La confrontation avec la maladie et son injustice est le lot commun de toutes les spécialités médicales. Mais toutes ne sont pas égales face à la dureté des épreuves vécues par leurs patients. On peut ainsi avancer sans grand risque d’être contredit que l’oncologie, avec les drames humains qu’elle charrie, fait partie des disciplines les plus éprouvantes de ce point de vue. C’est en tout cas ce que dit constater le Dr Antoine Deleuze, chef de clinique en oncologie au centre Eugène-Marquis de Rennes. Une vérité primordiale qui lui semble évidente aujourd’hui, mais qui ne s’est imposée à lui que progressivement.
« J’ai choisi l’oncologie médicale sans avoir jamais mis les pieds dans un service d’oncologie, se souvient ce trentenaire qui a fait ses études médicales à Paris-Diderot. C’est une spécialité que j’ai découverte à travers d’autres, notamment la dermatologie, ainsi que par la biologie cellulaire que l’on faisait en cours. » Le jeune homme ne cache pas qu’il a à cette époque éprouvé une forme de fascination pour le cancer, fascination dont il n’est pas encore tout à fait sorti. « Il y a une forme de beauté dans la façon dont les cellules cancéreuses se développent, dans ce caractère aléatoire, avoue-t-il. C’est à la fois terrible et incroyable, et c’est une maladie extrêmement étonnante. »
Le jeune homme avoue n’avoir appréhendé que plus tard le caractère fondamentalement tragique qu’avaient les pathologies dont il allait devoir s’occuper toute sa carrière durant. « J’ai choisi sans vraiment comprendre la catastrophe humaine que constitue le cancer », explique-t-il. Point de naïveté dans cette confession : Antoine avait bien touché du doigt, durant son externat, « la violence de la douleur, de l’injustice » qui est associée à la maladie. « Mais ce n’est que quand on est prescripteur, quand nos actions ont des conséquences véritables pour le patient, que l’on prend la pleine mesure de ce qu’est le cancer », estime-t-il.
Défense et illustration de l’oncologie
Il ne faut cependant pas voir dans ce constat lucide une forme de regret : le Rennais est un défenseur enflammé de l’oncologie. « C’est une discipline à la fois extrêmement spécialisée, pointue, mais aussi très transversale, très clinique, loue-t-il. Il faut être bon en tout : on doit connaître tous les organes, et en même temps il faut être à la pointe de la thérapeutique, car les traitements changent tous les six mois. » Pour lui, l’oncologue doit donc à la fois être « un médecin complet » et « un scientifique ».
Mais le chef de clinique ne trouve pas à sa spécialité uniquement des atouts liés au plaisir intellectuel qu’elle lui procure ; elle brille aussi à ses yeux par le service qu’elle rend aux patients et à la société. « Le cancer est la première cause de mortalité, devant les maladies cardiovasculaires, rappelle-t-il. Quand on est oncologue, on s’adresse donc à un problème qui touche la majorité des Français. » Une tâche qui, il en est bien conscient, ne peut en aucune façon être accomplie par l'oncologie de manière isolée.
Face au grignotage
« Le cancer est traité par les oncologues, mais aussi par d’autres spécialistes, reconnaît-il quand on l’interroge sur un possible « grignotage » de son pré carré par des disciplines d’organe. Les dermatologues, les gastro-entérologues, les pneumologues font tous du cancer, et ils peuvent notamment faire des gestes. » Mais si le jeune oncologue ne peut que constater une forme de concurrence, il n’en devient pas pessimiste pour autant. « L’oncologie est une discipline très dynamique, qui tend à se complexifier, et les oncologues médicaux tout comme les spécialistes d’organes vont devoir, de plus en plus, se surspécialiser dans un des domaines de la cancérologie », veut-il croire, estimant qu’un partage des tâches entre spécialités est en train de s’opérer naturellement. Les spécialistes d’organe qui prennent en charge la pathologie tumorale sont donc selon lui en train de devenir des onco-dermatologues ou des onco-pneumologues, tandis que les oncologues médicaux, de leur côté, « tendent vers un ou deux domaines de surspécialité ».
Reste à savoir quel type d’oncologue Antoine souhaite être. Le jeune homme affiche un tropisme certain pour la recherche et l’enseignement, et c’est la raison qui l’a poussé vers le clinicat… même s’il est conscient des multiples chausse-trappes que recèlent les carrières universitaires. En attendant de voir dans quelle direction l’avenir l’emportera, il se consacre à ses patients (ou plutôt ses patientes, car il travaille actuellement en sénologie et en gynécologie)… et c’est sûrement ce qui lui importe le plus.
Exergue : Ce n’est que quand on est prescripteur que l’on prend la pleine mesure de ce qu’est le cancer