Vingt ans qu'il attendait ce moment ! Depuis qu'il s'était engagé dans les rangs de l'association Afghanistan-Bretagne*, multipliant réunions de sensibilisation et actions de solidarité avec les réfugiés, le Dr Paul Le Meut, 46 ans, généraliste à Gevéze (Ille-et-Vilaine), marié à une généraliste avec laquelle il exerce, n'avait encore jamais eu la possibilité de se rendre sur le théâtre de la résistance aux taliban.
Une possibilité qu'il saisit enfin l'été dernier, grâce à l'un des pionniers de son association, un architecte lui-même de nationalité afghane. Ami et ancien élève d'Ahmad Shah Massoud, Ashmat Froz était étudiant à Rennes lorsque les Soviétiques ont débarqué à Kaboul (l'Armée rouge a fait son entrée en République démocratique d'Afghanistan le 25 décembre 1979). Il a alors décidé de rester en France, où il milite pour la résistance. Deux fois l'an, l'architecte en exil retourne au pays et, ce 23 juillet, il s'envole donc en compagnie du Dr Le Meut et de deux élus, le sénateur du Gers, Aymeri de Montesquiou, et une adjointe au maire de Rennes, Nicole Kill-Nielsen, conseillère principale d'éducation, elle aussi adhérente d'Afghanistan-Bretagne.
Sans mesures de sécurité particulières
Rennes-Lyon-Munich-Douchambé, la capitale du Tadjikistan, en avion de ligne. Puis Douchambé-Bozarak, dans la vallée du Panchir, à bord d'un antique hélicoptère russe, propriété de la résistance.
Bozarak, le village de naissance du commandant Massoud, où celui-ci sera inhumé après l'attentat-suicide qui lui a coûté la vie le 9 septembre, deux jours avant l'attaque menée contre les Etats-Unis, comme en prélude au massacre new-yorkais.
« Nous avons pu rencontrer Massoud à Roja Baoudin, au nord du pays, raconte le Dr Le Meut . Nous nous trouvions à la Guest House du ministère des Affaires étrangères ; le commandant est arrivé seulement accompagné de son secrétaire, sans escorte ni mesures de sécurité particulières. Il avait déjà échappé à une dizaine de tentatives d'attentat, sa foi en Dieu - il était musulman pratiquant, comme 99 % de ses compatriotes - le mettait à l'abri, croyait-il.
Je croyais débarquer dans un pays en proie aux tourments de la guerre depuis deux décennies, parmi des maquisards encerclés et aux abois, poursuit le généraliste, mais il régnait dans les rangs de la résistance et dans les camps de réfugiés une impression de paix presque irréelle.
Dans leur vallée-refuge du Panchir, les Afghans cultivent le blé, le maïs et d'excellents melons, ils commercent et circulent d'une manière qui paraît normale. Notre chauffeur n'avait pas d'arme. J'ai même pu visiter la prison où quelque 250 taliban sont détenus, les portes des cellules restent ouvertes et les prisonniers vont et viennent librement, sous la surveillance d'un seul homme en armes. »
Le médecin breton avait tellement lu de livres consacrés au commandant Massoud, vu tant de films retraçant son épopée que, lorsqu'il s'est trouvé tout à coup en face de lui, il a éprouvé le sentiment de « retrouver une vieille connaissance » : « Les presque quatre heures d'affilée que nous avons passées en sa compagnie m'ont causé une intense émotion. Comment ne pas être impressionné par ce personnage quasiment mythique, à la fois stratège militaire, fédérateur à l'intérieur de son pays et ambassadeur à l'étranger ? Le commandant Massoud avait toujours vu juste : hier contre les communistes, quand il luttait contre l'invasion soviétique, n'étant pas pour rien dans la chute du mur de Berlin. Et aujourd'hui, dans le combat contre les taliban. Il nous a expliqué que les hommes de Ben Laden s'en prendraient directement à l'Occident, s'ils n'étaient pas occupés par la résistance afghane. "Vous voyez déjà ce qui se passe chez vous, avec la drogue répandue partout dans vos rues !", nous avait-il lancé. »
Massoud avait un modèle, confia-t-il à ses visiteurs : le général de Gaulle ; il en partageait le sens de la patrie. « C'était aussi un humaniste, économe au maximum de la vie de ses hommes, toujours préoccupé d'organiser l'entraide entre les populations. »
La détresse matérielle, sur place, est immense. « Une détresse à la mesure du territoire, raconte le Dr Le Meut. Dans la seule plaine du Panchir, la population est de 2 à 3 millions d'habitants. Parmi eux, les réfugiés, par dizaines de milliers vivent dans des conditions de très grande précarité, sous des bâches en plastique avec des températures hivernales qui descendent couramment sous - 30 degrés. La mortalité infantile, essentiellement du fait des diarrhées, atteint le taux de 30 %. Un grand nombre de femmes meurent en couches. »
Les médecins dépassés
Les médecins, face à la situation sanitaire désastreuse, sont dépassés : « J'ai rencontré un confrère qui m'a dit être privé de tout médicament depuis cinq mois. Moi-même, j'ai passé un sale moment dans un camp où on m'amenait des enfants malades, sachant que j'étais médecin, alors que je ne disposais d'aucun moyen sur moi pour les traiter. »
Des dispensaires, cependant, existent et même une école de médecine, à Faizabad, la capitale, avec 300 étudiants. « La proportion de femmes y atteint 40 %, souligne Paul Le Meut. Une proportion qui révèle que, même si, chez les résistants, le port du tchadri reste généralisé, surtout dans les régions agricoles, la femme y jouit d'un sort incomparablement plus enviable que sous la répression des taliban. »
Naturellement, les représentants d'Afghanistan-Bretagne n'étaient pas arrivés les mains vides : ils ont apporté médicaments et vêtements et, surtout, ils ont assuré le financement de maisons en « dur », des constructions traditionnelles en terre, avec des toits en torchis, conçues par Ashmat Froz. D'un coût de revient unitaire de 2 500 F, elles sont construites par la main-d'uvre locale. Une soixantaine de ces réalisations hébergent aujourd'hui près de 400 personnes qui vont pouvoir passer l'hiver dans des conditions supportables.
Après dix jours passé dans les montagnes, le Dr Le Meut est rentré en Ille-et-Vilaine avec plein de projets. L'association pourrait bientôt changer de braquet et prendre un intitulé national. Les réunions qu'elle organise attirent de plus en plus de monde (500 personnes jeudi dernier à la Maison du Champ-de-Mars).
La télé et la presse locale relayent abondamment la parole du généraliste. « Maintenant, mes patients m'interrogent spontanément. Ma famille, mon épouse et ma fille militent dans l'association. Tout le monde autour de nous se mobilise pour secourir ce peuple dont l'ardeur, malgré la mort de Massoud, ne faiblit pas. Un peuple étonnamment courageux et fier : j'ai vu moins de mendiants dans les villages du Panchir que dans les rues de Rennes. Et les enfants des réfugiés, habillés en costumes traditionnels afghans, nous y ont accueillis à bras ouverts. »
* Afghanistan-Bretagne, 99, rue Leguen-de-Kerangal, 35000 Rennes. Tél. 02.99.50.41.13,
www.afghanistan-bretagne.org.
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