ILS SONT 433 médecins esthétiques, généralistes, dermatologues, chirurgiens, angéiologues, installés dans l'Hérault, les Alpes-Maritimes, en Meurthe-et-Moselle... dont le cabinet est doté d'une lampe à lumière pulsée que leur « loue » en leasing la société CPL. Une petite machine destinée à des séances de régénération de la peau, d'épilation définitive, de traitement du psoriasis ou de très petites veinules... et qui, pour certains d'entre ces médecins, fait désormais figure de cauchemar. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils croyaient, au moment où ils ont signé un contrat de bail assorti d'une offre très commerciale de six, huit ou douze mois gratuits, pouvoir rendre leur matériel s'ils le désiraient au bout de ces « périodes d'essai ». Réveil brutal : en réalité, il n'est pas question de rendre la machine ; le contrat de crédit-bail stipule noir sur blanc que le médecin s'engage à payer... 72 mensualités de quelque 1 000 euros, sans aucune possibilité de résiliation. A terme, ils seront propriétaires, pour la coquette somme de 72 000 euros, donc, d'une lampe-flash dont, pour ne rien arranger, le coût réel oscillerait plutôt «entre 10000 et 30000euros», selon les estimations du Dr Mariano Ortenzio, généraliste à Lamalou-les-Bains dans l'Hérault, acquéreur d'une de ces machines, à son grand dam.
Elaborés par les organismes prêteurs – des banques comme la BNP ou des sociétés de crédit spécifiques type Siemens Lease ou Medibail –, les contrats de bail sont en béton. Si certains médecins estiment que les durées de paiement incompressibles qui y figurent ont pu être modifiées aposteriori – un graphologue a été consulté et n'a pas exclu que « 12 » mois se soient transformés en « 72 » –, d'autres reconnaissent volontiers n'avoir pas lu avant de signer. Le Dr Pierre-Marie Noël de la Paquerie, angéiologue à Cazouls-lès-Béziers (Hérault), en fait partie et concède : «Nous autres, médecins, sommes une bande de couillons.»
Les médecins ne sont « pas des grand-mères ».
A l'autre bout du contrat, Pierre Lajous, directeur général du groupe CPL, argue précisément du contraire. «Nous nous adressons à des médecins, dit-il, des gens responsables et adultes, qui ont un certain niveau intellectuel. Ce ne sont pas des grand-mères chez qui on met le pied dans l'embrasure de la porte. Nous ne faisons pas de la vente à l'arrachée entre midi et deux!» Pierre Lajous ne croit pas à la « naïveté » des médecins en colère et met en avant toutes les étapes d'élaboration du leasing au cours desquelles ses locataires auraient pu se réveiller : après la demande de location, il y a, explique-t-il, un précontrat, la signature du contrat, l'envoi d'un tableau d'amortissement avec un double du contrat, la livraison du matériel où le médecin signe le procès-verbal qui, effectivement, le lie. Entre la première et la dernière phase du processus, il s'écoule «deux mois», calcule Pierre Lajous.
Pour le patron de CPL, il ne fait pas de doute que les praticiens qui contestent aujourd'hui les méthodes de son entreprise sont tout à la fois bien légers – «On leur a expliqué qu'il y avait une année irrévocable et que, au-delà, ils pouvaient s'ils le souhaitaient acquérir du matériel plus performant. Mais il ne s'agit pas de jeter ces machines comme un paquet de linge sale!» – et manipulés malgré eux dans un contexte de féroce concurrence. CPL existe depuis 2002 ; sa création aurait, selon Pierre Lajous, gêné «trois ou quatre sociétés établies».
Légers ou non, corniauds ou non, manipulés ou non..., les médecins contraints de payer se sentent en tout cas piégés. Pour le moment, ils n'ont qu'un seul moyen d'en finir avec leur contrat : trouver un confrère – «un autre couillon», ironise l'un d'eux – qui accepte de les en décharger... et de payer à son tour les mensualités. «Il ne s'agit pas d'une reprise, tient à préciser Pierre Lajous, nous le faisons commercialement, par philanthropie, quand nous obtenons l'agrément de l'organisme financier.»
Par le biais des forums Internet ou même par voie de presse (une petite annonce est parue en septembre dans nos colonnes), les clients mécontents de CPL cherchent à rassembler leurs confrères d'infortune. La tâche n'a rien d'évident. Parce que les médecins ne se sentent pas fiers d'eux dans cette affaire. Parce que, également, les conditions commerciales qui leur ont été faites au début du crédit-bail – et qu'ils ont acceptées – ne sont pas forcément « avouables ».
Le Dr Noël de la Paquerie explique que la gratuité des six ou douze premiers mois de location des machines a été assurée selon la formule suivante : les médecins ont bien honoré leurs mensualités, mais des chèques – le Dr Noël de la Paquerie a gardé une copie du sien – ont été signés pour les leur rembourser. Ces chèques ont parfois été faits à des tierces personnes, ce qui évitait aux médecins de faire rentrer ces sommes dans les chiffres d'affaires des cabinets ; dans le même temps, les mensualités par eux versées étaient logiquement étiquetées « frais professionnels ». La conscience des médecins n'est pas tout à fait tranquille...
Pour Me Sophie Maltet, saisie de cette affaire, «on est bien là dans le principe de base de toute escroquerie». Au total, l'avocate estime que des millions d'euros sont en jeu et que tout cela pourrait bien finir au pénal.
Chez CPL, Pierre Lajous dort, lui, sur ses deux oreilles : en dehors du «petit groupuscule» qui conteste ses contrats, la grande majorité de ses médecins locataires seraient satisfaits de ses prestations. Par ailleurs, si CPL a dû composer par le passé avec «quelques assignations», «nous gagnons tous les procès», assure son patron qui rappelle en passant que, quand les médecins attaquent, ils se retrouvent au tribunal «devant les grandes banques». Le pot de terre contre le pot de fer...
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