Fléaux et épidémies
Fin septembre 1906 : convoquée par le Comité central allemand pour l'étude du cancer, la Première Conférence internationale pour l'étude du cancer se réunit à Heidelberg et Francfort. La guerre mondiale contre le cancer est déclarée. Au cours de cette réunion internationale, le comité de la Conférence internationale est chargé d'organiser une association internationale pour l'étude du cancer.
Les délégués de treize pays se réunissent alors à Berlin sous la présidence de Son Excellence von Leyden et prennent la décision de convoquer tous les trois ans les savants s'occupant de la question du cancer dans le but de chercher le meilleurs moyens de combattre la maladie, « ce terrible fléau de l'humanité, qui arrache les hommes à la vie en les faisant souffrir d'horribles tourments, juste à l'âge où ils sont les plus capables de rendre des services à leur famille, à leur commune, à leur pays, juste à l'âge où, enrichis de nombreuses expériences, ils pourraient utiliser les fruits de leurs travaux », comme l'indique le Pr Czerny, président du comité de l'Association, à l'ouverture de la Deuxième Conférence internationale, à Paris, en octobre 1910.
Selon les désirs des délégués français à Berlin, en effet, on a choisi Paris comme siège de la Deuxième Conférence internationale.
Le discours de Doumergue
On ne lésine pas : le président de la République accorde son haut patronage à la conférence, 23 gouvernements se font représenter ; c'est Gaston Doumergue, ministre de l'Instruction publique (et futur président), qui prononce le discours inaugural : « Des statistiques intelligemment établies et méthodiquement poursuivies commencent à en (le cancer) révéler les sérieux ravages en même temps que des études plus précises et une science plus avancée font apparaître ce mal comme la vraie cause de nombre de décès qu'on attribuait autrefois à d'autres affections. »
« Dans beaucoup de pays cette lutte a été commencée depuis plusieurs années (...) Ici, par des créations de laboratoires comme ceux de Gaylor à Buffalo, d'Ehrlich à Francfort, là par d'importantes organisations comme celle de Son Excellence le Pr Czerny (...) ailleurs, par d'admirables instituts comme celui de Londres (...) que dirige avec tant de science et de zèle l'honorable docteur Bashford. »
Le Pr Czerny souligne pour sa part l'ampleur du problème. « De 1883 à 1907, les cas de mort causés par le cancer ont augmenté de 30 pour 100 ; leur fréquence est montée de 7,8 à 10,2 par 10 000 habitants ; dans 12 localités du pays heureusement aucun cas de mort par le cancer n'a été constaté depuis vingt-cinq ans, tandis que, dans beaucoup d'autres, le nombre de cas est plusieurs fois multiple de la moyenne », indique-t-il.
La théorie de l'irritation
« Depuis notre dernière séance à Heidelberg et Francfort, de nouvelles expériences sont venues à l'appui de la théorie de l'irritation », rapporte le médecin. On pense à l'époque que certains microbes, par la décomposition de l'albumine, produisent dans l'organisme des substances irritantes. On sait déjà que « les cancers de la vessie des ouvriers travaillant l'aniline sont toujours précédés d'une irritation inflammatoire diffuse ». Et que « le cancer de la lèvre inférieure est moins fréquent depuis que l'usage de la pipe a diminué ». « Mais quant à l'habitude de fumer, qui, sans aucun doute, a une certaine part à l'origine du cancer de la cavité orale et de l'sophage, il sera aussi difficile à la race blanche de s'en défaire qu'aux Malais de renoncer à mâcher le béthel ».
Essai de nomenclature internationale
Parmi les principaux points abordés au cours de la conférence, la terminologie.
« Les tumeurs malignes sont désignées sous le nom d'épithélioma ou de sarcomes, selon qu'elles sont développées aux dépens d'éléments épithéliaux ou de tissus conjonctifs. Le mot carcinome, employé dans des acceptations si vagues dans les divers pays, est à rayer purement et simplement. Le mot cancer doit être employé comme synonyme de tumeur maligne si bien que les épithéliomas sont des cancers épithéliaux et les sarcomes des cancers conjonctifs. »
« Cet essai n'a été accepté qu'à titre provisoire : les Allemands surtout ayant peine à renoncer au mot carcinome et désirant donner au mot épithéliome le sens de tumeur des surfaces de revêtement, au mot adénome le sens de tumeurs des organes glandulaires, que ces tumeurs soient bénignes ou malignes : ce caractère de bénignité ou de malignité devant être indiqué par un adjectif. »
Les thérapeutiques
Pour le diagnostic, les moyens manquent : « L'hémodiagnostic du cancer n'existe pas encore » ; « Les éléments figurés du sang ne présentent pas de modification spécifique dans le cancer » ; « Il n'y a pas de sérodiagnostic de cancer ».
Et en matière de thérapeutique, le bilan n'est guère optimiste, même si l'on dit qu' « en enlevant la totalité des cellules cancéreuses, on guérit le malade » :
- Le traitement par la trypsine n'a donné aucun résultat favorable et, dans plusieurs cas, a paru aggraver l'état des malades ;
- Les rayons X ont donné des succès définitifs dans un grand nombre de cas d' ulcus rodens de la face et dans quelques cas de sarcome et de lymphosarcome ; en revanche, ils paraissent avoir constamment excité la prolifération des cancers du sein ;
- La fulguration (longues étincelles de haute fréquence) s'applique aux tumeurs que le chirurgien ne peut exciser en tissu sain ;
- Vaccination, sérothérapie :
conformément à ce qu'avait vu Bier, l'injection au malade de sang défibriné de mouton ou de porc peut produire un affaissement, une amélioration temporaire des néoplasmes malins. Mais « la vaccination de l'organisme contre le cancer à l'aide du sang, comme d'ailleurs des tissus néoplasiques ou normaux, n'est en fait qu'un beau rêve ».
Quant à la sérothérapie cellulaire ou cytolytique - qui repose sur du sérum d'animaux immunisés à l'aide de la cellule cancéreuse elle-même -, on l'envisage comme une méthode complémentaire de la chirurgie.
Un enseignement professionnel
Il faut un enseignement professionnel, jugent les participants à la conférence : le médecin doit être capable de reconnaître le cancer exactement et immédiatement par l'application de toutes les méthodes diagnostiques nécessaires. Il doit savoir qu'une opération seule est capable d'entraîner la guérison et doit aussitôt en persuader le malade. A ces fins, le médecin doit suivre des cours complémentaires.
Il faut aussi une éducation du public, qui doit être familiarisé avec les manifestations du cancer ; il doit être persuadé de la possibilité de guérison et être mis en garde contre les conseillers inexperts.
L'éducation du public doit s'accomplir par la voie des journaux et par des petites fiches.
Le Pr Czerny, président, clôt la conférence et annonce que la prochaine se tiendra à Bruxelles en 1913 ; qu'en 1911 une commission internationale se tiendra à Dresde pour réviser les statuts de l'Association internationale ; que la Suisse adhère à cette association, ce qui porte à 17 le nombre des puissances qui en font partie.
« La Presse médicale » des 5, 12, 22 et 29 octobre 1910.
Un saut dans le présent
Aujourd'hui, le combat contre le cancer continue plus que jamais. On guérit plus de la moitié des cancers mais la maladie tue chaque année plus de 750 000 personnes dans l'Union européenne et 143 000 en France.
Selon le World Cancer Research Fund, la probabilité d'avoir un cancer au cours de sa vie va jusqu'à une sur deux pour un homme et une sur trois pour une femme. Les efforts se portent sur la recherche mais aussi sur la prévention (pour convaincre par exemple de diminuer le tabac et l'alcool et d'augmenter l'activité physique et la consommation de fruit et légume).
Jacques Chirac a fait de la lutte contre le cancer un des trois grands chantiers prioritaires de son deuxième septennat. En septembre dernier, l'Europe a décidé d'unir ses efforts pour une stratégie de recherche commune.
Les souris du Dr Borrel
Lors de l'inauguration de l'Association internationale pour l'étude du cancer, le Dr Borrel (Institut Pasteur de Paris) « a fait une très intéressante communication sur les services que les souris rendent à l'étude du cancer », rapporte le Dr Hamburger dans le « Journal des accoucheurs » du 1er septembre 1908. « Les souris présentent spontanément toutes les variétés de cancer que l'on rencontre chez l'homme et on peut exprimer sur elles tous les moyens thérapeutiques et sérothérapeutiques, de même qu'elles fournissent matière à des observations précieuses en ce qui concerne la transmission et l'hérédité du cancer », poursuit le Dr Hamburger.
Etiologie et pathogénie expérimentale
- Immunité
On peut immuniser un animal contre la greffe des tumeurs les plus virulentes de la même espèce animale, pense-t-on à l'époque. Cela, soit par « la greffe antérieure négative et répétée de tumeurs bénignes ou malignes non virulentes provenant d'animaux de même espèce, soit par la greffe de tissus normaux de ces animaux ».
Mais « si la réalité d'une immunité contre les tumeurs greffées est démontrée, rien ne permet jusqu'ici de penser qu'on puisse obtenir une immunité contre le développement de tumeurs spontanées. On connaît même aujourd'hui de faits expérimentaux qui semblent montrer l'impossibilité de cette immunité, qui serait la véritable immunité contre le cancer ».
- Parasitisme et tumeurs
Dans les cas spontanés de cancer, la multiplication de la cellule cancéreuse est toujours précédée de la transformation maligne de cellules jusque-là normales en cellules cancéreuses. « C'est sur ce premier acte que doivent porter les recherches. »
- Traumatisme et cancer
Souvent, le traumatisme ne fait que révéler une tumeur encre ignorée du malade. Pourtant, il semble indéniable que chez des sujets prédisposés, le traumatisme favorise le développement des tumeurs.
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