Alors que le pic de l’épidémie se confirme en France, selon le dernier bilan du réseau Sentinelles et à quelques jours de la mise à disposition en pharmacie (prévue le 21) des traitements antiviraux contre la grippe sur ordonnance médicale, on asiste à un début de polémique sur les nouvelles directives adressées par les autorités sanitaires concernant ces molécules. Un avis du Comité de lutte contre la grippe (CLCG) du 13 novembre, qui a été approuvé la semaine dernière par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) recommande en effet un traitement antiviral contre la grippe pandémique pour tous les cas suspects de grippe, même sans facteurs de risque, ont annoncé jeudi les autorités sanitaires. En outre, il est désormais recommandé de prescrire le Tamiflu (à pleines doses thérapeutiques) aux personnes à risque de complications de la grippe -y compris les nourrissons de moins de 1 an et les femmes enceintes quel que soit le stade de la grossesse-, dès lors qu'elles ont été en contact étroit avec un cas suspect de grippe, par exemple au sein d'une famille ou partageant une même chambre. Ce traitement, dit de "post-exposition", se donne à pleines doses curatives pendant cinq jours, à la place d'une prophylaxie à doses moindres.
Le CNGE pas d’accord sur l’utilisation systématique des antiviraux
Ce changement de cap dans l’usage des antiviraux annoncé par la DGS ne convainc pas tout le monde. Sur la forme, MG France s’étonne que l’information sur les antiviraux soit diffusée à l’ensemble des médecins prescripteurs par un simple mail de la Direction Générale de la santé (DGS-Urgent) ou par le biais syndical. Sur le fond, dans un argumentaire publié mardi, le Collège national des généralistes enseignants juge que les preuves scientifiques sont insuffisantes pour justifier l’utilisation systématique des antiviraux. Le CNGE se montre très réticent du fait d’un manque de preuves d’efficacité. Son argumentaire diffusé mardi 15 décembre en fin de journée met en avant l’incertitude des antiviraux sur la prévention des complications et des formes graves chez les patients avec et sans risques. La réduction d’un jour de la durée des symptômes ne semble pas très pertinente aux auteurs de cette note.
Enfin, la tolérance « globalement acceptable » mais comportant nausées et vomissements ne leur apparaît pas très convaincante pour une efficacité discutable. Traiter tous azimuts reviendrait à gérer nombre d’effets indésirables sans être sur d’un bénéfice sur la grippe A. Le CNGE note également que « l’impact d’une diffusion massive des inhibiteurs de la neuraminidase sur la souche virale pandémique est inconnu ». Sur ce point pourtant, le recul semble rassurant. D’après l’expérience mondiale des six premiers mois de l’épidémie, « les études virologiques n’ont pas détecté de signes de mutation vers une forme plus virulente » indique le BEH du daté du 10 décembre.
Le CNGE demande donc à la DGS de fournir de plus amples explications pour expliquer ce revirement de stratégie. D’autant que la commission de transparence a toujours conclu à un service médical rendu insuffisant du Tamiflu® chez les personnes sans risque particulier. Les méta-analyses sur les antiviraux ont conclu à un bénéfice qualifié de « modeste » sans notion de prévention des complications. Idem sur le risque de contagiosité. Le seul argument positif concerne la situation contrastée entre le Chili qui disposait des antiviraux et l’Argentine qui les a peu utilisés. La surmortalité constatée en Argentine a plaidé en faveur de l’utilisation des antiviraux au Chili mais l’INVS a invité à une grande prudence dans l’interprétation de ces données compte tenu du manque d’objectivité de la comparaison. Les membres du CNGE estiment néanmoins « recevable » de donner des antiviraux aux populations à risque, le plus précocement possible. Enfin, ils réaffirment fortement que « la vaccination anti A/H1N1 reste le meilleur moyen pour éviter les formes graves ».
Le pic est sans doute atteint, mais toutes les régions sont encore dans le rouge
Dans ce contexte, l’épidémie de grippe continue plafonner en France métropolitaine pour la troisième semaine consécutive. Près de 3 millions de personnes ont été atteintes depuis le début de l’épidémie, et le nombre de personnes vaccinées devait dépasser le cap des 3,5 millions. Selon le dernier bilan publié mercredi 16 décembre par le réseau Sentinelles, la semaine dernière, l’incidence des syndromes grippaux vus en consultation de médecine générale a été estimée à 761 cas pour 100 000 habitants : on est toujours très largement au-dessus du seuil épidémique (de 169 cas pour 100 000), mais désormais un peu en dessous de l’incidence constatée la semaine précédente (on avait compté 852 cas pour 100 000 habitants du 30 novembre au 6 décembre et 821 pour 100 000 habitants du 23 au 29 novembre). Au total, 478 000 nouveaux syndromes grippaux ont été relevés au cours de la semaine du 7 au 13 décembre, ce qui correspondrait à environ 416 000 vraies grippes. En 14 semaines d’épidémie, le nombre de consultations pour syndromes grippaux a été estimé à 3 147 000, soit sans doute 2 650 000 vraies grippes depuis le mois d’août.
Au niveau régional, les vingt deux régions de France métropolitaine sont toujours au dessus du seuil épidémique. En tête figure la Champagne-Ardenne (1338 cas pour 100 000 habitants), puis les Pays-de-la-Loire (1274), l’Alsace (1084), Midi-Pyrénées (1077), Rhône-Alpes (986), le Limousin (938), le Languedoc-Roussillon (834), l’Auvergne (834), la région Paca (746), la Bretagne (718), le Nord-Pas-de-Calais (647) et la Franche-Comté (616).
Les médecins peuvent avoir des vaccins pour les patients isolés
Par ailleurs, Roselyne Bachelot a annoncé mardi que les médecins libéraux pouvaient obtenir déjà des vaccins pour les personnes isolées. Devant les députés qui l’auditionnaient, la ministre de la Santé a affirmé vouloir "faire un dispositif le moins figé possible, qui s'adapte sans arrêt". "Il y a 15 jours, nous avons ouvert la possibilité à des médecins, sous réserve qu'ils soient rattachés à un centre de vaccination et y aient fait au moins une vacation, de vacciner leur patientèle isolée et à mobilité réduite", a dit la ministre. Elle a précisé que les médecins pouvaient obtenir les vaccins dans les centres de vaccination. La mesure concerne les médecins ayant des patients confinés à domicile, dans des Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, ndlr) ou des maisons de retraite, ou des handicapés. "Bientôt on pourra ouvrir beaucoup plus", a promis la ministre, qui a néanmoins répété qu’il n’était pas possible de donner aux médecins généralistes la possibilité de vacciner qui veut dans leurs cabinets.
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