Le Généraliste. Comment jugez-vous ce PLFSS 2010 ? On dit que le gouvernement laisse filer le déficit. Est-ce votre avis et est-ce la bonne solution ?
Pr Claude Le Pen : Ça me semble un PLFSS finalement très classique, avec comme d’habitude un Ondam autour de 3% et quelques mesures d’économie du type hausse du forfait hospitalier ou baisse des tarifs des radiologues. Ce PLFSS semble faire le gros dos en attendant la reprise, perspective un peu illusoire, car d’une part ça ne semble pas pour tout de suite, et d’autre part, même si c’était au rendez-vous, il est clair qu’elle ne suffirait pas à réduire le déficit. En effet, ce n’est pas parce que la croissance revient à 2 ou 2,5% que le déficit va fondre. Il faudrait une croissance à 4% pour arriver à diminuer le déficit. A défaut, je crains fort que l’on s’installe dans un déficit de la Sécurité sociale à 30 milliards, après avoir été dans un déficit à 10 il y a quelques années.
Pouvait-on dans le contexte actuel faire autrement ?
CLP : Techniquement oui. Politiquement c’est moins sûr. On est en face d’une opinion publique dépressive, inquiète sur le pouvoir d’achat et l’emploi et on peut comprendre que le gouvernement ait préféré gagner du temps et ne pas accabler les Français. Néanmoins, techniquement, je le regrette, car on le paiera un jour ou l’autre. Cette tactique de l’édredon entretient l’illusion que le déficit n’est pas grave, qu’il est possible de consommer sans payer, et empêche de trouver une solution pérenne à la situation de la sécurité sociale. Ce n’est pas vrai que la dette permet de ne pas payer. Elle permet juste de différer le paiement. Certes, par le passé la France a souvent géré ses endettements par l’inflation, en remboursant avec une monnaie dévaluée. Mais aujourd’hui, l’inflation ne dépend plus d’elle, mais de la Banque centrale européenne, qui a fait de la lutte contre ce phénomène sa priorité. Ça pourrait changer demain, à la faveur de l’endettement des pays d’Europe, car la France n’est pas la seule dans cette situation.
Le gouvernement et les caisses entendent relancer la maîtrise en 2010: y a t-il encore des marges de manoeuvre possibles de côté là ?
CLP. En tout cas, cela va devenir de plus en plus compliqué de gratter sur les dépenses de santé et de générer de nouvelles économies. On ne peut pas dire que l’on consomme des soins médicaux de façon excessive et la croissance du marché pharmaceutique est extrêmement lente. D’année en année, on annonce des baisses de prise en charge. Et désormais, il ne reste plus beaucoup de médicaments qu’on pourrait dérembourser. Bon an mal an, ces quelques 2 milliards d’euros qu’on essaie de trouver ne servent d’ailleurs qu’à maintenir le taux de croissance des dépenses de santé dans des proportions compatibles avec la croissance du PIB et pas à réduire le déficit. Aujourd’hui, le système pêche-t-il vraiment par excès structurel de dépenses ? J’ai plutôt l’impression qu’on est confronté à une insuffisance structurelle de recettes. La question est en effet de savoir si l’on a un rythme de croissance conforme aux souhaits de la population. Et si oui, pourquoi ne pas le financer ? Donc la réponse me semble plutôt à chercher du côté des recettes, par exemple en augmentant d’un point la CSG, ce qui rapporterait 10 milliards d’euros.
Dans un contexte contraint, les médecins libéraux peuvent-ils aujourd’hui espérer des revalorisations autrement que par le biais de primes gagées sur les économies qu’ils produisent (capi) ou de dépassements non pris en charge par la Sécu (secteur optionnel) ?
CLP. Je pense que les médecins ne connaîtront plus d’augmentation de revenus qui ne seraient pas gagés sur des contreparties de leur part. Les revalorisations sont devenues un élément de restructuration des rémunérations. C’est, en quelque sorte, la compensation de la liquidation en cours de la médecine libérale. On « achète » auprès des médecins la fin de la médecine libérale, en y substituant une rémunération au forfait ou à l’objectif et à la performance, avec des médecins liés à l’assurance maladie pour leur rémunération.
Ce raisonnement vaut pour le Capi. Mais le secteur optionnel semble davantage d’inspiration libérale…
CLP Il y a beaucoup d’ambiguïté autour du secteur optionnel. Et nous verrons dans quelle mesure l’ouverture vers les assureurs complémentaires gardera tous les principes de la médecine libérale. Si on leur transfère le financement des dépassements, ils exigeront des compensations : affiliation ou accréditation des médecins, contrôle de qualité, référencement des pratiques,… La réorganisation de la médecine libérale passera sans doute par des acteurs d’assurance. Le privé est très restructurant de l’offre de soins : il suffit de voir ce qui s’est passé dans les groupes de cliniques.
Pensez-vous que les problèmes de financement de notre système d’assurance maladie puissent nourrir l’hostilité d’une partie de l’opinion américaine à la réforme Obama ?
CLP.Si Obama semble parvenu à convaincre l’opinion du bien fondé de sa réforme, ses détracteurs utilisent, c’est vrai, l’argument du déficit pour décrédibiliser les systèmes européens. On a vu dans des journaux sérieux américains des articles très critiques sur la Sécurité sociale Française, dépeinte comme un système en déficit que les Français n’arrivent pas à financer.
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