COMME NOUS SOMMES un vieux peuple blasé, nous n'avons pas vu le merveilleux, au sens littéraire du terme, de cette campagne. La prise de la Bastille socialiste par Ségolène Royal a été un peu la bataille des Thermopyles, à la différence près que Mme Royal n'y a pas laissé la vie et a triomphé de ses adversaires. A nos yeux, si elle n'avait que cette victoire à son actif, son bilan serait déjà excellent. En outre, elle a appliqué à sa candidature une méthode nouvelle, à la fois dans la forme, par le ton de ses discours et dans le fond, avec la « démocratie participative », qui n'est certes pas un système de gouvernement, mais assurément une façon efficace de se rendre populaire.
L'homme le mieux placé.
Nicolas Sarkozy, lui aussi, a accompli un tour de force en se jouant des manoeuvres innombrables organisées par ses « amis » politiques pour lui faire barrage. Non seulement on mesure aujourd'hui le ridicule et l'inefficacité de la tentative destinée à l'écarter du pouvoir, mais le candidat de l'UMP n'a cessé de faire la course en tête depuis janvier, de sorte que, quelles que soient les nuances qu'il faut apporter à tout pronostic, il apparaît comme l'homme le mieux placé pour être élu à la magistrature suprême.
Sa popularité, en tout cas, a résisté aux petits complots de palais fomentés dans son propre camp et à un incroyable déluge d'accusations lancées par la gauche, l'extrême gauche, la droite et le centre. Pratiquement, quand un candidat n'avait rien d'autre à dire, il se rattrapait en fustigeant M. Sarkozy décrit en des termes que l'on réserve habituellement aux potentats de bas étage qui dirigent de pauvres pays.
M. Sarkozy a mis en oeuvre une stratégie destinée à récupérer une partie de l'électorat de Jean-Marie Le Pen, ce qui lui a d'ailleurs valu les remarques les plus blessantes qu'ait prononcées le président du FN ; lequel, mardi encore, estimait, on ne sait au nom de quoi, que M. Sarkozy n'est pas «au-dessus de tout soupçon de corruption». Voilà un propos à la limite de la diffamation, car M. Le Pen devrait logiquement produire des preuves ; mais on comprend qu'il soit inquiet de la tactique de M. Sarkozy et qu'en conséquence ses violences verbales soient à la mesure de son inquiétude.
M. Le Pen a une autre raison d'être de mauvaise humeur : la candidature de François Bayrou, crédité en janvier de 6 % des voix, et de 20 % en avril, le renvoie désormais à la quatrième place dans l'ordre des candidats qui recueillent plus de 10 % des intentions de vote. Le jeu politique de M. Bayrou, qui gêne à peu près tout le monde, n'en a pas moins apporté quelques bénéfices : il semble qu'il ait réduit la menace que constitue M. Le Pen ; il s'adresse à une large fraction du peuple qui est sincèrement lassée par l'atmosphère de guerre civile qu'entretient la rivalité droite-gauche ; sa prestation fait a contrario la démonstration que le PS a besoin de se réformer et, en conduisant Michel Rocard et Bernard Kouchner à proposer une alliance PS-UDF (qui pourrait d'ailleurs se produire entre les deux tours), M. Bayrou a plongé la France dans la perplexité.
ROYAL, SARKOZY BAYROU : A CHACUN SON EXPLOIT
Les limites du bayrouisme.
Ce qui ne signifie pas non plus que, dans le temps d'une campagne, il aura réussi à chambouler les attitudes idéologiques. D'une part, une alliance PS-UDF risque d'être un compromis tactique de circonstance plus qu'une fusion des idées ; d'autre part, même alliés, les socialistes et les centristes ne sont pas assurés de dégager une majorité de gouvernement, car leur entente jetterait dans l'opposition le reste de la gauche, les Verts, toute la droite et l'extrême droite. Cela fait beaucoup d'ennemis. Mais n'allons pas plus vite que la musique. Il ne s'agit là que d'une hypothèse (qui serait aussi le seul moyen de faire barrage à M. Sarkozy) et le PS, pour le moment, ne veut pas en entendre parler.
Ce qui nous renvoie à l'autre surprise de cette campagne : l'incroyable retour de la droite qui semblait condamnée par ses échecs et par ses défaites. Comment ne pas reconnaître que Nicolas Sarkozy, en l'occurrence, a su présenter sa candidature comme un phénomène nouveau qui fait du passé table rase ? Comment ne pas admettre que ses électeurs ne lui tiennent nullement rigueur des années qu'il a passées au gouvernement ? Et comment cette présence forte de la droite ne serait-elle pas une déception pour la gauche, dont les victoires aux européennes et aux régionales semblaient préparer l'alternance ?
Certes, la gauche n'a pas dit son dernier mot. Mais il est clair qu'elle n'est pas parvenue à représenter une alternative inéluctable à la perte de confiance dans la droite. Mieux : l'alternance à Chirac, ce serait Sarkozy et non Royal.
Un supplément d'électorat.
La campagne était-elle passionnante ? Les débats étaient-ils intéressants et fructueux ? Des projets nous ont-ils été décrits de telle manière que nous les avons bien en tête ? On peut répondre non à chacune de ces questions, de même qu'on peut dénoncer les sondages tout en bâtissant des raisonnements politiques à partir de leurs résultats.
Cette année, il y a environ trois millions de plus d'inscrits, on s'attend à une forte participation, et personne ne peut dire vraiment qui va bénéficier de ce supplément d'électorat.
Cette année, il y a un suspense : rien, on ne peut rien dire des résultats du premier tour ; on ne peut pas complètement écarter une élimination de Mme Royal ; on ne peut pas négliger l'hypothèse d'un second tour entre Sarkozy et Bayrou, qui se traduirait par la victoire du centriste ; on ne peut pas non plus ignorer un autre cas de figure, à savoir que deux courants, celui de Bayrou et celui de Le Pen, affaibliraient Royal et Sarkozy au point de faire jaillir du scrutin une crise ou un salmigondis proche de l'anarchie.
Un résultat imprévu mettrait, il est vrai, les instituts de sondages dans l'embarras une nouvelle fois. Mais l'expérience de 2002, nous recommande à tous la prudence et le refus de tout pronostic.
Demain: 2) L'enjeu du scrutin de dimanche
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