Accès direct du patient à son dossier : quel rôle pour votre informatique ?

Publié le 04/12/2002
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« Docteur, je veux mon dossier. » Cette demande exprimée comme un droit, les praticiens sont peu habitués à l'entendre. Même s'ils sont habitués à communiquer tout ou partie de leurs dossiers médicaux. Le droit d'accès au dossier est prévu par la loi depuis longtemps, mais par l'intermédiaire d'un médecin. Le problème n'est donc pas de communiquer le dossier mais de savoir à qui et sous quelle forme. Tout se passait généralement entre confrères. En posant le principe d'un accès direct, la loi du 4 mars et le décret d'application du 29 avril, qui en fixe les modalités, changent sensiblement la donne. Les droits du patient sont reconnus et l'on a pu craindre que, avec l'écho médiatique qui leur a été donné, les patients ne soient tentés de les exercer.

De fait, les hôpitaux ont vu croître les demandes de communication de dossiers (voir encadré). Mais il ne s'est rien passé de tel dans les cabinets médicaux, ce que confirme un article paru dans « le Quotidien » du 26 novembre.
De l'avis des médecins interrogés, dans la pratique médicale courante, les occasions de communiquer une partie ou la totalité de son dossier médical à un patient ne sont pas nombreuses (voir encadré).

Les raisons de communiquer

Selon les médecins (tous informatisés) du forum Fulmedico*, qui ont répondu à notre enquête, les raisons de communiquer un dossier sont multiples :
• pour la totalité du dossier (peu fréquent), ce sont :
- les déménagements,
- la transmission du dossier à un autre médecin ;
• pour des élements du dossier, il peut s'agir de :
- une copie de la dernière lettre du spécialiste (très fréquent),
- une copie de comptes rendus opératoires ou d'hospitalisation,
- une communication sur les médicaments pris antérieurement,
- l' exigence de compagnies d'assurances,
- la tenue d'un dossier à titre personnel,
- une copie avant de partir en vacances ou en voyage (souvent).

* Forum de la fédération des utilisateurs de logiciels médicaux communicants, fulmedico2000@yahoogroupes.fr.

Dossier imprimable

Si le médecin imprime un dossier, c'est bien souvent pour un autre confrère : « En pratique, j'imprime chaque jour des résumés de dossiers plus ou moins complets à destination de mes correspondants spécialistes, des médecins-conseils ou pour moi-même en visite », explique le Dr René Jarousse, équipé avec Coccilog.
De toute façon, actuellement, pour communiquer tout ou partie du dossier, le médecin l'imprime sur du papier.
Tous les logiciels permettent cette impression avec plus ou moins d'ergonomie : le médecin peut imprimer la totalité (dans le cas d'un déménagement du patient) et en passant par l'aperçu avant impression, va supprimer des données redondantes ou non communicables (Eglantine).
Avec Medigest, l'édition du dossier se fait soit dans sa totalité (fastidieux si le dossier est gros, car il faut effacer les commentaires indésirables), soit de façon sélective en choisissant les éléments. Dans Hellodoc, une procédure permet de cocher les éléments que l'on ne veut pas voir apparaître. Dans Axisanté ou Fisimed, c'est le contraire, on coche ce que l'on veut imprimer. Fisimed permet un tri par sujet : les épisodes pulmonaires, par exemple. Chez 123 Santé, l'on peut installer, en cochant, des filtres par catégorie ou sur une période ou bien utiliser la recherche multicritères. Le module impression de MediMust permet une sélection un peu fastidieuse qui « va devenir plus précise », assure l'éditeur MustInfo. Coccilog et Medicawin impriment la totalité du dossier ou une synthèse lisible.
Avec Megabaze, le médecin paramètre, une fois pour toutes, plusieurs modèles d'impression (totalité, admission clinique, résumé ne comportant que les informations les plus récentes), ce qui fait gagner du temps par la suite.
Certains logiciels proposent une fonction résumé ou synthèse : la nouvelle version de Medistory 3 fournit un résumé éclairé ou des synthèses thématiques reprenant les éléments clés du dossier.
Les éditeurs affirment qu'il existe dans leur programme une zone où le médecin peut inscrire des notes personnelles (qui ne font pas partie de la formalisation du dossier), ainsi qu'une zone pour les informations non communicables (recueillies auprès des tiers). Les logiciels de Cegedim répondent à ces deux obligations. Avec Hellodoc, c'est une page de notes non transmissibles. Dans Eglantine, elle sera verrouillable par mot de passe dans un proche avenir. Médimust conseille au médecin d'utiliser le champ nommé « pense-bête » qu'il peut choisir de ne pas imprimer. Pour Médicawin, il s'agit de la zone dite des « observations » et pour Coccilog de la fenêtre « Questionnaire complémentaire » qu'on ne peut imprimer que par copier-coller. Avec Fisimed, c'est lors du paramétrage que l'on définit cette zone.
Parfois, le dossier est exportable, et peut être mis sur disquette (en l'absence de chiffrement, l'envoi par mail n'est pas recommandé). Eglantine prévoit un export au format XML. Dans Hellodoc, le médecin peut enregistrer le dossier préparé au format RTF (traitement de texte) ou HTML. Megabaze enregistre au format Word ou texte. 123 Santé utilise Word. Axisanté propose, pour les échanges entre confrères, d'utiliser le module AxiMessage sécurisé et signé. Dans Coccilog, seuls certains documents sont exportables (fiches administratives, courriers).
L'accès du patient à son dossier via Internet est déjà possible dans quelques réseaux de soins. Des études sont en cours entre France Télécom, Almerys et Axilog pour la création d'une plate-forme sécurisée accessible au patient par l'intermédiaire d'une carte à puce. Fisi évoque Fisiweb, un futur Intranet sécurisé où le patient aurait accès à son dossier (un test va démarrer dans la région Sud-Ouest).
Quant à l' élaboration et à la validation du dossier, elles sont le plus souvent fonction de la saisie du médecin : plus il utilise de symboles et d'abréviation, plus la restitution paraît problématique.

Dossier opposable

Une telle impression n'a cependant aucune valeur légale, comme le fait remarquer le Dr Jean-Jacques Fraslin : « Contrairement au dossier papier, il n'y a aucun mécanisme qui authentifie la qualité et l'authenticité des informations médicales contenues dans le dossier patient. Si le dossier est demandé au médecin dans le cadre d'une procédure de contentieux médico-légal, rien n'interdit au médecin d'effacer ou de modifier, avant diffusion, le contenu du dossier. » Certes, en cas de procédure judiciaire, il serait toujours possible à un informaticien chevronné d'aller détecter les traces de modifications dans le disque dur du médecin.
Quelques logiciels avaient d'ailleurs déjà trouvé des remèdes simples à ce problème : le logiciel Applimed du Dr Elzière, shareware de gestion de cabinet, permet par exemple de verrouiller les enregistrements à visée médico-légale ; sur Ordovitale, l'historique d'un patient ou par date n'est pas modifiable.
Mais la meilleure démarche est évidemment que tous les documents présents dans l'ordinateur soient datés et signés. Pour le moment, deux logiciels se sont préparés à cette grande mutation. C'est le cas de Médistory 3 de Prokov Editions (voir le banc d'essai paru dans « le Cahier » du 24 octobre). « Nous avions anticipé les nouvelles dispositions de la loi du 4 mars depuis les états généraux de la santé, dans la conception de Medistory 3, explique Thierry Kauffmann ; cette loi, au même titre que l'arrêt Perruche,ou la création de l'ONIAM, analyse l'éditeur, marque la fin d'une certaine bonhomie dans les relations médecins-patients. Pas encore dans la forme, mais déjà au fond. Nous pensons que le dossier de santé peut être un rempart à certains débordements judiciaires. »
Chez Cegedim Logiciels Médicaux, on tient un discours similaire en présentant Crossway Ville, sur lequel doit migrer progressivement l'ensemble du parc (23 000 utilisateurs). « Les nouvelles lois imposent au médecin de nouvelles obligations et un nouvel environnement de travail, fait-on valoir, la relation avec le patient se contractualise avec un risque juridique grandissant, les réseaux de santé se développent. »
Dans Crossway Ville, le dossier est structuré en partie privée (conservée par le médecin), partie partagée (transmissible à la communauté médicale), partie patient (destinée au patient). La traçabilité de l'information est assurée ainsi que la pérennité des données contenues dans les dossiers médicaux juridiquement opposables.
Chez d'autres éditeurs, l'évolution est en cours. « Nous avons étudié les dispositions de la loi et suivons de près comment cela modifiera les relations praticiens-patients et l'impact sur le dossier médical informatisé », souligne Nicolas Vatimbella (Eglantine Informatique). CRIP (Medicawin et Coccilog) travaille sur les problème d'authentification et de signature. FISI aussi. « Nous avons lu la loi et considéré que, dans un premier temps, Hellodoc répondait en partie à cette demande, affirme Philippe Minault, d'Imagine Editions ; nous allons continuer à améliorer cette partie afin de satisfaire complètement à la réglementation .»

Que doit-on communiquer ?

Selon l'article L1111-7 du code de la santé publique, toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé qui sont formalisées et qui ont contribué à l'élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou d'une action de prévention ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé.
A l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers (informations données par la famille, une assistante sociale, un enseignant, etc). Le fait que ces informations proviennent d'un tiers doit être mentionné en regard, ce qui aura pour effet de les rendre non communicables.
Qu'est-ce qu'une information formalisée ? La loi ne le précise pas, mais lors des débats, le ministre de la Santé a affirmé que « les notes qui président à la rédaction définitive du dossier, les notes d'un étudiant ou les réflexions d'un médecin - cas de la psychiatrie, par exemple - ne font pas partie de la formalisation du dossier ». Les informations formalisées accessibles au patient doivent donc s'entendre comme présentant un certain degré d'élaboration et de validation.

D'après la rubrique juridique du « Bulletin du Conseil national de l'Ordre des médecins » de septembre 2002.

Une aide pour le médecin

Au total, l'informatique médicale peut-elle ou non apporter une aide au médecin pour communiquer le dossier médical ? « Oui, dit le Dr Yves Adenis-Lamarre, en restant dans le cadre où le médecin ne triche pas, ne camoufle pas ses données. »
« Non, lui répond le Dr Jean-Jacques Fraslin, les possibilités d'extraction des informations médicales sont, d'une part, très limitées et, d'autre part, peu crédibles. Un export au format texte n'offre aucune garantie au niveau de la traçabilité des informations. » Et d'ajouter : « Quels seront les critères de sélection par le praticien des informations qu'il juge transmissibles ? »
La difficulté pour le médecin est d'éviter de communiquer les informations traumatisantes, comme cela lui est recommandé à l'article 35 du CDM. Cegedim a tourné la difficulté en laissant le médecin adoucir et commenter le résumé patient, tout en conservant ce qui a été saisi en amont, qui reste opposable.
Il n'en demeure pas moins, et l'on peut citer ici Cegedim Logiciels Médicaux, que même si le logiciel apporte une aide précieuse, « en dernier ressort, nous redonnons la main au médecin, qui est seul capable d'apprécier le patient dans sa globalité. Notre position est formelle : l'éditeur de logiciel ne peut pas et ne doit pas se substituer au médecin. »

Dans les hôpitaux : de 15 à 50 % de demandes d'accès en plus

La loi du 4 mars 2002 a suscité une demande accrue des patients dans les services de gestion des dossiers médicaux des hôpitaux. « En juillet-août, nous avons eu 25 % de demandes en plus »*, souligne-t-on au service des dossiers médicaux au CHU de Montpellier, qui estime que la moyenne sera de 15 % d'augmentation sur l'année 2002. Autre exemple, à l'hôpital européen Georges-Pompidou, les demandes sont passées de 6 à 15 par mois.
Quels en sont les motifs : parfois, une expertise (contentieux, accident), souvent, des raisons personnelles : pour comprendre le décès d'un enfant ou d'un proche, ou des ascendants (plus rares), recherche d'origine pour des personnes nées sous X (mais auxquelles l'hôpital n'a pas le droit de révéler le nom de la mère), etc.
Il faut bien voir qu'un CHU comme Montpellier (2 800 lits), avec des millions de dossiers archivés sur vingt kilomètres linéaires, reçoit 1 300 demandes de communication de dossier par an. Malgré l'informatisation du dossier patient depuis sept ans, en l'absence de signature électronique, seul le dossier papier a une valeur légale. Le dossier communiqué est donc une copie du dossier papier et parfois du dossier informatisé, considéré comme suffisant si l'on n'est pas dans le cadre d'une expertise ou d'un contentieux. La fourniture du dossier au patient est une charge pour l'hôpital, le forfait facturé (16,56 euros) ne couvrant pas les frais réels (40 euros). La direction des systèmes d'information du CHU attend donc beaucoup de la mise en place de la signature électronique qui permettra, à terme, de remettre au patient son dossier sur cédérom. Cela sera bientôt le cas pour les dossiers d'imagerie.

Marie-Françoise de PANGE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7233