Dans la maladie d’Alzheimer, les travaux de recherche sont nombreux et les annonces presque quotidiennes. Faut-il s’en réjouir ou s’impatienter des maigres résultats ? Même sur les pistes les plus prometteuses, la patience est de mise.Tour d’horizon des principaux chantiers.
Actuellement dans le monde, plus de 100 molécules sont testées dans la maladie d’Alzheimer si l’on prend en compte toutes les phases de développement clinique. Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres. « Pourquoi autant de traitements marchent chez la souris mais pas chez l’homme ? » s’interrogeait le grand spécialiste le Pr John Hardy (Institute of neurology, Londres) en 2006 lors du centenaire de la première description de la maladie par Alois Alzheimer. 6 ans après, le constat reste d’actualité. Parmi les nombreux travaux de recherche, la piste de l’immunothérapie semble la plus prometteuse à moyen terme quand les antisécrétases et la modulation de la protéine Tau restent en phases assez préliminaires. Les protocoles d’évaluation sont lourds et les malades parfois réticents à y participer, ce qui gène l’inclusion dans les grands essais cliniques et retarde l’avancement des travaux. ?L’enjeu est de taille et l’urgence est grande puisque l’OMS annonce le triplement du nombre de cas de démences d’ici à 2050.
La règle de trois
Selon le Pr Dubois, il existe schématiquement trois niveaux d’action : sur les phases fondamentales spécifiques : protéine bêta-amyloïde et protéine tau qui sont des étapes clé de la pathologie neuro-dégénérative. Ensuite, sur la cascade d’événements qui retentissent sur la fonction neuronale puis sur la vie du patient. Enfin ceux qui jouent sur les facteurs associés à la mort neuronale. Il en est ainsi des anti-hypertenseurs qui jouent indirectement un rôle par le biais de l’amélioration de la fonction vasculaire. Plusieurs pistes se dégagent avec, pour chacune, des avantages et des inconvénients.
La plus avancée : l'immunothérapie ou « vaccin »
Les recherches les plus abouties concernent l’immunothérapie qui a néanmoins été lourdement pénalisée au départ par des effets indésirables inattendus. La maladie d’Alzheimer est liée notamment, à l’accumulation dans le cerveau du peptide amyloïde ß . L’approche que tentent beaucoup d’équipes vise donc à développer une technique d’immunothérapie consistant soit à stimuler le système immunitaire pour qu’il se débarrasse de la protéine anormale (immunothérapie active) soit à administrer des anticorps qui activent la dégradation des agrégats (immunothérapie passive). La première étude arrêtée avec le vaccin d’Elan a mis en évidence des réactions neurologiques graves à type d’encéphalopathies chez 6 % des personnes vaccinées On attend des résultats de 6 ou 7 essais qui devraient être disponibles d’ici 2013, un essai avec le bapineuzumab devrait se conclure dans les prochains mois. Le bapineuzumab est un anticorps monoclonal humanisé qui cible les protéines bêta-amyloïdes.
Le plus : « La piste de la vaccination reste intéressante dans la mesure où c’est la seule qui donne des résultats très positifs chez l’animal » a indiqué le Pr Bruno Dubois (Hôpital Pitié Salpêtrière, Paris). Chez les personnes décédées qui avaient participé à l’étude sur le vaccin, les données autopsiques montrent une diminution des plaques. « Ce qui corrobore l’effet du modèle expérimental » a précisé le Pr Dubois. « Certains n’avaient plus aucune plaque » note aussi Bernard Croisile. Actuellement, la présence de marqueur cérébral spécifique comme le PET amyloïde permet de suivre l’effet des médicaments. Ainsi, deux de ces vaccins ont montré contre placebo un effet de réduction du nombre des sites de rétention du marqueur, ce qui est plutôt bon signe.
Le moins : le problème c’est qu’aucun n’a montré d’effet clinique. Concernant les encéphalopathies secondaires au premier vaccin, elles étaient en rapport avec une trop grande immunogénicité du peptide de 42 acides aminés qui créait des réactions croisées avec d’autres composants cérébraux que la protéine Beta-amyloïde. Un autre travail fait avec des fragments plus petits de 10 acides aminés n’a mis en évidence aucun cas de méningo-encéphalite. Un autre effet indésirable qui est apparu est celui des oedèmes vasogéniques, « peut-être une conséquence des effets positifs » selon le Pr Dubois. Un oedème est observé dans les territoires vasculaires qui drainent les produits de dégradation des plaques amyloïdes. Le peptide anormal viendrait obstruer le vaisseau et créer un œdème en amont. Pour le Dr Croisile, « s’il faut une hospitalisation pour vacciner ce sera très compliqué. Si on suit strictement l’AMM, ce sera pour les 50 -80 ans donc pour seulement un tiers des patients puisque deux tiers ont plus de 80 ans ». Bernard Croisile se montre assez réservé. «Ce sont des protocoles très lourds avec des contraintes pratiques énormes, explique-t-il. Autre réserve : attaquer la plaque est peut-être trop tardif.
La plus élégante : miser sur les antisécrétases
Des pistes très «fondamentales » conduisent aux sécrétases, des enzymes qui conduisent à produire en excès le peptide amyloïde toxique. L’idée des anti-sécrétase est de couper la cascade d’événements qui conduit à la formation d’amyloïde en excès par déviation du métabolisme de l’APP vers la voie amyloïde. Les différentes tentatives ciblent la gamma-sécrétase et la beta sécrétase. L’inhibiteur de BACE (beta site APP cleaving enzyme) va être évalué en phase II.
Le plus : l’approche conceptuelle est séduisante car elle est très proche de la physiopathologie et on peut espérer vraiment s’attaquer aux racines du mal.
Le moins : cet axe a du mal à se concrétiser au stade clinique. Il y a eu des résultats très négatifs avec un inhibiteur de gamma sécrétase. Des effets indésirables cutanés ont fait émettre des réserves sur la classe des gamma sécrétases en raison de l’inhibition qu’elles exercent sur NOTCH, une étape importante de régulation cellulaire. De nouveaux inhibiteurs ayant une moindre affinité pour ce site NOTCH donc a priori mieux tolérés sont à l’étude.
La plus novatrice : cibler Tau
Faut-il cibler la protéine amyloide ou la protéine tau. Deux clans s’affrontent. On sait qu’il faut des protéines beta amyloïde et la protéine tau pour faire une maladie d’Alzheimer mais on ne sait pas quelle est la plus pertinente à cibler. Les protéines Tau s’agrègent anormalement et sont à l’origine de la dégénérescence neurofibrillaire L’hyperphosphorylation de tau modifie le cytosquelette et affecte le transport axonal qui nuit au fonctionnement des neurones. Après les déboires avec la protéine bêta amyloïde, l’inhibition de tau retient la faveur des experts. La protéine FKBP52qui s’oppose à l’accumulation de Tau est prometteuse sur les souris et devrait entrer en phase clinique chez l’homme.
Le plus : il existe une vraie corrélation entre le degré de dégénérescence neurofibrillaire lié à Tau et l’état clinique alors qu’il n’y a pas de relation directe entre la sévérité des plaques et le déclin cognitif. Il existe un parallélisme entre la quantité de Tau et la progression de la démence.
Le moins : « Mon impression est que l’on n’est peut-être pas remonté suffisamment haut dans la cascade enzymatique pour attaquer la bonne cible » a nuancé le Dr Croisile. Il faut probablement agir à plusieurs niveaux et il n’est pas sur qu’en ne ciblant que la protéine tau ce soit suffisant.
La plus inattendue : le bexarotène
Un médicament anticancéreux utilisé en hématologie dans le traitement du lymphome cutané à cellule T permet expérimentalement d’éliminer la protéine bêta-amyloïde avec un effet spectaculaire chez la souris. Le bexarotène, est un agoniste hautement sélectif des récepteurs RXR qui peut stimuler la synthèse d’Apo E, qui, elle dégrade les protéines bêta amyloïdes. Une étude menée chez des modèles expérimentaux de souris Alzheimer montre qu’une prise orale de bexarotène ferait disparaître les plaques bêta-amyloïdes et améliorerait le déclin cognitif des souris. Toutefois, il reste en effet à démontrer que ces effets soient les mêmes chez l’homme, et que l’effet se traduise sur le plan cognitif.
Le plus : un effet de « nettoyage » de plaques proche de celui de la vaccination, l’effet est rémanent. « Très impressionnant, très rapide, très visible » pour le Dr Croisile.
Le moins : molécule en stand-by qui n’est pas en évaluation car le bexarotène est utilisé en cancérologie et cela pose de problèmes d’évaluation en raison des précautions d’emploi.
Les plus informelles : les thérapeutiques non médicamenteuses
Antioxydants, stimulation intellectuelle, bonne hygiène de vie sont à poursuivre. « Les facteurs émotionnels et psychologiques sont très importants. Un patient mis en échec continuellement a tendance à se replier sur lui-même. Il faut réviser ses attentes à un niveau inférieur pour qu’il reprenne confiance en lui. La musicothérapie ou l’arthérapie permettent une stimulation cognitive. Il y a une approche d’évaluation de ces traitements non médicamenteux. Une étude dotée d’un PHRC (programme hospitalier de recherche clinique) a pour finalité de démontrer l’intérêt de ces approches » a indiqué le Pr Dubois.
Le plus : elles sont directement applicables, changent le regard que l’on a sur la maladie.
Le moins : elles n’enrayent pas l’évolution de la détérioration cognitive et n’agissent pas sur le processus pathologique.