1990 Une folle ambiance

MON PREMIER CONTACT avec la fac de médecine fut un grand moment de solitude. Seul face à l’avenir, on l’est toujours, mais là, il fallait entrer dans la légende, chercher le Graal, cette place en deuxième année tant convoitée.

L’histoire était simple : un nombre d’inscrits presque illimité et cent places. On a beau être prévenu, on n’est jamais prêt. Beaucoup de gens nous ont raconté des histoires sur la fac, la rude sélection, entre les faux cours et les méchants redoublants, le bizutage ; et l’imagination fait le reste. Mille novices comme moi, mille raisons de se méfier de son voisin et de ses informations. J’avais une folle envie de me fondre dans le paysage et de trouver un allié, quelqu’un qui s’y connaissait aussi peu que moi.

Et, en fait, ça se passe, et plutôt bien même. Avec le temps, on s’y plaît dans ce brouhaha, ces olas, ces chants aux accents carabins, ces jeux de mots pas toujours drôles au bout de la quinzième fois, ces deuxième année qui se font bizuter en plein cours et ces profs qui vous récitent leurs polycopiés, tantôt excédés, tantôt amusés, mais, de toute façon, la moitié de l’amphi n’entend rien.

En fait, l’amphi, c’était la pause, l’endroit où l’on pouvait se défouler, sur ces cours indigestes que je passerai toute la nuit à essayer de comprendre, et que, par dépit, je finirai par apprendre par coeur, car il n’y a rien à comprendre. Il faut bien faire une sélection sur quelque chose, la chimie organique est, ma foi, un redoutable moyen. L’hécatombe fut massive et rapide : deux mois seulement après la rentrée, un tiers de mes compagnons de galère avaient disparu. Ils revenaient, parfois, pour mettre l’ambiance.

J’ai beaucoup travaillé cette année-là, j’ai même fait des cours de prérentrée, comme tout le monde d’ailleurs. Mais ça n’a pas suffi, 250e, c’était bien, mais pas assez. Il m’a fallu une année de plus. Alors j’ai remis ça, peut-être parce que, après tout, l’ambiance y était folle.