AU DÉPART, un métier passionnant, celui qu’a exercé sa mère : Catherine Quarré semble s’épanouir comme infirmière à l’hôpital Léopold-Bellan, à Paris, à une époque où, se souvient-elle, la profession est peut-être plus riche, plus diversifiée dans ses tâches, qu’elle ne l’est devenue aujourd’hui. Ses rapports avec les médecins ? «Bons, bien meilleurs que ceux qu’avait pu subir la génération précédente, en butte à un certain autoritarisme, pour ne pas dire plus.» Mais l’intérêt du travail est inégal : «A l’époque, la répartition des tâches avec les aides-soignantes n’est pas nettement définie, il faut faire les toilettes et toutes les tâches ancillaires.» Mais les médecins parlent entre eux un langage qui est souvent pour elle ésotérique, incompréhensible. «A la longue, estime-t-elle, je serais devenue peut-être aigrie.»
C’est ce que lui répète son ingénieur d’époux. Si bien que, à 23 ans, après une année de pratique en tant qu’infirmière, et alors que son bébé la réveille toutes les nuits, elle décide de s’inscrire à la faculté de Cochin-Paris-IV. C’était en septembre 1971, année fatidique, puisque c’est celle de l’instauration du concours. «Je me suis retrouvée dans l’amphi au beau milieu de 300étudiants plus jeunes que moi, un peu égarée, avec deux autres infirmières. Notre expérience ne représentait pas franchement un atout, avec des programmes qui faisaient la part belle aux maths et à la physique. Et il a fallu me replonger dans des cours que j’avais archivés quatre ans plus tôt, après le bac. En particulier, j’ai le souvenir d’un cours de statistiques qui ne m’a été d’aucune utilité par la suite. Ce fut l’horreur.»
«Quand même, il y eut de bons moments: les cours d’anatomie étaient des moments bénis, surtout avec l’un des deux professeurs que nous avions. Et puis l’ambiance, avec les jeunes étudiants, était dans l’ensemble plutôt plaisante. Nous avions formé un petit groupe qui s’entraidait dans la bonne humeur. Evidemment, l’échéance du concours plombait un peu les relations dans l’amphi. Il valait mieux ne pas trop laisser traîner ses notes, tant la sensation de concurrence était vive. D’autant plus prégnante que l’épée de Damoclès du concours était suspendue pour la première fois au-dessus de nos têtes.» L’administration elle-même eut quelque peine à organiser la manoeuvre. «Après le concours, les listes des reçus ont tout d’abord été affichées, avec le nom de tous ceux qui avaient passé la barre des 10 sur 20. Et ce n’est que dans un deuxième temps, une semaine après, qu’on découvrit les listes définitives. Pour les reçus-collés, le choc fut d’autant plus rude. Si bien qu’une dizaine d’entre eux ont installé un bivouac sauvage devant Cochin et décidé d’entamer une grève de la faim. A parfois un quart de point près, ne serait-ce que par solidarité, je me serais jointe à eux. Le couperet était cruel et l’administration a d’ailleurs fini, cette année-là, par donner gain de cause aux protestataires.»
Inconscience plutôt qu’héroïsme.
Fallait-il de l’héroïsme pour se lancer dans une telle aventure ? Le Dr Quarré juge qu’elle a eu surtout une bonne dose d’inconscience. «Ma famille m’a aidée, estime-t-elle, si bien que j’ai pu me contenter de faire quelques intérims pendant les vacances, et de sauvegarder le reste de mon temps pour mes études.»
«Mais, c’est vrai, reconnaît-elle, cette première année a quand même représenté un sacrifice. Il a fallu renoncer à la plupart des soirées, comme aux week-ends entre amis. Je m’étais fixé un but qui ne me laissait pas le choix: pour l’atteindre, pas question de me disperser. Ma vie était trop remplie. En fait, cette austérité, en m’empêchant de me disperser, a peut-être constitué un atout par rapport à la vie que menaient les autres étudiants, plus jeunes, plus libres et donc moins concentrés sur les échéances du concours.»
Avec le recul, cependant, Catherine Quarré estime que, aujourd’hui, elle ne referait plus un tel parcours. D’ailleurs, observe-t-elle, les infirmières qui veulent progresser désormais s’orientent vers les fonctions d’encadrement. «Pour ma part, ce n’était pas une évolution de carrière en termes d’autorité et de hiérarchie qui me motivait, souligne-t-elle, mais une recherche d’approfondissement dans l’exercice de la médecine.»
Et de ce point de vue, la praticienne hospitalière qu’elle est devenue à Cochin, chargée des protocoles de traitement pour les myélodysplasies, coordinatrice des greffes de cellules souches hématopoïétiques, enseignante pour l’hémovigilance, se déclare comblée. Malgré toutes les difficultés hospitalo-universitaires qu’elle a rencontrées, parvenue à un âge où, si elle était restée infirmière, elle serait sans doute à la retraite, elle ne cache pas que le choix de quelques années austères, pour inconscient qu’il fut alors, a été le bon choix.
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