Coup de tonnerre dans un ciel serein... En février dernier, le baromètre de l’accessibilité de l’APF (Association des paralysés de France) met les pides dans le plat... Et le doigt sur les difficultés rencontrées par les handicapés pour pousser la porte d’un médecin. Autant dire, qu’à deux ans et demi de l’échéance de 2015, de nombreuses blouses blanches doivent s’interroger. « La question que doivent se poser les médecins, résume Marie Prost-Coletta déléguée interministérielle à l'accessibilité, c’est : «est-ce que mon local me permet d’accueillir tous les publics? ». La loi Handicap de 2005 vise à garantir une vie citoyenne à tous afin de ne pas se sentir rabaissé ou en situation de dépendre de quelqu’un d’autre pour accomplir des actes simples de la vie, comme celui de consulter un médecin. Si le médecin ne peut pas répondre à une problématique, des solutions sont envisageables, mais cela ne le dispense pas de répondre aux autres problématiques de l’accessibilité». Autrement dit, la loi sera peut-être adaptée au cas par cas, mais les aménagements des cabinets pour les rendre accessibles auront un coût pour les médecins, comme pour tous les établissements recevant du public (ERP).
Quel coût exactement ? C’est plus complexe à évaluer, mais une chose est sûre, il ne sera pas facile de passer au travers de ces nouvelles obligations. « Ce qui est demandé aux médecins, comme aux autres ERP, c’est avant tout d’améliorer l’existant, explique Michel Razafimbelo, correspondant accessibilité du Val d’Oise, nous sommes là pour discuter avec eux des aménagements à réaliser et pour les accompagner vers les bonnes démarches, notamment en matière de demande de dérogation quand c’est nécessaire ». Dérogation, le (gros) mot est lâché, bien que souvent mal ou réinterprété. Explication de texte. « Il ne peut pas être accordé de dérogation aux professionnels qui ne réalisent pas de travaux, » indique Michel Razafimbelo. Mais sans travaux, à moins qu’il ne réponde déjà aux exigences de la loi, un cabinet ne peut pas être rendu accessible, or il doit l’être au 1er janvier 2015. Les dérogations sont donc à comprendre comme l’exception, accordée pour des raisons tangibles: impossibilité technique, conservation du patrimoine architectural ou disproportion manifeste du coût d’un aménagement…
Certes, il est possible de spéculer à l’envi sur la manière dont seront délivrées ces dérogations par le préfet, sur avis conforme de la CCDSA (Commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité). Mais l’essentiel (et l’urgence), c’est surtout de se mettre en marche pour transformer et améliorer son cabinet d’ici fin 2014, soit dans à peine plus de deux ans et demi. « Avant de demander des devis sur ce qui effraie le plus les médecins, c’est-à-dire l’absence d’ascenseur, il y a beaucoup de choses simples et de bon sens à faire, pour améliorer l’accessibilité de son local », explique Maxime Camarra architecte DPLG investi dans l’association Handiacess en Lorraine. « Les aménagements pour faciliter l’accès des personnes en situation de handicap auditif par exemple peuvent être assez simples : un affichage approprié ou une boucle magnétique pour améliorer la réception des appareils auditifs».
Pour se faire une idée précise des aménagements à engager, les cabinets médicaux ont tout intérêt bien qu’ils n’y soient pas obligés en tant qu’ERP de 5e catégorie à un diagnostic accessibilité auprès d’un architecte ou d’un bureau d’études. « Cela permet d’avoir l’avis d’un professionnel sur l’évaluation de l’existant, de recevoir des propositions d’aménagements et de disposer d’un chiffrage des travaux », poursuit Maxime Camarra. Libre ensuite au médecin de solliciter des devis auprès de plusieurs professionnels du bâtiment pour la réalisation effective des travaux ».
C’est sur cet accompagnement pas à pas des médecins que l’Ordre a prévu de se pencher après la finalisation du guide à destination des professionnels de santé à paraître avant l’été (voir encadré). « Nous voulons organiser à titre ordinal et syndical via les URPS des possibilités d’accompagnement des professionnels vers des organismes spécialisés compétents, indique André Deseur, président de la Section exercice professionnel du Conseil national de l’ordre des médecins, afin qu’il soit possible tout à la fois de participer à l’effort envers les personnes handicapées et à mobilité réduite, mais aussi les personnes avec des poussettes ou tout simplement en béquilles, tout en aidant les médecins à réaliser d’une part les aménagements nécessaires et d’autre part les demandes de dérogation lorsqu’elles sont légitimes et argumentées».
Des solutions à tous les niveaux
« Il n’est pas question de s’opposer au principe d’accessibilité des locaux, affirme de concert le Dr Pierre Levy, secrétaire général de la CSMF, et si les médecins font preuve de bonne volonté, des solutions vont se trouver à tous les niveaux ». À la Conf’, des inquiétudes pointent cependant. « Pour les jeunes médecins, la question ne se pose pas, il s’agit d’un investissement pour l’avenir. Nous percevons par contre un réel problème pour la tranche des 55-60 ans qui sont davantage sur une phase de réduction de leur activité. Il va être difficile de leur demander de poursuivre leur activité, facilitée grâce au dispositif de cumul emploi-retraite, si les aménagements à réaliser représentent un coût trop important. On cite beaucoup les immeubles classés parmi les demandes de dérogation, mais il y a aussi de nombreux cabinets installés dans des quartiers de type HLM pour lesquels les aménagements ne sont pas simples à opérer. Les répercussions possibles sur la démographie médicale ne sont pas à négliger ».
La question est particulièrement problématique « en centre-ville » indique le Dr Olivier Aynaud Vice-président Délégué pour la Santé de l’UNAPL. Auteur d’un rapport pour le CESER sur la démographie médicale en Ile de France, il estime qu’« il serait pertinent d’étudier les possibilités d’aide technique ou logistique de la part des collectivités territoriales ou de l’ANRU pour réussir à garder des médecins en centre-ville ou dans les quartiers fragiles. Si la loi devait être appliquée de manière trop autoritaire, les patients devront aller consulter massivement dans les périphéries des villes».
C’est justement sur la façon dont sera appliquée la loi au cas par cas que les incertitudes planent et ce pour quelques années encore. « L’administration n’a pas été mandatée pour contrôler l’application de la loi, rappelle Marie Prost-Coletta déléguée ministérielle à l'accessibilité, le juge lui le pourra ». C’est en cas de plainte d’une personne ou d’une association que pourront se déclencher des procédures. « Le schéma classique d’une plainte, rappelle Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences à la Faculté de Droit de Nancy spécialisé sur le handicap en matière pénale, c’est que le procureur de la République décide ou non de poursuivre. Les consignes qui seront données aux procureurs seront décisives. Il est toujours possible de contourner ce schéma en déposant plainte avec constitution de partie civile devant un juge d’instruction ou encore par voie de citation directe du contrevenant, mais je pense et j’espère que des solutions de médiation entre les parties vont voir le jour». Suivre l’application de la loi sur le terrain va être « une priorité », indique Bruno Deloffre, vice-président de MG France. « Nous allons veiller à ce que les décisions prises par le préfet, sur avis conforme de la CCDSA, soient équilibrées et sans écarts flagrants d’un département à un autre.
Un autre point de vigilance est la composition et le fonctionnement des CCDSA qui n’ont pas à ce jour de représentants des professions de santé ». Jean-Baptiste Thierry rappelle à ce sujet que cette décision du préfet est attaquable devant les tribunaux administratifs. « Et c’est à partir de la jurisprudence de la justice administrative que se préciseront véritablement les détails de l’application de la loi. C’est par exemple la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui a tranché la question en affirmant qu’un cabinet de kinésithérapie est bien un ERP de catégorie 5 ».
Plate-forme téléphonique en Lorraine
Pour sortir de la logique répressive du bâton, d’autres voies sont possibles, à l’image d’une des initiatives du réseau Handi-Access fondé à l’initiative de l’URPS et des Ordres de Lorraine. Un annuaire des professionnels de santé recense tous les aménagements proposés par les cabinets « afin d’aider les personnes en situation de handicap à s’orienter, indique le Dr Michel Pasdzierny, président du réseau Handi-Access, mais aussi les professionnels à échanger sur leurs aménagements et à créer une dynamique positive». Handi-Access propose par ailleurs des formations aux professionnels de santé sur la question de l’accessibilité avec des interventions croisées d’architectes, de juristes, de l’administration et d’associations de personnes en situation de handicap. Se développe ainsi à Nancy un projet de plate-forme téléphonique adapté aux situations de handicap des malentendants et des sourds profonds « qui va permettre aux personnes déficientes auditives de prendre des rendez-vous de manière totalement autonome », indique Geneviève Mauguin, directrice de l’Urapeda Alsace-Lorraine. « Plus de professionnels rejoindront la démarche, plus le coût d’installation baissera. Il y a aussi des choses qui ne coûtent rien, comme installer un panneau avec une oreille barrée pour indiquer que le personnel d’accueil dans les cabinets est sensibilisé et en position d’aide pour ces patients ». Pour le Dr Philippe Magne, conseiller-expert politique de qualité de l'offre de soins de ville à la DGOS du ministère de la Santé, « tout ce qui permet de valoriser les aménagements déjà réalisés et les efforts réalisés par les médecins libéraux est bénéfique. Il est par exemple intéressant lors des démarches visant l’accessibilité pour les généralistes de mettre en avant les possibilités de visite à domicile pour certains publics. Cela n’exonère en rien l’obligation d’avoir un cabinet accessible, mais cela participe à la démarche et montre tout ce qui est déjà fait pour faire tomber les obstacles». Et les mesures fiscales d’aides aux aménagements ? Bien que réclamées par les syndicats de médecins, les interrogations quant à leur faisabilité en plein contexte électoral sont trop importantes pour en faire un véritable cheval de bataille.
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