Décision Santé. Vous avez annoncé que la stratégie nationale de santé lancée en 2014 devrait se dérouler sur une période de dix ans. Une réforme peut-elle être menée sur une période aussi longue ?
Marisol Touraine. Il faut du temps pour que notre système de santé se transforme durablement pour répondre aux évolutions telles que l’allongement de notre espérance de vie, la montée en puissance des maladies chroniques ou encore les contraintes financières – un paramètre parmi d’autres que l’on ne peut ignorer même s’il n’est pas au cœur de la réflexion. Mais cela n'exclut pas des mesures fortes, immédiates, qui sont nécessaires. Autrement dit, oui, la loi sur laquelle je travaille comprendra des éléments de refonte décisifs du système, dont certains effets ne seront définitifs qu'au bout de quelques années. Mais cela passe par des transformations décisives immédiates. Loin de moi l’idée de proposer une stratégie des petits cailloux dont les résultats se produiraient seulement dans dix ans ! Un exemple : les effets du pacte territoire santé contre les déserts médicaux, qui est une composante à part entière de la stratégie nationale sont déjà perceptibles. Les premiers résultats sont là ! Le nombre de maisons de santé a doublé. Nous avions annoncé le chiffre de deux cents contrats signés avec des praticiens territoriaux de médecine générale avant la fin de l’année 2013. Nous sommes déjà très près de l’objectif. D’ailleurs, comme ce dispositif se révèle particulièrement attractif, il sera renouvelé l’année prochaine. En ce qui concerne l’accès aux soins d’urgence en moins de 30 minutes, 430 médecins correspondants de Samu ont déjà été installés. Cinq nouveaux Smur sont en voie de déploiement. Des résultats tangibles, on le voit, peuvent être obtenus dans un temps bref.
D. S. La refonte du système de santé doit inclure la question de son financement et de l’articulation entre l’Etat et l’assurance maladie.
M. T. Je veux d'abord insister sur un point. Le système français, qui fait l’objet d’inquiétudes, est largement salué partout ailleurs ! Je le vérifie à chaque rencontre internationale. Cessons donc le discours qui confine à l’autodénigrement. Notre système doit être amélioré, aménagé, d'accord. Mais pour la qualité du système nous ne sommes pas pour autant à la traîne par rapport à nos voisins, au contraire ! Alors comment le transformer ? Plusieurs éléments doivent être pris en compte. Des efforts d’assainissement ont été accomplis. La situation financière reste néanmoins contrainte. Le financement doit donc être adapté. Je me refuse à ce que l’on appelle la politique du rabot, à savoir faire la même chose avec moins. Il faut en revanche faire mieux. Dès lors, des réformes de structure sont indispensables. Et ont commencé à être engagées. La stratégie nationale de santé les amplifiera. Cet effort de réorganisation exige-t-il une évolution dans les relations entre l’assurance maladie et l’État ? Je ne suis pas certaine de comprendre les différentes propositions qui circulent sur ce thème. S’il s’agit de dire qu’il ne doit y avoir qu’une seule politique de santé, j’y souscris bien sûr. On ne peut imaginer que l’assurance maladie mène une politique autonome. État et assurance maladie travaillent à une meilleure coordination de leurs actions autour des priorités de santé publiques, qui sont une.
Le socle, l’armature de notre système, est l’assurance maladie obligatoire et doit le rester. Ce qui implique une régulation forte et assumée des organismes complémentaires. Par ailleurs, l'un des grands enjeux de notre politique de santé est de répondre aux spécificités territoriales, dans le respect de l’égalité républicaine : les grandes orientations sont fixées par l’État, mais il peut y avoir des projets portés localement par les collectivités territoriales, par exemple. Celles- ci participent dès à présent au financement par exemple des maisons de santé, ou l’hébergement des étudiants en stage.
J'ajouterai enfin que le financement de la protection sociale s'inscrit dans le cadre de la remise à plat fiscale annoncée par le Premier ministre.
D. S. Que répondez-vous à la proposition du Cercle santé d’étatiser l’assurance maladie ?
M. T. Quel est le sens de ce genre de propositions au- delà de son effet médiatique ? L’assurance maladie dispose d’instruments, de réseaux, qui permettent à la fois de contractualiser avec les professionnels, d’accompagner les patients et de disposer de données utiles. Quel gâchis cela serait si nous devions jeter tout cela par-dessus bord! Pour le dire autrement, nous n’avons pas besoin de réformes administratives ou de la mise en place d’une nouvelle architecture. En revanche, nous devons procéder à la réorganisation du système dans l’intérêt des patients.
D. S. Dans cette nouvelle donne, l’hôpital est-il appelé à suivre un régime ?
M. T. Contrairement à ce que j'entends parfois, l'hôpital a déjà contribué de manière très forte aux efforts engagés. Nous devons maintenant réfléchir à la bonne articulation entre les secteurs hospitalier et ambulatoire. L’Ondam de ville pour 2014, légèrement supérieur à celui de l'hôpital, témoigne de notre volonté de traduire par des investissements spécifiques la révolution du premier recours.
D. S. Où en est-on de l’inscription dans la loi de la réaffirmation de la notion de service public hospitalier ?
M. T. Le processus passe par deux étapes. Nous avons été aussi loin que possible dans une loi de financement de la Sécurité sociale : la fin de la convergence tarifaire, c'est fait, la sanctuarisation des Migac aussi. Autant de gestes forts. Au delà, le caractère spécifique du service public hospitalier sera réaffirmé dans la loi sur la stratégie nationale de santé l'année prochaine. Cela ne doit pas être ressenti comme une "machine de guerre" dirigée contre d’autres acteurs, mais comme la reconnaissance d’une spécificité. Nous ne sommes pas dans une logique d'opposition. Chacun a sa place.
D. S. La question de l’encadrement des honoraires est-elle réglée ?
M. T. Une étape importante a été franchie. Le système est monté en puissance par étape. D’abord, je me réjouis que la signature de l’avenant N° 8 ait porté un coup d’arrêt à l’augmentation continue des honoraires abusifs. Un certain nombre de professionnels adoptent désormais des pratiques plus en accord avec la déontologie. Par ailleurs, l’assurance maladie poursuit les contrôles en direction des médecins qui exigent encore des honoraires très élevés, ou récusent les patients bénéficiaires de la CMU. Selon les cas, les sanctions seront prises.
De plus, les assurés bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé peuvent désormais consulter au tarif opposable des médecins qui pratiquent des dépassements. Enfin, des honoraires ont baissé dans certaines spécialités. Contrairement à ce que certains prétendent, nous sommes bien entrés dans une logique de maîtrise. C’est un accord gagnant-gagnant pour les médecins et pour les patients. Pour les médecins qui ont adhéré au contrat d’accès aux soins, les allègements de cotisations de charges sociales peuvent aller jusqu’à 4 300 euros. Dans le même temps, leurs patients seront mieux remboursés sur la base de 28 euros au lieu de 23 euros.
À cet égard, je rappelle que les médecins hospitaliers qui exercent une activité libérale sont également concernés par ce dispositif.
D. S. Y a-t-il eu des signatures ?
M. T. 621 médecins hospitaliers ayant une consultation privée pratiquant des dépassements d’honoraires ont adhéré à ce contrat d’accès aux soins. C’est un engagement important.
D. S. Comment renforcer alors l’attractivité des carrières à l’hôpital ? C’est une revendication des syndicats hospitaliers. Il y a pour les généralistes la révolution du premier recours. Pour les médecins hospitaliers, on n’en voit pas l’équivalent.
M. T. Le pacte de confiance à l’hôpital a été mis en place et s’est traduit par des mesures concrètes. Certaines statuts médicaux ont été revalorisés (praticiens hospitaliers à temps partiel, praticiens attachés…), le dispositif de gestion des comptes épargne temps a été pérennisé et amélioré... Et la gouvernance hospitalière a été corrigée pour mieux prendre en compte le rôle des médecins.
D. S. Mais il reste beaucoup de postes vacants.
M. T. Oui, mais pas dans tous les hôpitaux. La qualité des projets hospitaliers joue un rôle. Ainsi, les hôpitaux dynamiques, où l’insertion sur le territoire est satisfaisante, n’ont pas de mal à recruter.
D. S. Vous renvoyez la balle aux établissements…
M. T. Beaucoup de choses se passent dans les établissements. Il appartient au gouvernement de mobiliser autour d’un projet collectif, de donner confiance à l’hôpital. Il appartient ensuite aux établissements hospitaliers de mobiliser autour de projets d’équipes qui permettent de fédérer et d’avancer. L’hôpital a fait des efforts considérables au cours des années passées, Je le sais. Je suis très attentive aux situations de souffrance, de stress au travail. Et cela il faut y répondre par la concertation et le dialogue. Par exemple, lorsqu'avec le Pr. Carli nous mettons en place un travail sur les urgences, il s’agit à la fois de mieux répondre aux patients qui consultent, mais aussi de tenir compte des conditions de travail des urgentistes. Des mesures concrètes ont été mises en place établissement par établissement. L'amélioration de l'organisation de l'aval des urgences au sein des établissements de santé est un exemple concret d'amélioration des conditions de travail.
D. S. La grande réforme Touraine doit bien avoir lieu en avril 2014 ?
M. T. Je ferai en avril la restitution des débats autour de la stratégie nationale de santé qui ont lieu actuellement en régions. Et la loi sera prête pour la fin du premier semestre.
Retrouvez l’intégralité de l’entretien sur notre site www.decision-sante.com
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