Par le Pr Jean-François Bergmann *.
L’affaire Médiator a eu la peau de la commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM) qui vient de disparaître définitivement. Dans la nouvelle Agence de sécurité sanitaire des médicaments (ANSM), elle est remplacée par deux commissions consultatives, l’une d’évaluation initiale du rapport bénéfice/risque des médicaments, l’autre de suivi de ce rapport bénéfice/risque.
Il est temps de revenir sur les conséquences de cette affaire sur l’évaluation du médicament en France. En dehors de la responsabilité de l’industriel qui sera évaluée par le procès en cours, les agences nationales de santé et les politiques ont failli. Tous ceux qui ont participé à cette évaluation, dont l’auteur de ces lignes, se sentent responsables, coupables, honteux mais aussi leurrés par des structures bureaucratiques et apathiques.
Devant une telle situation, Claude Bernard, initiateur de la Médecine Expérimentale, aurait proposé l’observation d’un phénomène pathologique, puis l’expérimentation de solutions pour enfin en analyser les résultats. Mais rien de tel n’a été accompli. L’observation du problème a été laissée aux médias et à certains députés ou autre ancien doyen plus provocateurs que constructifs, l’expérimentation s’est limitée à une loi d’affichage opportuniste et répressive, l’analyse est restée superficielle conduisant à des changements organisationnels sans réflexion sur les missions ni les modes de raisonnement. À côté des éventuelles fautes du laboratoire, il était pourtant assez facile de retrouver les ingrédients d’un tel scandale sanitaire : une pharmacovigilance archaïque et somnolente, des agences frileuses, crédules et manquant d’acuité et de curiosité, une administration n’arrivant pas à hiérarchiser les problèmes ni a canaliser les énergies.
Face à ce constat, la nouvelle direction générale de l’ANSM, championne toute catégorie du double langage, en place depuis bientôt deux ans, a pris des premières décisions bien étonnantes :
- Sans ménagement, l’immense majorité des évaluateurs internes a valsé du jour au lendemain laissant des milliers de dossiers en attente et entraînant des retards parfois de près de deux ans dans des décisions concernant nos malades. En créant pas moins de 44 nouvelles commissions ou comités techniques, il n’est pas sûr que la structure y ait gagné en productivité…
- La plupart des experts auprès de l’AMM ont été renvoyés sans un mot de remerciement. Haro sur ces évaluateurs externes dont on n’a parlé que pour pourfendre leurs liens d’intérêt. Il faut pourtant rappeler qu’ils sont des volontaires bénévoles qui croient, avec un certain militantisme, en leur mission de santé publique qu’ils exercent avec rigueur malgré les critiques et l’absence totale de reconnaissance. Sans experts cliniciens externes, les décisions purement technico-réglementaires seront prises plus facilement mais seront-elles meilleures ?
- L’évaluation « à la française » au sein des instances européennes est devenue « gauloise », étouffée par le principe de précaution, faisant chuter la place de la France dans les procédures d’AMM européenne. La majorité des pays européens considèrent l’AMM comme une simple autorisation et comptent sur leurs recommandations nationales et la rigueur de leurs prescripteurs pour promouvoir le bon usage du médicament. Que la France en fasse autant.
- La médiatique réévaluation des AMM nationales anciennes (« Plus jamais d’affaire Médiator ! ») a débuté de façon brouillonne et opaque. Elle a conduit à prendre la même décision de « rapport bénéfice-risque défavorable » pour des médicaments aussi opposés que le redoutable méprobamate ou le bien anodin ginkgo biloba. Commençons par définir des priorités de santé publique et que les politiques disent clairement les frontières de l’acceptable.
- En revanche, on garde le préhistorique système français de pharmacovigilance basé sur les notifications spontanées des effets indésirables des médicaments, alors que l’on sait depuis longtemps que ce gigantesque gruyère est incapable de déterminer l’incidence d’un événement iatrogène et est bien surdimensionné pour ne servir qu’à un simple déclencheur d’alerte. À quand une vraie pharmaco-épidémiologie basée sur le croisement des diagnostics et des ordonnances et sur le suivi prospectif exhaustif des prescriptions ?
Claude Bernard, réveille-toi ! Demande à ceux qui nous dirigent une définition précise des rôles de chacun ; incite-les à plus de vivacité d’esprit et de sens des priorités sanitaires ; empêche-les de ne penser qu’à leur image et à parler au nom du principe de précaution ; explique-leur qu’il faut prioriser les efforts en se basant sur des critères cliniques notamment pour se débarrasser enfin des médicaments anciens dangereux ; dis-leur que l’avenir de l’évaluation est européen et que la France doit redevenir leader en faisant un travail rapide et de qualité sur les nouveaux médicaments plutôt que de s’épuiser sur des modifications sémantiques des vieilles AMM nationales. Claude Bernard, propose-leur une valorisation de la fonction d’évaluateur, une modernisation de la pharmacovigilance grâce à la pharmaco-épidémiologie qui s’appuie sur des outils informatiques modernes ; rappelle-leur que les industriels du médicament, ceux sans qui rien ne serait possible, méritent non des égards mais du simple respect : une charte devrait engager les agences à expliquer clairement leurs décisions, à tenir des délais raisonnables, à aider concrètement au développement des nouveaux médicaments, à répondre rapidement et précisément aux questions légitimes et à décider dans un souci permanent d’équité.
Enfin, Claude Bernard, tu nous as appris à tirer des leçons de nos expériences. Faisons-le en étant homogène et rigoureux dans nos décisions mais aussi en améliorant la formation des prescripteurs et le contrôle des prescriptions. Il y va de la qualité des soins donnés aux malades.
* Service de médecine interne hôpital Lariboisière, Professeur de Thérapeutique Université Paris-Diderot, ancien (dernier !) vice-président de la commission d’AMM de l’ANSM. Tribune parue dans le numéro 9210 du « Quotidien ».
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