Mots choisis pour la médecine

Acronymes et éponymes

Publié le 03/03/2004
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LE TEMPS DE LA MEDECINE

EN JUILLET 2000, la célèbre revue « The Lancet » inaugurait sa nouvelle rubrique « Eponymes » par le portrait de Charles-Edouard Brown-Séquard, le premier à avoir décrit les symptômes provoqués par l'hémisection de la moelle regroupés en un syndrome qui porte son nom. Dans son éditorial, William Jeffcoate regrette la disparition de cette longue tradition qui a perduré jusqu'à la moitié du vingtième siècle. Sa vertu première était en effet de rendre hommage aux découvreurs ou aux cliniciens attentifs à décrire les affections. Le Dr Harry Angelman est de ceux-là. Il écrit à propos de l'article qu'il publie en 1965 : « L'histoire de la médecine est remplie d'anecdotes intéressantes se rapportant à la découverte des maladies. (...) C'est de façon purement fortuite que, il y a environ trente ans, trois enfants handicapés ont été admis à différents moments dans mon service de pédiatrie en Angleterre. Ils avaient un certain nombre d'anomalies et, bien qu'à première vue ils aient semblé souffrir d'affections différentes, j'ai eu l'impression que leur maladie se rattachait à la même cause. (...) Un jour, en vacances en Italie, je suis tombé sur une toile intitulée "Fanciullo con pupazzo" (le garçon à la marionnette) au musée du Castelvecchio de Vérone. Le rire de l'enfant et le fait que mes patients présentaient des mouvements saccadés me donna l'idée d'écrire un article sur les trois enfants que j'avais vus et auxquels j'attribuais le qualificatif d'enfants marionnettes. Ce qualificatif n'a pas plu à tous les parents mais il a servi à regrouper les trois jeunes malades sous la même étiquette. Plus tard, on a employé le nom de syndrome d'Angelman. »
Ce type de découverte reste aujourd'hui exceptionnel, car les avancées cliniques sont de plus en plus le fruit d'un travail collectif. Cela oblige à une multiplication des patronymes comme dans le cas du syndrome de Prader-Labhart-Willi-Fancon. De ce fait, l'ère des acronymes s'est progressivement substituée à la grande saga de l'éponyme qu'avait défendu, en son temps, le Français Armand Trousseau.
L'acronyme « opaque et sans grâce », selon l'expression de William Jeffcoate, a envahi le champ médical. Il désigne les maladies et les grandes études ou enquêtes qui rythment la recherche, les tests diagnostiques, mais aussi les institutions qui encadrent l'activité du médecin.

Force évocatrice et anecdote.

Barbarismes, aux yeux de beaucoup, certains acronymes gardent néanmoins une force évocatrice et l'on peut même trouver à leur propos des anecdotes qui ne manqueront pas de nourrir l'histoire de la médecine.
L'un des derniers à avoir fait son apparition dans notre modernité a les résonances d'un titre de roman policier. Le sras (syndrome respiratoire aigu sévère) émerge à la mi-novembre 2002 dans la province de Guangdong (Chine). C'est, dit l'OMS, « la première maladie grave et hautement transmissible à émerger en ce XXIe siècle. Bien qu'elle reste dans une large mesure mystérieuse et énigmatique, elle a clairement démontré sa capacité à se propager le long des voies internationales ». La menace est prise au sérieux et mobilise, partout dans le monde, «les autorités de santé publique, les médecins, les infirmiers, les chercheurs et le personnel de laboratoire », précise encore l'OMS.

Une amie sud-américaine.

Quelques années plus tôt, un autre syndrome faisait une entrée moins brutale, mais tout aussi dramatique, dans la nosographie des maladies infectieuses. Le Pr Willy Rozenbaum, qui a participé au processus de découverte, raconte* : « Nous avions un problème moins anecdotique qu'il peut paraître : comment nommer cette maladie encore si peu cernée ? En septembre 1981, les Américains, qui l'avaient d'abord désignée comme sarcome de Kaposi ou encore pneumocystose des homosexuels, s'y référaient sous le nom de Gird - gay related immuno-deficiency. Depuis décembre, sachant qu'elle ne concernait pas seulement les homosexuels, on l'appelait Aids - acquired immuno-deficiency syndrome. Aids, avec sa consonance homonymique positive, sonnait bizarrement en français pour un syndrome tueur, et nous voulions trouver une équivalence. Comme l'une de mes amies proches, sud-Américaine et homosexuelle, se prénommait Sida, je proposai cet assemblage : syndrome d'immuno-déficience acquise. » Aujourd'hui, poursuit-il, « cette dédicace qui se voulait une forme d'hommage peut paraître singulièrement discutable, voire franchement odieuse ». Mais, explique-t-il, « son choix indique combien, à l'époque, notre perception de la maladie était incertaine ». Avec le recul, cette « mauvaise désignation originelle », qui ne tenait pas compte de la totalité des étapes de la maladie, a introduit une certaine confusion et il eut peut-être été plus judicieux, note-t-il, de s'en tenir au nom de syndrome Cite (cellulite immunitaire T épidémique) proposé à la même époque par Jacques Leibowitch.
Un autre exemple des difficultés d'interprétation est celui du virus VTT. En décembre 1997, l'équipe du Japonais T. Nishizawa décrit chez un patient atteint d'une hépatite post-transfusionnelle un nouveau virus à ADN qu'il nomme TTV (virus TT). Tous les spécialistes, dont ceux du « Lancet », s'accordent à traduire l'acronyme par Transfusion-transmitted virus, en français virus transmis par les transfusions ou VTT. Mais en mars 1999, l'OMS corrige : « TT sont les initiales du patient chez lequel le virus a été isolé pour la première fois » et indique que le virus, présent chez 2 % des donneurs de sang, peut avoir d'autres voies de transmission possible, notamment oro-fécale.

Mathusalem et Indy.

Symptômes, bactéries, virus, gènes, l'acronyme traque les processus physio-pathologiques. Si Mathusalem, le nom du premier gène de longévité découvert chez la drosophile, fait référence au vieux patriarche biblique, Indy, le terme associé à la découverte du deuxième gène, malgré sa relative douceur, est plus offensif : « I'm not dead yet.  » A l'inverse, les acronymes de la périnatalité tentent le registre de la tendresse. Papp-A (Pregnancy associated plasma protein-A ou protéine plasmatique associée à la grossesse) est le nom d'une protéine dont le dosage au premier trimestre de la grossesse permet de prédire le poids de naissance du futur bébé. Quelquefois, comme dans le cas de Virginia Apgar, l'acronyme rejoint l'éponyme. La suggestion est faite de son vivant par un pédiatre du Colorado : le score qu'elle a mis au point sera désigné par la suite d'initiales : A (aspect), P (pouls), G (grimace), A (activité), R (respiration), ce qui vaut en anglais et en français.
Les acronymes attachés aux grandes études cliniques peuvent être persuasifs. C'est le cas en cardiologie, avec les essais Preserve, Quiet, Progress ou, en nutrition, Suvimax.
Cependant, l'abus en tout peut nuire et l'assurance-maladie s'en est souvenue pour son nouveau dispositif conventionnel d'accord de bon usage des soins. L'abus est devenu, sans malice aucune, AcBUS, et plutôt que l'abscons Cnamts, c'est le charmant prénom d'Ameli (pour assurance-maladie en ligne) qui donne désormais accès au site Web de la Sécu (www.ameli.fr).

* « La Vie est une maladie sexuellement transmissible constamment mortelle », Stock, 1999.

> Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7491