Décision Santé. Vous dressez dans un document rédigé pour ces Assises un bilan très positif de l’activité des CHU. Tout va-t-il pour le mieux pour les fleurons de la médecine française ?
Philippe Domy. Nous ne visons pas à dresser un bilan, mais plutôt à peser sur la future loi de santé. Les deux enjeux prioritairement visés sont la thématique de la territorialité et la dimension internationale des CHU. Ce document vise donc à projeter le dispositif hospitalo-universitaire dans les années prochaines à l’aune de la loi de santé qui n’a pas été conçue, c’est le moins que l’on puisse dire, en fonction de l’hôpital ou des besoins de ses personnels. Sur le principe de la territorialité, il ne vous a pas échappé l’absence d’article spécifique en direction du CHU. En réponse, nous avons développé une conception différenciée selon qu’il s’agisse de la réforme des collectivités territoriales, de la stratégie nationale de santé ou la stratégie nationale de recherche. Or, le territoire de recherche dépasse dans un grand nombre de cas le stade supranational. Dans le même temps, nous devons assurer la conjugaison de nos trois missions d’enseignement, de soins et de recherche. L’inscription dans ce contexte d’un Chu dans un seul groupement hospitalier de territoire (GHT) ne doit pas négliger la recherche ou l’enseignement et leurs implications dans les actions de terrain. Sans parler de la permanence des soins ou la question de la démographie médicale. Tout GHT ne comprenant pas un CHU en son sein, devrait contracter un lien conventionnel obligé avec le GHT qui comprendrait un CHU. Dans l’état actuel de rédaction du projet de loi, on pourrait craindre une banalisation de la dimension hospitalo-universitaire réduite à la seule dimension hospitalière. Ce serait une perte de substance si l’on se réfère aux autres missions des CHU. Le CHU participe au rayonnement de la médecine française. C’est le lieu de premières médicales mondiales et de dynamiques scientifiques fortes. D’où l’articulation entre les deux sujets.
D. S. Comment renforcer l’attractivité des CHU à l’international ?
Ph. D. Nous avons deux enjeux. En premier lieu, il nous faut déverrouiller les conditions d’accueil des étudiants et des professionnels étrangers. D’autre part, la promotion des CHU à l’international doit être menée sur un mode à la fois plus offensif et professionnel. La possibilité doit être créée d’ouvrir des comptes à l’étranger.
D. S. Quels sont les verrous à faire sauter ?
Ph. D. D’abord le filtrage à l’entrée des étudiants avec l’aménagement de la politique de visas est aujourd’hui très dissuasive. En ce qui concerne la coopération à l’international, les CHU devraient être autorisés à créer des filiales d’intérêt commercial. Cela participe au rayonnement de la médecine française à l’étranger.
D. S. La nouvelle carte des régions induira-t-elle une réduction du nombre des CHU ?
Ph. D. Il est clair que le passage de 22 à 13 régions conduit à s’interroger sur le dimensionnement des CHU tels qu’ils existent aujourd’hui. Une politique de rapprochement entre structures s’avère inévitable au niveau régional, voire interrégional. Cela ne passe pas obligatoirement par une réduction du nombre d'établissements mais par une organisation institutionnelle différente de l'entité CHU.
D. S. Vous pointez la progression importante de la chirurgie ambulatoire au cours des dernières années. Mais les CHU dans ce domaine n’étaient-ils pas les mauvais élèves de la classe?
Ph. D. Doit-on rappeler que les CHU prennent en charge tous les patients qui sont récusés par les autres structures ? On ne peut comparer la clinique qui réalise une part prépondérante de son activité avec une chirurgie programmée de type cataracte avec les CHU où, par exemple, est mise au point une chirurgie ambulatoire viscérale de haut niveau sur un patient âgé polypathologique. Arrêtons donc les comparaisons simplistes.
D. S. Mais les CHU sont-ils toujours aussi innovants sur le plan organisationnel que sur le plan médical ?
Ph. D. Des réformes de structure sont menées actuellement en profondeur dans les 32 CHU. La chirurgie ambulatoire est une priorité évidente. Et se développe dans toutes les spécialités. Un signe clinique fort de notre dynamisme en matière organisationnelle est l’intérêt manifesté par de nombreux pays étrangers à notre mode de management. Nous signons un nombre important de contrats de coopérations sur ces enjeux de management avec des pays d’Amérique latine ou situés dans la zone Asie-Pacifique. Comme domaine d'expertise on peut citer à titre d’exemples l’optimisation des plateaux techniques ou la réduction de la dimension hôtelière de l’hôpital.
D. S. Quel est l’avenir des CHU alors que la réduction du nombre de lits s’avère inévitable ?
Ph. D. Le CHU deviendra pour l’essentiel un plateau technique avec une confluence transdisciplinaire de spécialistes de haut niveau sur le triptyque soins, enseignement et recherche. Les cathédrales immobilières sont appelées à disparaître progressivement. Elles seront remplacées par des organisations, certes complexes, mais à dimension scientifique et médicale de haut niveau. La mission de tête de réseau du CHU dans le parcours de soins devient prioritaire, non seulement avec les autres structures publiques, mais aussi en lien avec les autres opérateurs de santé.
D. S. Quel est votre regard sur les protestations affichées par les syndicats de médecins hospitaliers ?
Ph. D. Les points de friction sont en fait peu nombreux. Lors de la rédaction du rapport sur le bilan de fonctionnement des pôles par les présidents des conférences hospitalières à la demande de la ministre, nous avons constaté que les réformes de la gouvernance de 2000 ont été largement adoptées par les praticiens dans le quotidien du fonctionnement de nos hôpitaux. Il y a eu un effet de loupe sur le ressenti de quelques situations particulières. On peut noter des positionnements différents entre les présidents de CME et les syndicats de praticiens hospitaliers. Dans leur rapport à la ministre nos conférences ( directeurs et présidents de CME) ont établi une liste de 19 propositions d’aménagement de la gouvernance. Elles correspondent pour l’essentiel à des pratiques déjà en place si l’on prend l’exemple du contreseing de la nomination du chef de pôle ou des contrats de pôle. Elles ne soulèvent aucune difficulté conceptuelle ou opérationnelle. Ces nouvelles dispositions ne relevaient pas de la loi mais de dispositions réglementaires et du règlement intérieur. La ministre (de la Santé) a toutefois préféré les inscrire dans la loi pour leur donner plus de force symbolique. Mais ces aménagements ne revêtent pas un enjeu essentiel pour les directeurs d’hôpitaux. Ce qui sera dans la loi ne fait que confirmer la pratique et c’est heureux.
D. S. Les cliniques privées appellent à une grève illimitée à partir du 5 janvier 2015. Les CHU seront-ils en capacité d’accueillir de nouvelles urgences ?
Ph. D. Les CHU et l’hôpital public feront face comme d'habitude. En 2014, les cliniques privées avaient utilisé les élèves infirmiers comme chair à canon pour négocier avec les pouvoirs publics sur des thématiques qui n’avaient rien à voir avec les intérêts des étudiants. Désormais, leurs responsables engagent un procès d’intention sur le projet de loi de santé censé rouler pour l’hôpital public, alors que ce n’est pas, on l’a dit, une loi hospitalière. On peut s’interroger sur la légitimité des prétextes de revendications de la FHP. Ce mot d’ordre est totalement contraire à l’esprit et à la lettre de ce que sont les missions d’intérêt général et les obligations de service public, notamment en ce qui concerne l'obligation de continuité du service. Peut-on les croire quand dans le même temps ils prétendent vouloir les assurer ?
D. S. Vous soulignez l’existence d’injonctions contradictoires dans les missions assignées aux CHU. Quelles sont-elles ?
Ph. D. Sur l’accueil des patients étrangers, on met en avant la nécessité d’adapter l’encadrement législatif et réglementaire. Dans le même temps, nous avons à régler nos propos obstacles culturels. Lors de l’accueil de patients étrangers solvables, nous sommes immédiatement confrontés à la mise en avant de concepts de type égalité d’accès, de traitement, de prise en charge de la précarité. L’un n'exclut pas l’autre. Nous avons des contradictions à résoudre qui sont de notre fait.
D. S. Avez-vous fixé des objectifs financiers en ce qui concerne l’accueil des patients étrangers ?
Ph. D. Nous n’avons pas d’objectifs chiffrés. Si nous dressons un bilan comptable des revenus financiers générés par l’accueil des patients étrangers, nous arrivons à un montant de 120 millions d’euros au mieux. Le chiffre d’affaires en Allemagne sur le même sujet s’élève à deux milliards d’euros. Cela nous donne une idée du chemin à parcourir.
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