L'accord sur les médicaments du 30 août est « un facteur d'espoir », a commenté le commissaire européen chargé du commerce, Pascal Lamy. « Nous avons réglé la partie du problème qui était relative au droit commercial international des brevets : c'est 10 % du problème. »
Qualifié d'historique, cet accord met fin aux discussions de l'après-Doha qui auraient déjà dû aboutir en décembre 2002. L'enjeu portait sur la mise en uvre et les modalités d'application des licences obligatoires (paragraphe 6 de la déclaration de Doha). La licence obligatoire permet à un Etat membre de l'OMC d'autoriser la fabrication et la vente d'un produit breveté par une personne désignée par cet Etat, sans l'accord préalable du titulaire du brevet. Les pays qui n'ont aucune capacité de production (pays en développement les moins avancés) étaient exclus de fait, puisque l'accord tel qu'il a été formulé à Doha empêchait toute exportation large des produits ainsi fabriqués.
L'accord signé le 30 août permet désormais à un pays n'ayant pas de capacité de production (pays importateur) de faire appel à un pays producteur (pays exportateur) à qui est délivrée cette licence obligatoire. Une simple notification au conseil des ADPIC est désormais requise pour les deux parties. Le texte adopté reprend le précédent texte du 16 décembre qui avait été refusé par les Etats-Unis mais est complété d'une déclaration interprétative du président du conseil général de l'OMC. Cette dernière lève les ambiguïtés du premier texte : sur les produits concernés (tous les produits brevetés, y compris les matières premières et les kits diagnostiques), sur les modalités d'application (procédure de notification). Le texte appelle à la « bonne foi » des pays demandeurs, afin d'éviter un usage industriel ou commercial des produits obtenus dans ce cadre et de respecter l'esprit de Doha qui voulait apporter une réponse aux situations graves de santé public. Et les Etats qui auront recours à la licence doivent prendre les mesures pour éviter tout détournement des produits vers des marchés parallèles.
Un nouvel environnement
Le Dr Pierre Le Sourd, président du Laboratoire Bristol-Myers Squibb et futur président du LEEM (les Entreprises du médicament), se réjouit, lui aussi, de cet accord qui définit un nouvel environnement. « Le fait que ces licences obligatoires soient encadrées dans une politique de santé publique, avec l'accord des gouvernements, et soient assorties des mesures antidiversion appropriées laisse augurer d'une nouvelle dimension dans la capacité de prendre en charge les pandémies, comme celles du sida. » Mais au LEEM, on rappelle que 95 % des médicaments essentiels pour des maladies qui tuent encore dans les pays en développement ne sont pas ou ne sont plus sous brevet. « Les conditions locales sont au moins aussi importantes que la capacité de mettre à disposition les médicaments », souligne le Dr Le Sourd. Plus que l'accès des pays aux médicaments, il faudrait parler de l'accès du malade pour lequel des prérequis sont indispensables : les structures de soins, le nombre et la répartition des personnels de santé, comme le comportement des patients en sont des éléments importants.
« L'objectif est donc bien de structurer et de construire non pas des opérations ponctuelles, mais des programmes pérennes qui continueront de vivre au-delà de l'action initiale qui a permis de la mettre en uvre. Et ce, grâce à la collaboration de l'ensemble des acteurs de santé, des politiques, des associations de patients et des ONG », poursuit le Dr Le Sourd. De ce point de vue, « nous devons continuer à nous impliquer dans les programmes access qui peuvent aussi favoriser l'implantation des génériques. Il ne faut pas opposer les deux programmes, car access est le programme qui a aujourd'hui permis de traiter le plus de patients ».
L'accord représente une nouvelle option pour les Etats du Sud. Ils pourront également avoir recours aux licences volontaires, accordées par les laboratoires à un producteur local, comme cela se fait déjà au Brésil ou encore pourront négocier des prix différenciés dans le cadre d'accord avec un laboratoire. Pour l'industrie pharmaceutique, le maintien de l'innovation et de la recherche demeure une préoccupation essentielle, notamment grâce à des partenariats public/privé, tels qu'ils sont développés à travers des organismes comme l'ANRS pour le sida. La reconnaissance par les pays développés de la notion de prix différenciés et celle d'une participation de l'industrie à la solidarité internationale apparaissent, de ce point de vue, importantes.
Les grandes dates de l'accord
1994 : création de l'OMC - signature des accords dits de Marrakech, dont les accords ADPIC (accords sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce).
1995 : entrée en vigueur des accords de l'OMC ; les ADPIC imposent aux pays développés de mettre en place une législation sur la protection par brevets, notamment des produits pharmaceutiques. Période de transition de quatre ans pour les pays en développement et de dix ans pour les pays les moins avancés.
Novembre 2001 : conférence interministérielle de Doha. Déclaration sur la santé publique le 14. Report jusqu'en 2016 de la période de transition pour les pays en voie de développement.
16 décembre 2003 : proposition de compromis (texte Motta) accepté par tous les pays sauf les Etats-Unis.
30 août 2003 : accord sur l'application du paragraphe 6 pour les pays n'ayant pas de capacité locale de production.
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