0,40, celle d'une haplotype de susceptibilité est de 0,20 et le délai moyen de passage au SIDA est de 7,8 ans. Au fil des décennies, sous l'effet de la sélection, ces chiffres vont se modifier : augmentation de la fréquence de l'haplotype de résistance, baisse de l'haplotype de susceptibilité et augmentation du délai de passage au SIDA. Si bien que, dans cent ans, la fréquence de l'haplotype de résistance sera passée de 0,40 à 0,53, celle de l'haplotype de susceptibilité de 0,20 à 0,10 et le délai de passage au SIDA de 7,8 ans actuellement à 8,8 ans.
La grande peste en Europe
« Cet avantage sélectif calculé ici est comparable à celui de la résistance au paludisme chez les porteurs hétérozygotes de l'allèle S de l'hémoglobine », indiquent les auteurs. « L'intensité estimée de la sélection liée au VIH est aussi comparable à l'avantage de 30 % conféré par la mutation delta 32 de CCR5 dans les populations européennes depuis sept cents ans. »
La peste, nous l'avons dit, a tué de 25 à 35 % de la population européenne entre 1346 et 1352. « En Afrique, la mortalité liée au VIH atteindra au moins ce niveau et sera même probablement plus élevée. »
Paul Schliekelman, Chad Garner, Montgomery Slatkin, université de Californie, Berkeley (email : pdschlie@socrates.berkeley.edu). « Nature » du 31 mai 2001, p. 545.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature