COMME LA LANGUE D'ÉSOPE, Internet nous offre le meilleur et le pire.
Le meilleur, parce que le réseau électronique nous donne à tous la possibilité de nous exprimer et, comme Ségolène Royal a tenu à le faire savoir, il importe qu'un candidat soit à l'écoute de ses mandants éventuels ; en démocratie, une politique ne réussit que si elle est en phase avec les voeux exprimés par les citoyens.
Le pire, parce que, dans l'usage des libertés, on trouve inévitablement ceux qui en abusent dans des buts peu louables. Il existe une criminalité fréquente sur Internet dont chacun connaît maintenant les excès. Mais, sans aller aussi loin, il faut d'abord dire si, en politique ou dans tout autre domaine qui exige l'exercice de l'intelligence, l'absence de règles propres à Internet favorise l'information.
Les scoops d'Internet.
Pour les internautes, aucun doute n'est possible : aux Etats-Unis, par exemple, ce sont des navigateurs du Web qui, souvent, ont découvert des scandales ou même des erreurs commises par la presse. Internet apporte, grâce au nombre de ses adeptes, à l'immense variété de ses sources, à la rapidité des réflexes qu'il autorise, un complément salutaire à des médias qui ont, eux aussi, comme d'autres institutions, besoin d'être bousculés.
Selon l'âge des journalistes, selon la plasticité de leur esprit ou leur faculté à épouser le changement, le monde de la presse va vers Internet avec plus ou moins de réserves et d'hésitations, mais aussi avec la conviction ou la crainte qu'Internet change complètement la donne technique et économique qui le régissait naguère.
Le journalisme n'a jamais été un métier facile ; beaucoup de journaux sont déficitaires, surtout les grands quotidiens ; la pression des horaires, les difficultés multiples de la recherche de l'information, les aspects innombrables de la discipline, à la fois technique et artistique, la complexité croissante des dossiers qui n'exclut pas la nécessité de ne rien dire qui ne soit dûment vérifié, créent dans la profession un stress considérable. « Le Quotidien » qui publie tous les jours des articles scientifiques, professionnels et généraux subit, plus que d'autres encore, la dure condition de la presse quotidienne.
C'est quand même un métier.
La question ne porte donc pas sur l'adaptation des journalistes français aux nouveaux modes de communication créés par Internet. Elle porte sur la réalité de la concurrence entre la profession et ceux qui l'imitent. N'importe quel internaute peut détenir une information dont ne dispose aucun journaliste ; un peu comme ces photographes amateurs qui immortalisent un événement grave et inattendu auquel n'assistait aucun photographe professionnel.
APRES LA TELEVISION QUI A SIMPLIFIE LES DEBATS, INTERNET RISQUE DE LES PLONGER DANS LA VULGARITE
Il n'empêche que le journalisme est un métier et qu'un journalisme de qualité obéit aux règles qui le régissent. Un article de presse est toujours un travail en deux temps dans lesquels sont enfermés tous les ingrédients essentiels de l'intelligence : l'analyse (ou le recueil des informations) et la synthèse (ou la transcription de ces informations dans un ensemble cohérent). Ce n'est pas du tout ce que font les internautes, qui sont les véhicules de la pulsion, de l'émotion, du commentaire. Il n'y aura jamais en France autant de journalistes que d'internautes, mais il peut y avoir sur Internet soixante millions d'éditorialistes de qualité variable.
C'est excellent s'il s'agit de connaître d'autres opinions ; c'est dangereux s'il s'agit de s'informer. Encore un éditorialiste ou un chroniqueur professionnels s'efforcent-ils d'organiser une argumentation en s'appuyant sur des faits. On ne peut prétendre à cette qualité si on surfe sur le Web. Un commentaire peut ressembler à une fugue de Bach (si l'auteur a beaucoup de talent) ; on aura sur la Toile une immense cacophonie.
Internet a donc démocratisé un peu plus la démocratie parlementaire, mais il contient inévitablement ses pulsions populistes et démagogiques. Vous verrez, par exemple que, s'il arrive à un journaliste de commettre une inexactitude relative à un chiffre ou à une date, les internautes, eux, commettent une erreur par ligne. Ensuite, ils fondent leur raisonnement sur ces erreurs. C'est-à-dire que, au moment où la politique contient de l'économie, de la finance, des relations internationales, de l'écologie, des techniques en changement constant, au moment où le journaliste doit se livrer, notamment par la lecture, à une formation permanente, Internet simplifie les dossiers à l'extrême et renvoie une caricature de débat politique.
Cette année, la campagne se déroule relativement bien, elle semble passionner les Français, et on peut s'attendre à une plus grande participation électorale. Mais le danger qui pèse aujourd'hui sur l'évolution de toutes les grandes démocraties, c'est qu'on a mis Internet entre toutes les mains : un instrument très sophistiqué qui ne devrait convenir qu'aux personnes dotées d'une grande culture. Certes, le réseau électronique contribue à la vulgarisation des problèmes, mais il le fait en enfonçant le débat dans la vulgarité.
La télévision a souvent montré qu'elle ne peut pas élever la discussion quand on parle de fiscalité ou d'euthanasie ou de la stratégie commerciale d'Eads ; les animateurs passent leur temps à réclamer des réponses brèves, avec un minimum de chiffres et un langage simple qui a bien du mal à exprimer la complexité des faits. De sorte que la presse écrite, qui souffre d'une désaffection, est la seule qui puisse traiter les problèmes comme il faut. Mais c'est elle qui manque d'audience. De la même manière, quand les téléspectateurs se transféreront sur Internet, ils risquent d'être induits en erreur.
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