UNE COURSE contre la montre. Ainsi peut-on qualifier les efforts quotidiens qu'accomplissent les directeurs d'hôpital pour adapter leurs bâtiments aux progrès techniques de la médecine. Car, en pratique, les évolutions, très rapides, se traduisent souvent par du matériel volumineux, lourd, gros consommateur d'énergie, exigeant en matière d'isolation... Depuis plusieurs années, différentes zones de l'hôpital sont contraintes à muer régulièrement : les plateaux techniques, bien sûr, mais aussi « les secteurs interventionnels, les secteurs de biologie, l'imagerie », résume Christiane Coudrier, qui dirige le CHU d'Amiens et est spécialiste des questions architecturales au sein de la c onférence des DG de CHU.
Deux exemples pour prendre la mesure de certaines opérations et de leurs pièges. L'hôpital universitaire de Zurich s'est doté en mai dernier d'un IRM géant. Poids de l'appareil : 35 tonnes (mais le poids « classique » de ces engins avoisine les 12 tonnes). Il y a peu, l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière a accueilli lui aussi un IRM de grande puissance ; problème, le métro - masse électrique mobile - passe à proximité, il a donc fallu trouver des solutions pour éviter les interférences.
Aujourd'hui, les IRM ou les TEP (tomographie par émission de positon), demain, les cyclotrons... : installer des machines monstres dans un hôpital neuf n'a rien de simple (voir encadré) ; on imagine ce que cela peut donner dans des locaux datant d'avant-guerre... Et ces « grosses bêtes » technologiques ne sont pas le seul obstacle à lever.
Permettre le changement.
Les besoins d'adaptation du parc surgissent « en permanence ; tout cela va très vite, confirme Gérard Lemonnier, directeur du patrimoine et de la logistique à l'Assistance publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP). Il y a les IRM qui changent de poids, les blocs qui ont de nouvelles exigences en termes de traitement d'air, les chambres stériles, la médecine nucléaire... » En moyenne, la durée de vie d'un bloc ne dépasserait pas la quinzaine d'années.
Dans les hôpitaux, des ingénieurs biomédicaux s'attachent, en tandem avec des ingénieurs « travaux », à faire coller locaux et nouvelles techniques. Ils travaillent en étroite collaboration avec les bureaux d'étude spécialisés (qui délivrent les contraintes liées aux matériels installés) et/ou les architectes quand architectes il y a. Une profession pour laquelle l'adaptabilité des bâtiments aux techniques modernes, mais aussi à celles de demain, voire d'après-demain - par définition inconnues -, représente un défi. Le cabinet AFA (Adrien Fainsilber et Associés, installé à Nanterre) dispose aujourd'hui d'une expertise certaine dans le domaine hospitalier* et met en avant l'indispensable « flexibilité » des plateaux techniques. « L'architecte doit tenir compte de la rapidité des évolutions technologiques et normatives liées aux techniques chirurgicales, y explique-t-on. Même s'il ne peut avoir la prescience des évolutions futures, il peut concevoir un plateau technique permettant de modifier la configuration des locaux. » Cela passe, poursuit AFA, par « la recherche en structures de grande portée » (avec moins de poteaux, on peut facilement déplacer les murs), par « la systématisation des arrivées et des départs des fluides depuis le plateau technique ».
Une tendance, aujourd'hui, en architecture hospitalière : « assurer la polyvalence des salles d'opération ». Pour cela, les solutions sont diverses : « Aucun équipement n'est fixé au sol. La circulation des différents fluides (électricité, fluides médicaux) se fait via des bras de distribution plafonniers chirurgiens et anesthésistes avec un secours par des prises murales encastrées », expliquent les architectes d'AFA.
Christiane Coudrier confirme : « On construit aujourd'hui avec l'idée d'être le plus modulable possible. Pour pouvoir faire, plus tard, des redéploiements. » C'est, par ricochet, la physionomie entière de l'hôpital qui se trouve modifiée. Les plateaux techniques sont mutualisés, l'interventionnel se rapproche des blocs, l'exploration fonctionnelle peut être en partie mutualisée autour des pôles d'activité clinique...
Toutes ces adaptations au progrès technique coûtent cher. Très cher. Les crédits de relance de l'investissement hospitalier distribués ces dernières années - l'échelle de grandeur est de plusieurs milliards d'euros - ont, en grande partie, financé des opérations de cet ordre.
* A l'actif d'AFA : l'Hpgo (Hôpital pédiatrique et gynécologique-obstétrique) à Lyon (71 000 m2), la rénovation de l'institut mutualiste Montsouris à Paris (60 000 m2), la restructuration de l'hôpital de Montmorency dans le Val-d'Oise (19 000 m2). Le cabinet est sur les rangs pour le très gros chantier du CHU de Reims (120 000 m2).
Cas d'école
Fin des années 1990, sur les bords de Seine du 15e arrondissement de Paris, le chantier de l'hypermoderne hôpital européen Georges-Pompidou (Hegp) touche à sa fin. Pour un budget colossal (1,8 milliard de francs, soit 274,5 millions d'euros), l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) s'apprête à ouvrir au public son nouveau navire amiral. Un « fleuron » qu'elle et son architecte vedette, Aymeric Zublena, peaufinent depuis de longues années - la première pierre a été posée en 1993, l'hôpital n'entrera en service qu'en 2000.
Soudain, on tombe sur un os du côté de la radiographie. Les plafonds sont trop bas pour l'appareillage de scanner. Il faut casser et reconstruire. Aux yeux du grand public, c'est presque un gag ; pour les experts, pas vraiment. Car étant donnée la longueur des travaux, il n'est pas étonnant que les plans initiaux aient pu se démoder. Et puis, quand on travaille avec du matériel très sophistiqué, le secret industriel s'en mêle : il peut arriver que, afin de contrer tout risque d'espionnage, les fabricants ne communiquent qu'au tout dernier moment à leurs clients les données relatives aux machines qu'ils leur vendent. « C'est un aléa, explique Gérard Lemonnier, directeur du patrimoine et de la logistique à l'AP-HP (qui n'était pas en poste au moment de l'ouverture de l'Hegp). Le grand public raisonne avec, à l'esprit, l'installation de leur cuisinière chez eux. Cela n'a évidemment rien à voir. »
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