Être médecin ne met pas à l'abri de tous les maux. Assumer la cadence infernale des consultations, supporter le poids des responsabilités, concilier vie professionnelle et vie privée... Tout ceci peut entraîner, comme pour tout un chacun, coup de mou, mal-être ou période de stress. Depuis une dizaine d’années, plusieurs études ont évalué l’ampleur du phénomène : les médecins – généralistes notamment – ne sont pas à l’abri, puisqu’un sur deux serait ou sera touché à des degrés divers par l’épuisement professionnel. Bien entendu, l’extension des déserts médicaux, les difficultés croissantes pour se faire remplacer ou la montée de l’insécurité n’arrange rien. Confirmation statistique donnée par la CARMF avec la place importante prise par les affections de type psychiatrique dans les arrêts de travail des médecins.
Sur les facteurs de risque, tout (ou presque tout) a été dit : grosse activité sans pause possible, exercice solitaire sans confrères à qui parler, consultations sans rendez-vous, cabinet sans secrétariat… Le portrait-robot de la victime a été établi. Il dévoile fréquemment une femme, souvent généraliste, mais aussi psychiatre ou anesthésiste, proche de la cinquantaine et s'investissant trop dans son métier. Mais les hommes ne doivent pas pour autant se sentir des surhommes… Dès lors, vouloir ignorer ces symptômes, c'est se mettre en danger. Pour que vous puissiez réagir dès les premiers signes et même éviter qu’ils se produisent, médecins, psychologues et chercheurs, spécialistes dans ce domaine, nous ont livré dix conseils essentiels pour éviter le burn out.
1. Savoir gérer son temps de travail
Difficile de ne pas se laisser déborder par sa salle d’attente. « Le temps est contraint, il n’est pas illimité ! », rappelle le Dr Jean Brami, professeur associé à l’Université Paris-
Descartes et généraliste à Paris. La gestion du temps c’est quelque chose que les médecins n’ont pas appris sur les bancs de la Fac. Mais, attention : jouer les prolongations avec un patient ne veut pas forcément dire que vous êtes meilleur médecin. « Restez plus de temps avec un patient, et vous enlevez du temps à quelqu’un d’autre ! Ayez conscience du capital temps dont vous disposez pour gérer votre consultation?», rappelle le Dr Brami. Pour lui, l’idéal est de recevoir sur rendez-vous ; ne pas le faire, c’est « prendre un risque ». Quitte, si possible, à « se réserver une plage sans consultations pour faire une pause ». « Le médecin est comme un conducteur sur l’autoroute, s’il ne s’arrête pas régulièrement, il risque l’accident ! » De son côté, le Pr Didier Truchot, professeur de psychologie sociale à l’université de Franche-Comté, qui a mené de nombreuses études sur des généralistes atteints d’épuisement professionnel, assure que si la charge de travail « fatigue », elle n’est pas la cause première du burn out, « sauf pour ceux qui s’imposent des rythmes frénétiques d’un patient toutes les cinq minutes ! », tempère-t-il. Mais, pour lui, le problème ce n’est pas d’abord une question de temps, mais de relationnel médecin-patient – agressivité, non-respect des rendez-vous pris – qui engendre des « sentiments de frustration » et de « perte d’épaisseur sociale » susceptibles de conduire au burn out.
2. S’interroger sur son mode d’exercice
Le choix d’un mode d’exercice est-il pour quelque chose dans la survenance du burn out ? En 2010, une étude menée avec près de 500 généralistes de Midi-Pyrénées concluait à un effet plutôt protecteur du mode d’exercice collectif. Menée par le CERMES et l’IRDES avec l’Union régionale des médecins libéraux, elle relevait notamment que la pratique en groupe, si elle ne rimait pas forcément avec des journées de travail moins chargées, facilitait en tout cas « le départ en vacances ». Elle permet aussi, le cas échéant, de s’aménager un jour de pause dans la semaine. Cela dit, le groupe n’est pas non plus l’assurance tout risque : en dix ans, le nombre de généralistes exerçant en groupe est passé de 43 % à 54 % et l’on n’a pas assisté à une régression du burn out...
La même étude mettait aussi en évidence le bénéfice que l’on pouvait tirer des échanges avec d’autres généralistes ou avec des spécialistes. Alors, faut-il songer à intégrer un groupe de parole pour décompresser ? Peut-être bien. Il y a trois ans lors d’un Colloque de Pasteur Mutualité sur la souffrance des soignants, deux généralistes avaient présenté une communication sur la prévention du burn out. Jean-Marc Boivin (faculté de Nancy) et Pierre Meyer (faculté de Reims) citaient notamment groupes de pairs, groupes d'échanges de pratiques, groupes Balint... comme autant de façons de sortir de l’isolement professionnel.
3. Avoir une secrétaire formée
Une récente étude de l’URPS d’Ile-de-France, menée auprès de généralistes, a montré qu’ils passent, en moyenne, plus de sept heures par semaine au téléphone ! À cela s’ajoutent les échanges d’e-mails… Des tâches non rémunérées, non reconnues et souvent impromptues qui viennent perturber le temps de consultation. Résultat : 56 % des généralistes franciliens se déclarent « harcelés par le téléphone ». Chaque jour, ils répondent directement à quinze appels en moyenne et cela qu’ils aient, ou pas, une secrétaire médicale chargée de la prise de RV. Donc, si elle peut vous décharger d’une partie du travail, ne vous leurrez pas : si elle n’est pas bien formée, comme l’explique le Dr Brami, « elle peut faire des erreurs » qui seront source de nouvelles angoisses. Une perle rare doit savoir gérer les priorités, avoir reçu une formation à l’urgence et aussi, plus prosaïquement, être immunisée contre les maladies qu’elle pourrait attraper au cabinet (hépatites, tétanos, grippe...). À savoir : vos syndicats réclament au nouveau gouvernement un coup de pouce pour financer des secrétariats dans les cabinets. En attendant, pensez au standard téléphonique à distance, forcément moins onéreux.
4. S’engager professionnellement
On pourrait penser que les médecins engagés professionnellement et socialement sont plus perméables au stress. à bien y regarder, ce serait faux : ceux qui sont dans l’action – qu’ils militent dans un syndicat ou qu’ils assurent la PDS – sont moins atteints par l’épuisement professionnel. Dans sa dernière étude, le Pr Didier Truchot, n’a pas peur de l’affirmer : ces médecins-là sont « protégés du burn out », bien plus que ceux qui sont repliés sur eux-mêmes. Alors que faire ? Le mot d’ordre est « diversifier ses activités », même si elles restent en lien avec votre choix de vie, la médecine. Faire des consultations, mais aussi donner des cours dans une école d’infirmières, devenir médecin-pompier, faire une vacation en PMI, venir en aide aux toxicomanes… « Autant d’activités qui donnent au médecin un fort sentiment d’utilité sociale, qui multiplie ses contacts tout en se ressourçant. ». Sceptique à l’égard des méthodes de relaxation, qui ont, pour lui, un « effet à court terme », le Pr Truchot insiste sur l’importance de l’engagement social et professionnel qui, seul, permet de vous conforter dans votre choix d’être médecin.
5. Préserver sa vie familiale
La meilleure façon de ne pas voir sa vie professionnelle déborder sur sa vie privée et familiale est de cloisonner les deux. Le Dr Yves Léopold, vice-président de la CARMF, qui a beaucoup travaillé sur le sujet le souligne : « Médecin est un métier dévorant, d’autant plus quand cela devient votre unique passion. Être dévoué à son métier ne veut pas dire tout accepter, ni mettre sa vie de famille entre parenthèses. Ce n’est pas une option mais une nécessité ». Donc il faut avoir des loisirs, voyager, cultiver des hobbys... Réveillez-vous, il y a une vie en dehors du cabinet ! Pour commencer, tel psy conseille tout simplement de renouer avec ses passions d’autrefois.
Mais, si tout semble évident et facile quand tout va bien, qu’en est-il si le stress vous gagne ? Quelle attitude adopter face à ses proches ? Pour Anne-Sophie Pruvost, psychologue du travail à Paris, quand on n’est pas bien, la meilleure façon de préserver les autres est de mettre une distance entre soi et sa famille. Cela ne veut pas dire qu’il faille les rejeter, loin de là. « Il faut soulager son conjoint et ses enfants du poids de son angoisse, leur dire tout simplement qu’on est en train de vivre un moment de crise, et surtout leur faire comprendre qu’ils n’y sont pour rien. Ce qui permettra de les rassurer. À la limite, il faudrait presque afficher une pancarte : "fermé pour travaux de rénovation intérieure" ! », suggère Anne-Sophie Pruvost, qui dans son cabinet parisien prend en charge nombre de professionnels en détresse. Pour elle, dire à ses proches que « c’est douloureux, mais qu’on se prend en main, » est la meilleure façon de les décharger du souci qu’on porte.
6. Accepter ses erreurs et les analyser
Soigner, soulager, sauver des vies… Les médecins ont parfois tendance à oublier qu’ils ne sont pas infaillibles ! « Le médecin n’est pas Dieu et la mort du malade est un événement possible qui doit être détaché de la notion d’échec », affirme, par exemple, le Dr Yves Léopold. Un médecin qui échoue se retrouve, d’un coup « narcissiquement blessé », soutient le vice-président de la CARMF. Cette catégorie socio-professionnelle manquerait-elle d’humilité ? La réponse est « non » pour le Dr Léopold. Simplement, selon lui, les médecins ont reçu une « mauvaise formation » qui ne leur permet pas d’intégrer la notion d’erreur. « Les grands patrons d’hôpitaux qui donnent des cours en Faculté de médecine viennent raconter leurs magnifiques réussites, mais pas leurs échecs cuisants ! », souligne-t-il. Les mandarins ne sont pas non plus infaillibles !
Généraliste à Paris, dans le XVIIIe arrondissement, le Dr Eric Galam est du même avis : « On n’est pas indestructible ». Le médecin n’est pas un surhomme, il se doit, comme tout un chacun, de prendre soin de lui. «?C’est important pour nous, mais aussi pour nos patients », souligne le médecin généraliste parisien.
Très investi dans le soutien aux confrères victimes d’épuisement professionnel, Eric Galam coordonne depuis quelques années l’Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux (AAPML). « Les médecins ont très peur de l’erreur médicale et peuvent la vivre comme un traumatisme?», estime-t-il. Dans son dernier livre sur le sujet – « L'erreur médicale, le burn out et le soignant » (voir Le Généraliste n° 2592) – il montre que l’erreur médicale est aussi un facteur d’épuisement professionnel. Et de dépréciation pour le praticien. Surtout s’il tente de gommer l’épisode, comme s’il ne s’était jamais rien passé. Son ouvrage insiste sur l’importance pour le médecin de « pouvoir en parler » et de « tirer des enseignements » de l’erreur, tout en se disant que « l’erreur, ce n’est pas moi ». Eric Galam rappelle en effet que deux tiers des erreurs médicales ne sont pas imputables à un manque de connaissances du médecin, le défaut d’organisation ou l’inadvertance étant souvent en cause. Il insiste sur le fait que libérer la parole sur ce sujet tabou peut avoir un effet bénéfique et « cathartique ».
7. Apprendre à dire non
Il y a celui qui insiste pour un arrêt de travail, celui qui veut un rendez-vous sur le champ, celui qui met en cause un diagnostic, celui qui prétend vous dicter son ordonnance... À croire, certains jours, qu’il faudrait le laisser signer à votre place... La plupart des experts du burn out mettent en garde contre cette spirale du patient tyrannique. Antidote ? S’imposer et apprendre à dire non quand les demandes sont injustifiées. Le Dr Léopold sait qu’apprendre à opposer un refus à une demande explicite est un exercice difficile. « Les médecins savent qu’il y a un risque de conflit. Ils préfèrent alors céder à la demande ». À quoi bon donc culpabiliser une fois que vous avez dit « oui » ? Pour éviter le conflit et ne pas céder, le Dr Léopold suggère d’essayer la diplomatie : « Leur dire qu’on pourrait envisager une autre solution au lieu de leur opposer un non ferme peut être un premier pas?».
Le Pr Didier Truchot va plus loin. Pour lui, la relation avec les patients est la principale source de stress du médecin, même si les professionnels de santé ont du mal à le reconnaître. « Si on demande aux médecins ce qui les stresse, ils vont répondre la charge de travail, la pression fiscale, la complexité administrative, la pression judiciaire. Si on leur demande quel est le dernier événement stressant qu’ils ont subi, la réponse change. Dans 70 % des cas, les médecins généralistes évoquent un problème de relation avec leurs patients. Les facteurs de stress qui apparaissent comme étant typiques d’une profession ont en réalité très peu de poids sur le burn out?», soutient-il.
8. Mettre une distance entre soi et son patient
« Lorsqu’on soigne, le malade, c’est l’autre », rappelle Eric Galam. À son sens, une des premières règles pour ne pas se retrouver «burn outés» est de mettre une distance entre soi et son patient. Trouver la bonne n’est pas toujours aisé. On s’attache volontiers à certains patients, voire à une famille, d’autant plus que le médecin a souvent un rôle de confident. Petits conseils d’experts : vous pouvez les aider, mais ayez toujours en tête que leurs maladies, leurs angoisses, leur détresse, leur appartiennent. Tout devient encore plus difficile quand il s’agit d’accompagner un malade en fin de vie. Ne vous méprenez pas : c’est aussi votre travail, ne le vivez pas comme un échec. Rappelez-vous, enfin, comme l’explique le Dr Galam, qu’« une partie des problèmes dépend «de la collectivité », pas de vous.
9. Faire le point sur sa protection sociale
Vous cotisez à la CARMF et croyez être protégé en cas de pépin de santé. Sachez-le : si la cotisation à la CARMF est obligatoire, « elle n’est pas suffisante », vous avez besoin d’une « couverture supplémentaire ». C’est son vice-président lui-même qui le dit. En 2005, la CARMF et l’Ordre des médecins avaient même organisé un colloque sur « l’imprévoyance » pour alerter leurs confrères sur le phénomène. Les professionnels qui n’évaluent pas leurs propres besoins, en termes de protection sociale, ceux qui pensent pouvoir s’en passer, s’exposent eux-mêmes et leur famille : « c’est le cas de beaucoup de médecins, qui ne font pas le nécessaire, soit par réticence, soit par imprévoyance », regrette Yves Léopold. Dans le cas du confrère surmené, le cercle vicieux est vite enclenché. Déprimé, fatigué, mais se sachant mal assuré, le médecin hésite à s’arrêter parce qu’il n’est pas couvert les 90 premiers jours de l’arrêt. Et faute d’avoir pu faire une pause pour souffler un peu, le coup de frein risque d’être brutal. Dans ces conditions, s’interroger sur sa couverture maladie même quand tous les clignotants sont au vert (voir Le Généraliste n° 2599) parait un exercice indispensable.
10. Bannir l’autodiagnostic
Les médecins le reprochent souvent à leurs patients, mais ils font – parait-il – encore plus d’imprudences envers eux-mêmes, en ayant recours à l’autodiagnostic et en négligeant d’aller voir un confrère. « Le médecin doit avoir aussi un médecin et ne doit pas se soigner lui-même » : c’est une règle d’or livrée par le Dr Eric Galam, paraît-il assez peu mise en pratique.
C’est aussi l’avis d’Anne-Sophie Pruvost qui estime qu’« on ne peut pas s’auto-soigner parce qu’on a aucune distance par rapport à soi-même ». Mais la psychologue reconnaît que « pour des personnes habituées à soigner, aller consulter demande beaucoup d’humilité.?» Pour elle, plutôt que se renfermer sur soi, il est, en tout cas, toujours bénéfique de parler à un confrère, un psychologue, un ami, quelqu’un de sa famille, voire, pour certains, un homme d’église... Bref ! Une personne en qui vous avez confiance et qui sera à votre écoute.
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