Adnane Remmal, s’est vu remettre le Prix de l’inventeur européen par l’Office européen des brevets (OEB) à Venise le 15 juin 2017 pour sa contribution contre l’antibiorésistance. C’est possiblement, et à plus d’un titre, une avancée majeure en médecine infectieuse. Le découvreur déclare modestement que « le fait d’être nommé constitue un petit miracle pour un chercheur comme lui ». Ledit « miracle », s’il se confirme, va au-delà de la science médicale ouvrant un singulier champ des possibles pour demain. Explications
Who’s Who (d’après le « European Patent Office »)
Après des études de biologie à l'Université de Fez, Adnane Remmal est invité à poursuivre sa formation au centre d'Orsay (Université Paris-XI) en 1982. Pendant ses travaux avec les équipes de recherches dirigées par Édouard Coraboeuf et Philippe Meyer, il obtient un diplôme spécialisé en électrophysiologie et pharmacologie cardio-vasculaire ainsi qu'un doctorat en pharmacologie moléculaire (1987). Renonçant aux offres qui lui étaient faites de rester en France après son doctorat, Adnane Remmal rentre au Maroc pour y partager sa passion de chercheur avec ses étudiants et contribuer au développement technologique et scientifique de son pays. Adnane Remmal devient professeur-chercheur à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fez en 1988 et ses travaux de recherche fondamentale sur l'activité antimicrobienne des huiles essentielles lui valent un second doctorat en microbiologie en 1994. Pour son supplément alimentaire pour bétail à base d'extraits de plantes, il reçoit en 2015 le Prix de l'innovation pour l'Afrique décerné par l'Africa Innovation Foundation (AIF). Il réfléchit sur le sujet de la résistance bactérienne depuis trente ans. Interrogé, il explique : « En 1988, j’ai rencontré des chirurgiens qui m’ont expliqué qu’ils réussissaient des opérations sophistiquées, mais qu’en fin de compte, les patients objectivaient des infections nosocomiales avec des bactéries multi résistantes et qu’ils n’arrivaient pas à les traiter avec les antibiotiques qu’ils avaient à leur disposition. Ce jour-là, j’ai décidé de dédier toute ma carrière à essayer de combattre ce phénomène de résistance et trouver une solution. »
Chronique d’une catastrophe annoncée
L’antibiorésistance est un fléau au niveau mondial avec ses 720 000 décès annuels en 2016 (OMS) et, à iso conditions, la promesse d’une catastrophe systémique avec la possibilité d’une hécatombe chiffrée à 10 millions de morts à l’horizon 2050 (OMS). Au-delà, la Commission européenne estime à 1,5 milliard d’euros au moins le surcoût annuel et la perte de productivité résultant des infections causées par les bactéries résistantes. Selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2016, l'impact annuel de la résistance aux antibiotiques sur le budget sanitaire mondial d'ici 2050 pourrait atteindre 640 milliards d'euros (médiane). Une partie du problème vient du fait que chaque antibiotique nouvellement synthétisé coûte à la communauté près de 1 milliard d'euros et comporte ses propres possibilités de résistances, d'effets secondaires et de toxicité. Sans compter le risque que des investissements réalisés dans un nouveau médicament ne soient pas suivis de résultats. Si l’on ajoute à cela le fait que la moitié des antibiotiques dans le monde sont destinés à l’alimentation animale et que ceux-ci se développent et transmettent les antibiorésistances, on comprend l’ampleur du problème à terme pour la santé publique.
Comment ça marche
Lors d’une interview dans Capital (18/06/17), Adnane Remmal explique l’historique de sa recherche. « Les plantes aromatiques et les épices sont utilisés dans la culture marocaine depuis très longtemps, aussi bien pour leurs vertus médicinales, pour soigner des pathologies, que pour la gastronomie. Avant même de devenir scientifique, j’étais convaincu que ces plantes aromatiques possédaient des principes actifs intéressants. » Les arômes et parfums sont des composés chimiques contenus dans des molécules d’huiles végétales essentielles. Les plantes s’en servent comme d’armes pour lutter contre les bactéries et les parasites. Adanane Remmal précise que « La quantité d’huile essentielle que nous devions administrer était élevée. Il y avait beaucoup de risques d’avoir des effets secondaires. Alors nous nous sommes dit que si nous ne pouvions pas utiliser les huiles essentielles seules, nous les associerions avec des antibiotiques pour mesurer leur synergie ». S’ensuit la quête d’identification du composé de renforcement ad hoc. Le chercheur le trouvera avec le « Monoterpene Carvacrol (1) » présent dans le thym, la marjolaine et l’origan (National Center for Biotechnology Information). Il explique le cheminement de sa pensée : « Les antibiotiques sont des clés qui ouvrent des serrures. Si la bactérie subit une mutation qui fait que la clé n’entre plus dans la serrure, la porte ne s’ouvre pas et la bactérie devient résistante. Nous avons démontré que les huiles essentielles ne sont pas des clés qui ouvrent des serrures ; ce sont des marteaux qui cassent les portes. »
Une belle histoire pavée de difficultés
Nous sommes en 2005, date à laquelle Adnane Remmal lève 5 millions de dirhams (454 000 euros !) pour arriver à déposer un brevet en 2014. Avec Sothema, un premier test clinique démontre son efficacité chez des patients porteurs d’infections urinaires à germes multirésistants d’origine noscomiale. En six jours, l’efficacité est au rendez-vous chez tous les patients pourtant malades pour certains depuis vingt ans. Le septième jour, on s’imagine qu’il s’est reposé. Devant la sidération du corps médical, cinquante autres patients entrent dans l’étude clinique avec le même résultat exceptionnel. Le secret, l’association du générique de l’Augmentin, antibiotique le plus vendu au monde et du principe actif d’huile essentielle, le Cavacrol. Si tout se passe bien, le produit sera vendu sous le nom de Soclav Plus fin 2017. Cerise sur le gâteau, délivré aux animaux en lieu et place des antibiotiques habituels, le produit confère à la viande un meilleur goût et une tendreté accrue. Adnane Remmal indique qu’aucune demande d’autorisation de mise sur le marché n'a été faite en Europe et en France notamment pour des raisons financières en terme de production, de logistique et de marketing. Le nouveau médicament se caractérise par un faible coût de production et peut être vendu à un prix abordable du fait qu'il utilise des molécules naturelles déjà testées et approuvées par les institutions légales. Adnane Remmal estime que « les maladies infectieuses sont les affections les plus menaçantes dans le monde, particulièrement dans les pays en voie de développement. C’est la raison pour laquelle j’ai consacré mes recherches à ce problème », a déclaré le professeur lors de la remise du prix. Il enfonce le clou au plan éthique : « Le traitement sera proposé à un prix abordable dans les régions à faibles revenus et j’espère donner le coup d’envoi de l’industrie pharmaceutique marocaine grâce à la fabrication du premier médicament développé et fabriqué dans le pays. » La plupart des grandes majors pharmaceutiques, courant comme un seul homme au secours de la victoire, ont proposé des ponts d’or au chercheur pour récupérer les brevets de son invention. Tous refusés par Adnane Remmal qui a préféré créer la société Advanced Scientific Developments pour conserver son libre arbitre en acceptant l’aide du laboratoire Marocain Sothema. C’est à saluer.
5 raisons de se réjouir
En premier lieu c’est la première fois qu’un chercheur non issu de la « nomenklatura » académico-industrielle est récompensé. En second lieu, c’est la première fois que la prestigieuse récompense de l’OEB est remise au nom de citoyens-acteurs européens pour un pays non membre. C’est ensuite la preuve qu’encore une idée, portée par le courage de la pugnacité peut traverser les obstacles élevés par la finance pharmaceutique - On rappellera ici que cette industrie dévolue moins de 14 % de son chiffre à la recherche et plus de 25 % au marketing et autres lobbies -. C’est la première fois qu’une possible avancée majeure fait l’objet d’une dispensation volontaire à coût faible. C’est aussi la démonstration que l’avènement des Big Data n’est pas une fin en soi qui annonce bien plus des marchés lucratifs que des solutions démontrées pour les patients. C’est enfin une voie ouverte pour traiter en tout ou partie le fléau mondial que constituent les maladies infectieuses.
Victor Hugo avait raison de dire qu’on arrête une armée mais pas des idées. Formons le vœu que cette découverte confirme les espoirs suscités partout dans le monde et notamment chez les plus fragiles.
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