La colère était vive avant l'épidémie de Covid-19. Plus de 25 000 manifestants, selon les organisateurs, issus de la recherche publique étaient descendus dans la rue le 5 mars dernier pour protester contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2021-2030 (LPPR).
Alors que la LPPR est présentée ce 8 juillet en Conseil des ministres, la crise du coronavirus n'a pas entamé l'indignation d'une majorité de chercheurs. La promesse du gouvernement, au cœur de l'épidémie, d'augmenter de cinq milliards d'euros d'ici à 2030 le budget annuel de la recherche (avec une amorce de 400 millions dès l'an prochain) pour qu'il atteigne 20 milliards d'euros par an en 2030 (soit cinq milliards de plus qu'aujourd'hui) n'a pas non plus dissipé les craintes.
L'effort est même insuffisant, selon le Conseil économique, social et environnemental, qui plaide pour que six milliards d'euros soient affectés d'ici la fin du quinquennat à la recherche publique. Faute de quoi ce serait « faire peser les efforts budgétaires essentiellement sur les deux quinquennats suivants », dit-il.
Risque de précarisation
« Sur la forme nous sommes déçus : le texte a été diffusé aux représentants de la recherche publique et des universités seulement une semaine avant la discussion. C'est une parodie de débat », dénonce Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS sur la modélisation des maladies infectieuses. Sur le fond, les chercheurs redoutent une précarisation préjudiciable au bon déroulement de la recherche fondamentale.
Certes, l'Élysée promet « une revalorisation substantielle des carrières et la création de nouvelles chaires de professeurs juniors ». Mais ce dispositif de chaire junior ou « tenure track », une nouvelle voie de recrutement de jeunes scientifiques (permettant d'accéder à une titularisation à un poste de professeur des universités ou de directeur de recherche après une mise à l'épreuve pouvant durer jusqu'à six ans) pourrait mettre à mal l'indépendance des chercheurs, s'inquiète Samuel Alizon. « Comment ne pas vouloir plaire à un futur recruteur ? Quand on a besoin d'un poste, le risque est de privilégier la recherche à court terme. Sans parler de fraude scientifique ».
« Comme le CDI de mission ou le contrat doctoral de droit privé, c'est un ballon d'essai vers la casse de la fonction publique », dénonce radicalement Christelle Rabier, maîtresse de conférences en sciences sociales (EHESS).
Plus modéré, Franck Perez, directeur de recherche au CNRS, trouve au contraire intéressants les CDI de mission que prévoit la loi, en ce qu'ils permettent d'aligner des contrats actuels trop courts sur le temps long des projets. « Il est important d'avoir des recrutements sur le plan national (qui donnent la dimension structurelle) et sur le plan local, pour se donner de l'agilité », estime-t-il.
En revanche, « la LPPR ne fait rien pour les ingénieurs techniques et administratifs des laboratoires qui sont pourtant la mémoire des laboratoires », regrette Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille, spécialiste des coronavirus.
En outre, les avantages financiers ne peuvent suffire à attirer les talents. « Dans le cas des labos de biologie structurale, aucun premier de cordée n'ira dans un laboratoire qui ne dispose pas d'un cryomicroscope haute résolution. Il faut avoir les moyens de fonctionner ! », souligne Bruno Canard.
Des financements à réformer
Les chercheurs contestent le renforcement du système d'appel à projet, en ce qu'il risque - faute de financements suffisants - de se faire au détriment des dotations de base des laboratoires.
Certes, la LPPR prévoit une augmentation du budget de l’Agence nationale de la recherche (ANR), avec possibilité d'allouer des financements non ciblés, « pour soutenir la créativité », lit-on dans l'exposé des motifs de la loi.
Mais « il faut pouvoir reporter ces crédits d'une année sur l'autre et avoir davantage de liberté budgétaire, pour développer une vision, une stratégie », demande Franck Perez, regrettant plus largement « l'absence de confiance, voire l'infantilisation » des chercheurs sur la gestion de leurs fonds. « Si notre équipe a pu sortir en avril une application permettant d'estimer le taux de reproduction (R0) du Covid-19, abonde Samuel Alizon, c'est parce que notre laboratoire est un peu mieux doté que les autres (IRD + CNRS) et surtout que nous avons en plus un projet de recherche européen, avec des crédits récurrents ».
Les chercheurs demandent que les taux de réussite à l'ANR s'élèvent à 40 %, contre 15 % actuellement (soit neuf projets sur dix refusés). Et que la réforme du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) ne cède pas à un certain dirigisme. « Cela risque de devenir une agence d'évaluation axée sur la bibliométrie, alors que dans le milieu scientifique (hors médecine), la qualité des articles publiés prime maintenant sur leur quantité dans les recrutements », regrette Samuel Alizon.
Enfin, les acteurs de la recherche publique appellent à un rééquilibrage de leurs financements, eu égard aux montants du crédit d'impôt recherche (CIR) - six milliards d'euros (dix fois plus que l'enveloppe de l'ANR), auquel peut prétendre le privé, sans être soumis à des évaluations aussi rigoureuses. « Comme la crise du Covid l'a montré, il faut de la recherche fondamentale avant tout transfert des médicaments vers l'industrie », observe Bruno Canard.
Dissensions en médecine
La LPPR mécontente même les médecins. Son 23e article crée un comité territorial de la recherche en santé autour de chaque CHU, pour « animer la recherche clinique et en soins primaires avec les professionnels du secteur ambulatoire ».
« La responsabilité de la recherche en soins premiers doit relever des universités et non des CHU », ont réagi le Collège national des généralistes enseignants, le Collège de la médecine générale, l’ANEMF et l’ISNAR-IMG dans un communiqué commun, dénonçant une « mainmise hospitalière sur les budgets de la recherche ». « L'impossibilité de mener des projets de recherche en première ligne est une carence grave dont les patients et la société sont victimes sur le long terme », écrivent-ils.
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