Il y a ceux qui sont contre la formule « deux en un », militaire plus humanitaire, et ceux qui sont pour. Parmi les représentants des organisations non gouvernementales (ONG), les contre l'emportent sur les pour, et la polémique enfle.
A tel point que, à Matignon, le Premier ministre, Lionel Jospin, a reçu à déjeuner les principaux représentants des organisations humanitaires pour évoquer la situation en Afghanistan, après le déclenchement de la riposte américaine contre le régime des taliban. L'objectif du Premier ministre est de « nouer un dialogue utile » avec les organisations, la plupart d'entre elles entendant rappeler la spécificité de l'action humanitaire, « action pacifique », vouée à « la protection et à l'assistance des populations civiles » sans distinction.
« Humanitaire ne rime pas avec militaire », ajoute Claude Moncorgé, président de Médecins du Monde (MDM), dans une tribune publiée par « Libération ». Le gouvernement a d'ailleurs décidé de débloquer une aide supplémentaire de 10 millions de francs aux ONG françaises, qui s'ajoute aux 100 millions de francs octroyés le 5 octobre dernier aux ONG et aux agences internationales humanitaires qui travaillent en Afghanistan.
« Symboliquement utile »
Tout en défendant les parachutages américains de vivres en Afghanistan, Matignon a reconnu que l'action humanitaire provoquait un débat « dans la mesure où ces tonnes de vivres ou de produits qui tombent en même temps que les bombes, dans des conditions aléatoires, provoquent chez un certain nombre d'ONG des interrogations ».
Néanmoins, Lionel Jospin s'est voulu explicite : « Il y a dans ces actes, quoi qu'on puisse en penser, quelque chose de symboliquement utile, et c'est seulement si la situation militaire sur le terrain, si une situation politique nouvelle en Afghanistan sont créées que nous pourrons reprendre les formes plus efficaces, plus humaines de l'aide humanitaire. »
Bernard Kouchner, ministre délégué à la Santé, a, pour sa part, jugé « dérisoire » la polémique concernant le largage simultané de bombes et de vivres en Afghanistan. Dans une interview, diffusée par RMC, Bernard Kouchner a indiqué : « La querelle entre "je reçois des militaires ou je dois recevoir des humanitaires" est une querelle française assez dérisoire. En ce moment, en Afghanistan, il n'y a pas d'humanitaires. Alors quoi ? On attend qu'ils reviennent pour les nourrir ? Je sais bien que ces parachutages sont insuffisants, mais c'est quelque chose. Je ne vois pas une victime refuser une dose de nourriture, si son fils ou sa fille a faim sous prétexte que la nourriture viendrait des militaires qui par ailleurs bombardent. »« Le grand ennemi de la population afghane s'appelle les taliban » a-t-il ajouté, pointant du doigt « certains conservateurs de l'humanitaire ».
Force de frappe humanitaire
Le Premier ministre a donc voulu nouer le dialogue. Mais ce dialogue a-t-il été utile ? Si l'utile consiste à rapprocher les protagonistes, le déjeuner de Matignon se sera révélé inutile, à en croire le président de la Croix-Rouge française, le Pr Marc Gentilini. Cette rencontre n'aura « pas servi à rapprocher, mais à affirmer la force de frappe humanitaire, dont la France disposerait, si ses propres enfants savaient s'entendre », commente-t-il, en ajoutant : « Nous avons insisté pour qu'il y ait une initiative ou une conférence française pour une action humanitaire. » En revanche, si l'utile consiste, au sein d'un débat d'idées, à dégager l'essentiel, « oui », la rencontre de Matignon aura été utile, laisse supposer Claude Moncorgé. Comme d'autres responsables d'associations humanitaires, le président de MDM a alimenté la polémique sur le thème « bombes et vivres » ou « d'un côté les bombes, de l'autre les vivres ». Il ne le regrette pas. Il faut, dit-il, poser certains principes. Néanmoins, dépassons ce débat, propose-t-il en substance, pour aller à l'essentiel : « Nous devons reprendre nos activités dans ce pays en urgence. Quelles que soient les objectifs militaires ou politiques qui ne sont pas de notre ressort, nous avons plaidé à Matignon pour que ceux qui pèsent sur le conflit fassent en sorte que nous, populations humanitaires, reprenions contact avec les populations civiles pour les soigner, les abriter. C'est là qu'il y aura ou pas un désastre. »
Médecins sans Frontières (MSF) et MDM n'en demeurent pas moins mobilisées. MSF est présente dans la zone contrôlée par l'Alliance du Nord, sur trois sites, et des équipes de MSF travaillent toujours dans les pays limitrophes, notamment en Iran et au Pakistan. Quant à MDM, elle compte encore trois cents personnes, notamment à Hérat. Toutefois, ses stocks « s'épuisent ».
Les largages de vivres par avion ne sont pas si inefficaces que cela, persiste à dire le Pr Gentilini. « Nous avons évoqué, dit-il, l'approvisionnement des populations par corridors terrestres. Mais encore faut-il que l'armée ouvre la voie aux humanitaires, qu'elle les protège des saisies de matériels, des prises d'otages. »
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