U N tonnerre d'applaudissements, venu d'Afrique du Sud puis du monde entier, a salué l'abandon annoncé du procès des géants de l'industrie pharmaceutique contre l'Afrique du Sud (« le Quotidien » du 20 avril). « C'est une victoire, non seulement pour nous, mais aussi pour les peuples du monde entier », s'est exclamée la ministre de la Santé sud-africaine, Manto Tshabalala-Msimang.
C'est « un triomphe majeur » pour les pays en voie de développement, a renchéri I. S. Gilada, spécialiste indien du SIDA. « Réellement la victoire de David contre Goliath », pour Zackie Achmat, le directeur de TAC (Campagne sud-africaine d'accès au traitement).
« Une ère nouvelle de coopération entre les gouvernements et le secteur privé dans la lutte pour une meilleure santé dans tous les pays en développement » est annoncée par le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, qui fut l'artisan du dénouement amiable de l'affaire en négociant d'arrache-pied avec le président sud-africain, Thabo Mbeki. L'ONUSIDA a salué en l'accord « une bonne chose parce que cela permettra de remettre tout le monde au travail ». Et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'est « félicitée du règlement judiciaire » intervenu entre les parties.
Un signal d'espoir pour des millions de malades
L'Europe également a vibré à ce concert : « Nous pensons que c'est une grande victoire pour le peuple sud-africain, une décision essentielle qui aura des implications dans le reste des pays en voie de développement », s'est réjouie l'organisation caritative britannique Oxfam, alors qu'à Paris Médecins sans Frontières célébrait la « victoire majeure pour l'accès aux traitements des malades dans les pays en développement ». Côté politiques, le chancelier allemand, Gerhard Schroeder, « salue (...) le signal d'espoir pour des millions de malades du SIDA dans le tiers-monde ». En France, les Verts crient à la « victoire des ONG et de la morale internationale », le secrétaire général du PCF, Robert Hue, prenant des accents franchement lyriques pour chanter la « belle victoire du droit universel de se soigner contre la dictature du profit ».
Les compagnies elles-mêmes n'ont pas jugé bon d'introduire un bémol. Par la voix de Mirryena Deeb, la directrice de l'Association des fabricants de médicaments d'Afrique du Sud (PMA), les laboratoires se sont dits « très contents d'avoir trouvé une issue à cette impasse en vue de soigner les maladies transmissibles. Ce n'est pas une défaite, c'est un accord, un partenariat », a encore expliqué Mme Deeb, arguant de l' « engagement du gouvernement (sud-africain) que (les firmes) seront impliquées dans la rédaction des règlements d'application de la loi de manière à ce qu'ils soient compatibles avec les accords TRIPS* et avec la constitution sud-africaine ».« Les gagnants de cet accord sont les malades sud-africains qui ont besoin d'une recherche continue et améliorée, du développement et de la distribution des vaccins et de traitements de qualité », a même reconnu le directeur général de la Fédération internationale de l'industrie du médicament (IFPMA), Harvey Bale. Ce qu'a confirmé le directeur général de GlaxoSmithKline (GSK), le Français Jean-Pierre Garnier, qui a espéré « profondément » que les vrais gagnants soient les patients : « L'intention du gouvernement sud-africain de respecter les droits de propriété industrielle et d'engager des consultations lance les fondations pour un nouvel esprit de coopération (...) Ensemble, nous pouvons faire la différence dans la lutte contre l'épidémie de SIDA qui ravage l'Afrique du Sud », a affirmé le dirigeant du numéro un pharmaceutique mondial.
Résumant la nouvelle donne issue de Pretoria, le porte-parole de H. Lundbeck (médicaments neurologiques) juge qu' « il est maintenant possible aux malades du SIDA d'avoir accès à des médicaments vitaux moins chers, tout en maintenant les droits des brevets ».
Enthousiasmes douchés
Mais deux obstacles sérieux demeurent, et non des moindres. D'une part, le retrait de la plainte des 39 laboratoires n'ouvre pas forcément en grand la voie aux copies de médicaments. Plus d'une trentaine de pays du tiers-monde (parmi lesquels l'Inde, l'Argentine, le Brésil et l'Egypte) ont ainsi fait l'objet de pressions américaines pour contrer l'arrivée, sur leurs territoires, des génériques. L'article 301 de la loi américaine de 1988 sur le commerce peut les exposer à des sanctions commerciales en retour. Le deuxième obstacle est spécifique à l'Afrique du Sud : la ministre de la Santé y a quelque peu douché les enthousiasmes en rappelant les discours qui avaient défrayé l'opinion scientifique internationale, lors du Congrès mondial sur le SIDA, à Durban, en 2000 : « L'innocuité (des antirétroviraux) est une grosse inquiétude, a déclaré Mme Tshabalala-Msimang, en écartant l'idée d'une mise à disposition rapide des médicaments dans le service public de santé. Il y a des problèmes et nous n'avons pas les réponses, a-t-elle ajouté (...) Parlez aux gens qui sont (sous traitement) et ils vous diront leurs souffrances et les effets secondaires qu'ils subissent. »
Apparemment victorieux dans son bras de fer avec l'industrie pharmaceutique, le président Thabo Mbeki est aujourd'hui mis au pied du mur dans la lutte de son pays contre le SIDA.
*Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights, ADPIC en français (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce). Cet accord protège et codifie les droits d'auteurs et les brevets dans le cadre des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
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