« Actuellement, le problème numéro un en Afghanistan, c'est le maintien de la paix. Et ce maintien passe par une solution politique. Les humanitaires ne pourront bien faire leur métier qu'à condition qu'une stabilité politique garantisse leur liberté d'action. Le reste, c'est beaucoup de travail, mais ce n'est que de la logistique. »
Celui qui parle ainsi est responsable des opérations internationales à la Croix-Rouge. Antoine Peigney a suivi d'heure en heure l'évolution de la situation en Afghanistan, la débâcle du côté des talibans, l'avancée des troupes de l'Alliance du Nord, victorieuses à Kaboul (la capitale) et conquérantes, mercredi, de 80 % du territoire afghan. Prudente dans ses projections, la Croix-Rouge française considérait néanmoins, mercredi, que l'ouverture des frontières de l'Afghanistan aux organisations humanitaires n'était qu'une question d'heures. « Les gens vont rentrer chez eux, souligne Antoine Peigney. Il faudra faire en sorte que ces nouvelles migrations se passent dans les meilleures conditions. »
Ces gens, ce sont les « déplacés de l'intérieur », que l'on chiffre à 900 000 environ. Certains se sont réfugiés dans les pays frontaliers, mais ils sont une minorité. La plupart, jetés sur les routes pour échapper aux bombardements américains, sont venus grossir le flot de tous ceux qui fuient, depuis des années, la sécheresse et la famine ou le régime taliban. Selon Antoine Peigney, les populations déplacées vont rentrer « malgré l'hiver, malgré les mines qui truffent les terrains afghans ». « La couverture politique de l'Alliance du Nord va les inciter à rentrer, analyse-t-il . Les Afghans ont déjà vécu vingt ans de guerre. Ils connaissent bien le terrain. Ils savent où sont les mines. Ils vont faire attention. Et puis, globalement, la population afghane a pu survivre. Même si, depuis le 11 septembre, tout contact physique avec elle est impossible, elle n'a pas été abandonnée. Les organisations humanitaires sont parties en laissant des stocks. Depuis une quinzaine de jours, des organisations caritatives de sensibilité islamique ont pu, avec l'agrément des talibans, entrer en Afghanistan. »
Le risque de guerre civile
Tandis qu'elle s'apprête à rouvrir sa délégation à Kaboul, la Croix-Rouge française porte particulièrement son attention sur le sud de l'Afghanistan. S'il doit y avoir une guerre civile - ce que tout le monde craint -, « elle sera concentrée dans la région de Kandahar », estime l'organisation humanitaire, considérant que des civils afghans vont tenter, le cas échéant, de trouver refuge au Pakistan. « Nous avons là-bas des camps de réfugiés dont nous prévoyons de renforcer la capacité d'accueil, en termes de matériel notamment. Nous avons également décidé de soutenir un hôpital pakistanais qui sert à la population locale et aux réfugiés en transit. »
Arrivée mardi matin à Kaboul, au moment où l'Alliance du Nord prenait possession de la ville, l'organisation humanitaire Médecins sans Frontières (MSF) évalue les choses au jour le jour. Son équipe de quatre personnes (un médecin, une infirmière, un administrateur et un logisticien), qui a gagné Kaboul depuis la vallée du Panchir, progressant avec la ligne de front, a retrouvé une ville « plutôt calme ». Au siège de MSF à Paris, le Dr Jean-Clément Cabrol, responsable des urgences à MSF, tente de relater fidèlement le récit fait par l'équipe de Kaboul : « Nous avons retrouvé sur place le personnel afghan avec lequel nous travaillions avant d'être chassé d'Afghanistan. Nos trois cliniques fonctionnaient toujours. Deux d'entre elles plus difficilement que l'autre. Notre première impression est qu'il y a peu, voire pas de blessés civils. D'un point de vue alimentaire, la situation, qui n'était pas bonne, ne s'est pas pour autant dégradée. Kaboul a été prise sans combat. Nous estimons simplement que la ville s'est vidée d'environ 25 % de sa population. Dans notre évaluation des besoins, nous devons tenir compte du retour possible d'environ 200 000 personnes. » MSF s'adapte aux événements. L'organisation vient d'affréter un avion-cargo pour acheminer 40 tonnes de matériel. Elle ne sait pas encore quand elle pourra rentrer à Mazar-i-Charif (au nord) et à Herat (plus à l'ouest). Là-bas, les combats sont intenses. L'organisation fait également état de « poches de résistance dans certains endroits qu'elle évalue mal ». « Les routes ne sont pas sûres, poursuit-elle , et cette insécurité peut durer longtemps. Nous ne savons pas. Mais l'Afghanistan est coutumier des reversements d'alliance. Il faut s'attendre à tout. »
L'hiver et les mines
Il neige déjà en Afghanistan et MSF se déclare, pour sa part, « inquiète » du sort des populations déplacées avec l'arrivée de l'hiver. L'association humanitaire pense aux mines. « Pas aux anciennes, dont les Afghans connaissent globalement la localisation, mais les nouvelles, conséquences des bombardements américains sur le pays. »
Des équipes d'Aide médicale internationale (AMI) sont de retour à Kaboul. Quant à Médecins du Monde (MDM), ils attendaient mercredi de pouvoir entrer à Herat, à partir de l'Iran, ainsi qu'à Mazar-i-Charif, à partir de l'Ouzbékistan. MDM espérait ainsi rejoindre les Afghans (environ 300 personnes) qui continuent à travailler dans leurs centres, situés à Herat et à Kaboul.
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