LORSQU'ELLE AVAIT passé le concours de sortie du conservatoire, en 1965, Christine Fersen avait obtenu trois prix. Elle excellait en comédie moderne, en comédie classique comme en tragédie. Elle avait suivi la classe du grand Fernand Ledoux, qu'elle célébrait toujours, et avait été engagée aussitôt à la Comédie-Française, où elle joua d'emblée Chimène dans « le Cid », de Corneille, et Sygne dans « l'Otage », de Claudel. Elle ne quitta jamais la troupe. Attachée profondément à l'institution, à tout ce que la maison, cette ruche, produit. Grande, belle, ayant choisi une couleur flamboyante pour ses cheveux qui avivaient le bleu de porcelaine de son regard, Christine Fersen avait une stature de reine, et s'il fallait condenser en quelques rôles son parcours, c'est vers les reines que l'on irait naturellement. Reine chez Hugo, Marie Tudor, héroïnes, femmes exceptionnelles, Lucrèce Borgia, reine chez Schiller, Marie Stuart, reine chez les écrivains contemporains, Marguerite dans « Le roi se meurt », de Ionesco. Elle avait été l'Infante de « la Reine morte », de Montherlant, et Volumnia dans « Coriolan », de Shakespeare. Elle avait aussi été la magnifique reine des gueux dans « Chutes », de Gregory Motton, mis en scène de Claude Régy au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis.
Un temps, elle avait dû trouver en dehors du Français des rôles à sa mesure, l'un des administrateurs ne l'ayant plus distribuée salle Richelieu huit années durant. Marcel Bozonnet l'avait fait revenir au premier plan et Muriel Mayette comptait beaucoup sur elle.
La vie avait été douloureuse, mais Christine Fersen possédait une grande force, une intelligence rayonnante, un esprit, une capacité magnifique de compréhension profonde des textes comme des êtres. Elle n'était pas tiède. Elle bousculait. Elle était comme sa voix, magnifique, unique.
Nommée Doyen après Catherine Samie, elle avait pris très au sérieux sa mission. On n'oubliera pas ses derniers rôles : avec Piotr Fomenko dans « la Forêt », d'Ostrovski, avec Robert Wilson, qui avait voulu qu'elle joue La Fontaine lui-même dans « les Fables », Madame Zittel dans « Place des héros », de Thomas Bernhard, mis en scène par Arthur Nauzyciel, le Prophète dans « l'Espace furieux », de Valère Novarina, dans une mise en scène de l'auteur.
Pour le jubilé de Catherine Samie, après un numéro époustouflant de Guillaume Galienne jouant Catherine Samie face à Denis Podalydès jouant Christine Fersen, elle avait interprété une petite fille, socquette et jupe plissée. Incroyable. La tragédienne par excellence tombait le masque : elle était aussi une petite fille inconsolable.
> ARMELLE HÉLIOT
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