De l'avis du secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, François Huwart, l'accès des pays en développement aux médicaments essentiels constituera « un sujet majeur », à Doha (Qatar), où les ministres du Commerce du monde entier, doivent se retrouver du 9 au 13 novembre pour une conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) visant à lancer un nouveau cycle commercial. Cette conférence intervient d'ailleurs en plein ralentissement économique global. Compte tenu des événements internationaux, elle est placée sous haute sécurité. En effet, 4 500 personnes, dont plus de 2 000 délégués gouvernementaux, et quelque 600 organisations non gouvernementales (ONG), issus des 142 Etats membres sont attendus à Doha.
La clause de sauvegarde
Depuis qu'elle a remplacé le GATT (accord général sur le commerce et les tarifs), il y a sept ans, l'OMC est devenue l'instrument indispensable des relations internationales et, de ce fait, la cible privilégiée des mouvements antimondialisation, qui l'accusent d'imposer à tous des règles uniformisées et décidées par les grandes puissances. Les accords commerciaux relatifs aux médicaments brevetés (1) et donc déterminants pour l'accès des pays pauvres aux médicaments essentiels relèvent de l'OMC. A Doha, les ONG devraient être très attentives à la souplesse des accords de l'OMC sur les politiques de santé que les pays en développement sont en droit de conduire face aux laboratoires pharmaceutiques et aux pandémies comme le SIDA.
Le débat va porter sur l'accord ADPIC, ou TRIPS en anglais, c'est-à-dire l'accord général sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce, qui protège les brevets accordés aux laboratoires pharmaceutiques pour une durée de vingt ans. Actuellement, l'accord ADPIC contient une « clause de sauvegarde » qui permet aux pays pauvres, en cas d'urgence nationale de santé, d'avoir recours à des mesures exceptionnelles. Citons parmi les mesures les plus employées le procédé des importations parallèles, qui consiste à se procurer des médicaments de marque auprès d'un pays tiers auquel les laboratoires concèdent des prix plus bas. Les pays en développement ont également recours aux licences obligatoires. Le cas échéant, le gouvernement du pays concerné autorise la production, la vente et l'importation d'un produit sans la permission du détenteur du brevet.
Puisque ces fenêtres existent, pourquoi mettre la question de l'accord ADPIC en débat lors de la conférence de Doha ? « Parce que les pays pauvres doivent absolument obtenir le soutien des pays riches pour se procurer les médicaments dont ils ont besoin. Ils veulent un document qui leur confirme qu'ils ont le droit d'utiliser ces mécanismes que vous citez, explique Daniel Berman, coordinateur de la campagne pour l'accès aux médicaments essentiels, à Médecins sans Frontières (MSF) . Actuellement, la façon d'utiliser ces mécanismes n'est pas clairement définie. A preuve : la plupart des pays qui ont recours, à juste titre, à ces
Protéger la santé publique
Bien qu'à Seattle (Etats-Unis), lors du dernier sommet de l'OMC en 1999, le président Clinton ait affirmé que, « face à des situations médicales graves, les Etats-Unis appliqueraient leurs politiques commerciale et de santé de manière que les populations des pays les plus pauvres » puissent avoir accès aux médicaments essentiels, les Etats-Unis se sont opposés, au début de cette année, à la mise en place au Brésil de licences obligatoires. Par ailleurs, 39 grands groupes pharmaceutiques ont fait valoir, devant les tribunaux, leurs droits commerciaux contre une loi sud-africaine favorisant l'accès aux médicaments génériques à bas prix. C'était en avril dernier. Les laboratoires ont finalement retiré leur plainte.
Traité dans une déclaration séparée à la conférence de l'OMC, le sujet se révèle comme l'un des plus épineux. Aucun consensus ne s'est dégagé au cours des multiples réunions spéciales à l'OMC, de profondes divergences opposant les délégations en deux clans. A la tête d'une cinquantaine d'autres pays en développement, le Brésil, appuyé par l'Inde, dit que « rien dans l'accord TRIPS ne peut empêcher les membres de l'OMC de prendre des mesures pour protéger la santé publique ». En clair, les pays en développement veulent que soit garantie la libre conduite de leur politique de santé, sans qu'ils soient attaqués devant l'OMC. « C'est la meilleure version, commente MSF, car elle met la santé devant tout. » Dans l'autre camp, les Etats-Unis, la Suisse, le Japon et le Canada notamment, s'opposent à une interprétation trop extensive de la clause de sauvegarde prévue par l'accord ADPIC, qui souhaite simplement que la souplesse soit reconnue, en particulier pour l'accès aux médicaments dans des crises sanitaires spécifiques, comme le SIDA et d'autres pandémies. Selon ces pays, la déclaration ministérielle ne devrait « ni ajouter ni diminuer les droits et obligations des membres au terme de l'accord TRIPS ».
La Fédération internationale de l'industrie du médicament (FIIM) a mis en garde contre un affaiblissement des droits de la propriété intellectuelle ; elle estime que le risque est de décourager la recherche. Selon Harvey Bale, directeur général de la FIIM, le risque existe que, faute d'un système de brevets efficace, il n'y ait plus de production de nouveaux médicaments de qualité. La solution préconisée par les pays en voie de développement « apporte de très sérieux doutes sur l'avenir de la recherche dans ce domaine », a-t-il estimé. Pour MSF, l'argument ne tient pas : « Le coût d'exploitation dans les pays pauvres est bas et permet donc des prix bas. »
Les ONG comptent beaucoup sur Doha pour consolider la position des pays pauvres. La force, selon elles, des pays en développement tient à leur nombre, une soixantaine, et de l'aveu même de l'OMC, d'autres qui attendent aux portes. De leur côté, les Etats-Unis savent qu'après l'accord trouvé en quelques jours entre Washington et le groupe pharmaceutique allemand Bayer pour réduire le prix de l'antibiotique contre le charbon, « les pays en développement peuvent légitimement avoir l'impression qu'il existe deux poids, deux mesures », a indiqué le secrétaire d'Etat au Commerce. En comparaison, il a fallu plusieurs années à certains Etats africains pour obtenir une diminution des prix des médicaments contre le SIDA.
(1) Médicaments fabriqués et vendus exclusivement par le laboratoire qui en détient le brevet.
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