De notre correspondant
Ce stock de 85 000 dents de lait avait été abandonné dans un local de la Washington University et ses dirigeants s'apprêtaient à le jeter à la poubelle.
Les dents avaient été rassemblées dans le cadre de la Baby Tooth Survey, une vaste étude épidémiologique dont les auteurs, pendant les années cinquante et soixante, voulaient évaluer les effets sur la population des retombées radioactives des essais nucléaires dans l'atmosphère effectués dans l'ouest des Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale.
Cent essais nucléaires
Après 1945, le gouvernement américain a fait procéder à 100 essais nucléaires dans l'atmosphère dans le Nevada. De son côté, l'URSS, elle aussi, a procédé à des essais dans l'atmosphère. En 1959, une association de Saint-Louis, le Greater St-Louis Citizens Committee for Nuclear Information, a lancé un appel à la population de la région pour qu'elle lui envoie les dents de lait des enfants.
L'opération a eu un succès considérable, malgré les efforts des autorités pour empêcher la réalisation de l'étude. D'une zone s'étendant sur un rayon de 240 km autour de la ville de Saint-Louis sont arrivées au total plus de 300 000 dents de lait, toutes dotées d'une enveloppe sur laquelle étaient inscrites les coordonnées de l'enfant. L'étude a été faite et elle a conclu que ces dents étaient plus ou moins fortement radioactives.
Et c'est sur la base de cette étude que le gouvernement américain a lancé avec l'URSS des négociations qui ont abouti à l'accord de 1963 qui interdit les essais nucléaires dans l'atmosphère.
C'est en 1958 que le directeur des National Institutes of Health (NIH), le Dr Herman Kalckar, a publié dans « Nature » un article suggérant de recueillir des dents de lait pour évaluer l'accumulation de la radioactivité dans le corps humain. Professeur de biologie à la Washington University, le scientifique Barry Commoner, immensément connu aux Etats-Unis pour sa défense de l'environnement, a lu l'article du Dr Kalckar et a lancé la Baby Tooth Survey qui a été financée par le Public Health Service, une agence fédérale, et la Leukemia Society of Missouri and Illinois.
Un immense projet
Le projet a fait fureur : associations de consommateurs ou de citoyens, universitaires, chercheurs, étudiants, clergé, autorités scolaires, dentistes, tous ont voulu apporter leur contribution à l'étude et ont organisé le recueil des dents de lait, en expliquant aux enfants qu'au lieu de donner leur dent à la « petite souris », ils l'offriraient à la science.
L'étude a été tellement populaire qu'il suffisait d'adresser la lettre à « Tooth Fairy, Saint-Louis » (1) pour qu'elle arrive aux chercheurs.
C'est un chimiste de Washington University, Harold Rosenthal, qui a conduit l'étude. Toutes les dents rassemblées ont été testées pour le strontium 90, une substance libérée par l'explosion d'un engin nucléaire et rapidement absorbée par le squelette des enfants. L'étude a démontré que le taux de strontium augmentait quand des essais avaient lieu et diminuait pendant les périodes sans essai. Et Rosenthal écrivit alors : « On ne sait pas quels effets ultérieurs l'accumulation du strontium dans le corps des enfants aura quand ils seront adultes. »
L'administration Nixon mit un terme au financement de l'étude en 1970. Et toute l'affaire fut oubliée jusqu'à ce jour de novembre où les 85 000 dents furent retrouvées par les autorités de Washington University. Mais un groupe de recherche, le Radiation and Public Health Project (RPHP), apprit que les dents allient être jetées et s'est interposé.
« Quand nous avons appris la nouvelle, nous n'en avons pas cru nos oreilles, raconte Joseph Mangano, coordinateur du RPHP. Ç'a été un cadeau de Noël anticipé. »
Une valeur irremplaçable
Car aujourd'hui, on va pouvoir retrouver les enfants devenus adultes et voir si les effets radioactifs sont durables ou éphémères. Décidé à jeter les cartons où les dents étaient entreposées avec leur identification, un administrateur de Washington University se ravisa et demanda à un professeur de biologie, Danny Kohl, si elles présentaient le moindre intérêt scientifique. Kohl, qui était au courant de l'étude lancée en 1958, répondit que les dents « avaient une valeur irremplaçable ». Il appela Barry Commoner, aujourd'hui à Queens College, à New York. Et Commoner demanda à Kohl d'entrer en contact avec le RPHP. Lequel va lancer la nouvelle étude, pour laquelle il cherche un financement.
(1) L'équivalent de la légende de « la petite souris » est une fée aux Etats-Unis.
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