Dans cinquante jours, tous les hôpitaux publics vont passer aux 35 heures. Si le cadre général de cette opération a bien été arrêté, chaque établissement doit encore s'organiser. Directeurs et personnels s'apprêtent donc à se rejoindre autour d'autant de tables de négociations qu'il y a d'hôpitaux.
Les syndicats de personnels, qu'ils aient ou non signé le protocole d'accord définissant au niveau national la réduction du temps de travail (RTT) des 780 000 agents de la fonction publique hospitalière, déplorent unanimement depuis septembre la faiblesse des moyens accordés à l'hôpital pour sa mue des 35 heures. Ils sont dans leur rôle.
Plus surprenantes, et surtout plus inhabituelles, sont les voix inquiètes qui s'élèvent aujourd'hui parmi les gestionnaires des hôpitaux. Que disent-elles ? Que la réforme n'est pas opérationnelle. Que les délais sont trop courts, le dispositif trop compliqué. Que, quoi qu'il advienne, les financements étant ce qu'ils sont, les syndicats seront mécontents et peu d'accord locaux seront signés. Et que, au bout du compte, les 35 heures risquent de se faire au détriment de la qualité des soins.
Les directeurs d'hôpital, on le sait, sont soumis à un certain devoir de réserve. C'est anonymement que plusieurs d'entre eux ont expliqué leurs « craintes » au « Quotidien ».
Le contexte n'est pas favorable
Ce n'est pas un hôpital en bonne santé ni des personnels épanouis qui vont passer aux 35 heures le 1er janvier prochain. La RTT « percute », dit un directeur d'établissement, un paysage en cours de restructuration. Vont devoir s'y adapter des établissements qui, depuis quelques années, enchaînent les réformes : l'accréditation, l'application des normes de sécurité, l'euro. Tout cela a demandé et demande encore de l'énergie aux hospitaliers. L'effort consenti est d'autant plus important que l'hôpital manque toujours de bras. Des postes sont vacants qui ne trouvent pas preneurs, chez les agents comme chez les médecins.
Les délais compliquent les choses
Il ne reste qu'un mois et demi pour que les accords locaux soient conclus. Or, la plupart du temps, les négociations n'ont pas commencé, les directeurs attendant de connaître le nombre de postes qui leur sera attribué. L'information devrait leur être communiquée dans les jours qui viennent par les agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Seconde difficulté : l'application pleine et entière des 35 heures va se faire en trois ans, avec des moyens « distillés » au fil des années, le temps que soient formés les personnels nécessaires à la compensation du travail libéré par les agents en place. Négocier dans un délai très court un dispositif qui va s'étaler dans le temps exigera quelques acrobaties des syndicats et des directeurs.
Les boulets de l'accord cadre
Le texte national définissant les grandes lignes du passage aux 35 heures de l'hôpital n'a été signé que par la moitié des syndicats, par quatre organisations qui, à elles toutes, sont minoritaires dans la fonction publique hospitalière. Résultat : au niveau local, il n'est pas rare que le personnel soit très majoritairement hostile à la base même des négociations à venir. Le gouvernement a tout prévu : les directeurs peuvent se contenter de la signature d'un seul syndicat et s'ils n'obtiennent aucune adhésion, le cadrage national s'appliquera. Sur le papier, c'est simple. Sur le terrain, les choses risquent d'être plus ardues. Les directeurs seront en première ligne et un peu isolés (le ministère leur aurait recommandé de ne pas mêler les conseils d'administration - et les politiques qui les président - à ces négociations). Ils redoutent d'être obligés, sans légitimité claire, de prendre seuls des décisions importantes.
Pas assez de moyens
Le nerf de la guerre fait défaut. L'hôpital n'a pas obtenu autant de nouveaux postes que ce qu'il réclamait pour accompagner la RTT (au bout de trois ans, il en aura 45 000 alors que les besoins étaient estimés à 50 000 pour les seuls personnels soignants). Les directeurs sont à peu près certains d'avoir à dépenser plus, au terme de leurs négociations locales, que ce que les ARH leur donneront. « Nous allons faire de la cavalerie budgétaire », préviennent-ils. La répartition sur trois ans des financements de la RTT - qui n'empêche pas que les 780 000 agents de la fonction publique hospitalière passent tous au 35 heures le 1er janvier prochain - complique les choses. Le gouvernement a signé un « chèque sur l'avenir » qui effraie les gestionnaires. Ceux-ci se demandent ce qu'il adviendra en cas d'alternance politique. Ils sont, de toute façon, échaudés par quelques précédents. Par exemple, les crédits de remplacement des personnels (2 milliards de francs - 300 millions d'euros) accordés aux hôpitaux en mars 2000 ne vont être reconduits pour 2001 que dans le collectif budgétaire, ce qui suppose que les établissements les toucheront au printemps... 2002. Pendant une quinzaine de mois, les hôpitaux auront donc dû jongler avec leur trésorerie pour trouver l'équivalent de ces deux milliards, tombant parfois dans le déficit comptable.
Vers un dialogue de sourds
Le fossé est large qui sépare ce que souhaitent les personnels et ce que les directeurs veulent et peuvent leur donner. D'abord, les syndicats espèrent toujours obtenir plus que les 45 000 postes promis par le gouvernement. En attendant un « non » définitif des pouvoirs publics, ils risquent de jouer la dilution des débats. Par ailleurs, et pour schématiser, les personnels attendent vingt jours de congé supplémentaires tandis que les gestionnaires préféreraient privilégier le plus possible la réduction du temps de journée horaire. Enfin, comment trancher entre les trois options de passage aux 35 heures ? Même en désignant les services les plus « aptes » à la RTT, sur quels critères va-t-on dire à un agent : « Tu passes tout de suite aux 35 heures effectives », à un autre : « Tu seras payé en heures supplémentaires », à un dernier : « Tu prendras des congés dans trois ans » ? Les créations de poste permettant un passage immédiat et effectif aux 35 heures seront, on l'a vu, limitées. Les directeurs annoncent déjà qu'elles seront réservées aux postes médicaux, ce qui risque de créer des frustrations dans les autres catégories de personnels. Deuxième possibilité : les heures supplémentaires. Les hôpitaux n'auront pas les moyens d'en payer beaucoup et les utiliser inquiète les directeurs qui se demandent si les personnels y renonceront facilement quand elles n'auront plus cours. Dans la majorité des cas, la seule solution sera donc le compte épargne temps (CET).
Le piège du compte épargne temps (CET)
L'accord national base ce compte épargne temps sur le volontariat. Or, la plupart du temps, cette modalité de réduction du temps de travail va être « fortement recommandée, pour ne pas dire obligatoire », explique un directeur. Inutile de dire que cela va créer des tensions.
L'accroissement prévisible des inégalités
Depuis quatre ans, l'Etat s'échine à réduire les inégalités de traitement entre régions et entre hôpitaux. La mise en place des 35 heures pourrait produire l'effet inverse. Car les modalités prévues de distribution des nouveaux postes se fondent en partie sur les effectifs existants, ce qui va favoriser les établissements déjà les mieux dotés en personnels. Le contexte de pénurie d'infirmières risque, par ailleurs, de faire des régions les plus attractives les grandes bénéficiaires de l'opération. A l'autre bout de l'échelle, les laissés-pour-compte redoutent de devoir faire glisser les compétences de leurs personnels et d'avoir à composer avec des agents sous-qualifiés.
Peut-on faire mieux avec moins ?
La question se pose. Avec, proportionnellement, un peu plus de moyens d'accompagnement, les hôpitaux privés avouent que leur passage aux 35 heures s'est soldé par une dégradation des conditions d'accueil des malades. L'hôpital public ne se fait donc pas trop d'illusion. « Il y aura moins de gens auprès des malades », affirme un directeur, tandis qu'un autre explique : « La qualité des soins sera moindre que ce qui existait auparavant. On fera les choses de façon plus rapide, plus tendue, avec des horaires plus strictes. »
Et la réorganisation ?
En promettant les 35 heures aux agents de l'hôpital, Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi, avait expliqué qu'elles iraient de pair - elle parlait d'« opportunité » - avec une réorganisation du travail hospitalier. Les directeurs craignent que cette dimension des choses se soit perdue en route. Certains disent même que les mesures transitoires du dispositif empêchent ce genre de vision. « On ne parle plus beaucoup de nouvelles organisations ni même d'aménagement du travail », confesse l'un d'entre eux.
Le premier étage de la fusée RTT
L'encadrement national de la réduction du temps de travail (RTT) à l'hôpital a été arrêté le 27 septembre pour les personnels (la CFDT, l'UNSA, le SNCH et la CFE-CGC l'ont approuvé), le 22 octobre pour les médecins (à l'unanimité syndicale). Les deux protocoles prévoient de faire passer toute l'institution aux 35 heures le 1er janvier 2002. Pour compenser les heures perdues des 780 000 agents de la fonction publique hospitalière, le gouvernement s'est engagé à créer 45 000 emplois en trois ans. En 2002, ce sont 12 500 nouveaux postes qui verront le jour (soit une moyenne grossière de 4 postes par établissement). Ils ont été distribués aux régions et les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) s'apprêtent à les répartir entre les hôpitaux. Sur la base de ces emplois nouveaux vont s'ouvrir les négociations locales, destinées à adapter à chaque situation le dispositif arrêté au niveau national (1 600 heures maximales de travail annuel, entre 6 et 20 jours de RTT pour chaque agent, ouvertures de compte épargne temps...). Les médecins ont obtenu, quant à eux, 20 jours de RTT, qu'ils peuvent ou non accumuler sur un compte épargne temps, et la création de 3 500 nouveaux postes de praticiens hospitaliers (PH) et d'assistants.
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