SUR UN TOTAL de 35 millions de conducteurs qui prennent la route chaque année, près de 1,5 million auraient été, en 2007, exposés à un «presque accident» dû à la somnolence, rapporte une étude de l'Association des sociétés françaises d'au toroutes (ASFA), placée sous la direction scientifique du Pr Pierre Philip (CNRS, UMR 5227 et clinique du sommeil du CHU Pellegrin de Bordeaux). L'enquête, qui porte sur 40 000 personnes (voir encadré), est une première en France dans le domaine de l'accidentologie. Elle montre que les automobilistes qui prennent la route sont 28 % à avoir souffert de somnolence au moins une fois dans l'année, 3 % ayant été extrêmement somnolents au moins une fois dans le mois et 4 % ayant connu un «presque accident» au cours des douze mois écoulés en raison d'un léger état de sommeil.
Plus mortelle que la vitesse sur autoroute.
Le phénomène n'a donc rien de banal. «La fatigue n'entre pas en jeu. Cela relève de l'incapacité à se tenir éveillé, commente pour “le Quotidien” le Pr Philip. À ce moment précis de somnolence, il y a un franchissement de ligne inapproprié.La mise en évidence de l'ampleur des “presque accidents”, jusque-là non repérée en accidentologie, apparaît comme un fait majeur, au même titre que le rapport existant entre les presque accidents et les accidents: plus on a de presque accidents, plus on risque de se retrouver dans un accident.»
Sur les 2 millions d'accidents très légers (sans blessés ni morts) comptabilisés chaque année sur le réseau routier national, 5 % seraient imputables à la somnolence. Ce taux atteint 30 % pour les accidents avec tués sur autoroute*, au point que, depuis trois ans, la somnolence se révèle plus mortelle que la vitesse (26 %), souligne l'ASFA. Fréquente entre 2 heures et 7 heures et de 14 heures à 16 heures, elle intervient dans toutes les durées de trajet. Sur le réseau autoroutier, un accident sur deux lié à la somnolence se produit sur des parcours de moins de 120 minutes, deux sur trois se traduisant par des sorties de chaussée d'un seul véhicule et un sur cinq par une voiture heurtant un poids lourd par l'arrière.
Gare à la conduite en léger état de sommeil, interpelle donc le Pr Philip. Malheureusement, les pouvoirs publics ne tiennent pas compte de l'avertissement, déplore en substance le spécialiste qui rappelle avoir publié en 2001 dans le « British Medical Journal » une étude, relative à 70 000 accidents avec morts et blessés en France sur cinq ans, faisant état de 10 % de tués dus à la somnolence (et 23 % à l'alcool)**. Ils se contentent sur le sujet, note le spécialiste, d'opérations de communication estivales à l'adresse des pères de famille, «faisant l'impasse sur les jeunes qui sortent de boîte de nuit et les professionnels de la route», les plus exposés. Quarante-deux pour cent seulement des automobilistes intègrent une pause sommeil dans leur trajet. «Avant de partir, il faut être bien reposé, ne pas avoir de dette de sommeil», recommande Pierre Philip. En d'autres termes, il est préférable de ne pas prendre la route au milieu de la nuit ou très tôt le matin et de «ne pas cumuler des manques de sommeil dans la semaine qui précède le départ en vacances». Et avant qu'il ne soit trop tard, à la première raideur de nuque ou envie de bailler, il convient de ranger son véhicule sur le bas-côté pour «une courtesieste de vingt à trente minutes, ou pour prendre deux tasses d'un café assez fort». Prudence aussi pour les usagers de somnifères, d'anxiolytiques ou d'antidépresseurs, et les personnes sujettes aux apnées du sommeil ou aux ronflements, «qui accroissent de façon importante le risque d'être somnolent».
L'ASFA vient de lancer une campagne intitulée « Somnolence au volant… Pausez-vous »***, dans laquelle les mauvaises stratégies de lutte contre un léger état de sommeil, basées sur le bruit, la radio, la résistance ou le froid, sont mises à mal.
* 224 tués, toutes causes confondues, sur autoroute en 2005.
** Dans les pays anglo-saxons, 20 % des morts au volant sont dus à la somnolence, soulignent les études en accidentologie. En France, ce taux est atteint chez les électriciens d'EDF (cohorte Gazelle).
*** www.pausez-vous.fr.
40 000 personnes interrogées
L'enquête ASFA, menée en novembre 2007, sous la direction scientifique du Pr Pierre Philip, a été réalisée sur la base d'un questionnaire, par téléphone auprès de 5 000 personnes, et via Internet en direction de 35 000 abonnés au service de télépéage. Les réponses apportées concernent aussi bien la conduite sur autoroute que sur le réseau routier ordinaire.
L'ASFA gère quelque 8 300 km des 12 000 km d'autoroutes du pays, les 37 000 km non payants relevant de l'État.
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