29 NOVEMBRE 1974, au cœur de la nuit, l'Assemblée adopte le projet de loi porté par Mme Veil. L'IVG pratiquée dans les dix premières semaines de grossesse est légalisée, ce qui met fin à des pratiques clandestines nombreuses, estimées à 300 000 chaque année, avec des issues souvent dramatiques pour les patientes. Les deux tiers des députés de la majorité votent contre et le texte ne doit finalement son salut qu'aux voix de la gauche. Les débats ont duré vingt-cinq heures. Soixante-quatorze orateurs interviennent. Certains s'en prennent très violemment à la ministre de la Santé. Elle subit les assauts de députés qui ne reculent pas devant les amalgames ni, parfois, devant les insultes. La rescapée d'Auschwitz, première femme secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature, entend ainsi résonner les mots « avortoirs », « abattoirs », « dégénérescence », « meurtre ». Le député UDR Hector Rolland dénonce « le choix d'un génocide », un de ses collègues diffuse à deux reprises dans l'hémicycle, à l'aide d'un magnétophone, les battements d'un cœur de fœtus. Mme Veil, officiellement soutenue par son Premier ministre Jacques Chirac, est souvent seule à intervenir dans les débats.
Promulguée pour cinq ans le 17 janvier 1975, la loi Veil sera reconduite à titre définitif en 1979. D'autres textes suivront : en 1982, la loi Roudy instaure le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale. En 1978, la pilule contragestive RU 486 est autorisée, avec un usage très encadré, réservé aux seuls centres agréés. En 1993, la loi Neiertz crée le délit d'entrave à l'IVG. Des peines de prison sont prononcées dès la même année contre les membres d'un commando anti-IVG. En 1999, la mise en vente libre du Norlevo (lévonorgestrel, « pilule du lendemain ») est autorisée. En 2001, la loi Aubry fait passer le délai de recours à l'IVG de dix à douze semaines et autorise les mineures à obtenir une IVG sans autorisation parentale, à condition qu'elles bénéficient d'un accompagnement par un adulte de leur choix.
Enfin, cette année, est publié le décret qui autorise l'IVG médicamenteuse par la mifépristone en dehors des structures hospitalières, dans le cadre de réseaux où l'information et l'évaluation restent confiées à des services hospitaliers.
Depuis quinze ans, le taux d'avortement s'est stabilisé, passant chez les 15-49 ans de 14 pour 1 000 en 1990 à 14,3 en 2002. Au cours de cette année 2002, 205 627 avortements ont été pratiqués, 35 % d'entre eux par le mode médicamenteux, alors qu'environ 800 000 naissances étaient enregistrées. Selon des estimations du Mouvement français pour le planning familial (Mfpf), depuis la loi Aubry de 2001, on estime à 2 500 le nombre de femmes qui vont avorter à l'étranger. « Ce nombre, souligne Simone Veil, a été fortement réduit, mais davantage d'information serait nécessaire notamment à l'intention des jeunes femmes qui ont des difficultés à consulter un médecin (...) Le vote de la loi, se félicite-t-elle, a mis fin à des situations très angoissantes vécues par beaucoup de femmes lorsqu'elles étaient enceintes et dans l'impossibilité pour des raisons diverses d'assumer une grossesse. Aujourd'hui, on ne meurt plus d'avortement en France, alors qu'il y avait environ 300 décès par an. »
Médecins volontaires
« Si la loi que vous aurez à voter devait libéraliser l'avortement, il serait indispensable, pour sauver l'éthique menacée de toutes parts (expérimentation sur l'homme sain, euthanasie) que le personnel habilité à faire des avortements, médical et paramédical, exerce sous statut particulier. » Dans un courrier adressé aux députés qui discutent le projet de loi, en novembre 1974, le président de l'Ordre, le Pr Jean-Louis Lortat-Jacob, demande « un recrutement spécial de médecins volontaires » pour réaliser les IVG.
Cette éventualité ne sera pas du goût de tous les députés ni de tous les médecins et un autre courrier émanant de l'Ordre précisera que : « Il n'a jamais été dans ses intentions de souhaiter une division du corps médical, mais, au contraire, de veiller à ce que l'application éventuelle d'une loi libéralisant l'avortement n'y aboutisse point. »
Un sondage « Quotidien du Médecin »-Sofres montre que la majorité des généralistes (68 %) est favorable à une libéralisation de l'avortement, proportion qui dépasse les 80 % chez les moins de 50 ans. L'avortement doit être pratiqué uniquement par un médecin, disent 63 % des généralistes interrogés. Mais peu nombreux (15 %) sont ceux qui accepteraient personnellement de pratiquer une IVG si la loi les y autorisait.
>>>>« Le Quotidien du Médecin » des 2 et 3 décembre 1974.
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