L’addiction sexuelle ne fait pas encore consensus

Une affection raillée et pourtant réelle

Publié le 16/03/2015
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3 à 6% de la population américaine souffre d'addiction sexuelle, en majorité des hommes

3 à 6% de la population américaine souffre d'addiction sexuelle, en majorité des hommes
Crédit photo : BSIP

Dans certains pays où le divorce par faute est ruineux, la dépendance au sexe est devenue une porte de sortie plus ou moins honorable, et surtout à moindre frais. L’addiction sexuelle fascine, elle est invoquée tout azimut et les amalgames ont contribué à galvauder son diagnostic, selon le Pr Michel Reynaud.

Les patients qu’il voit régulièrement au cours de sa pratique hospitalière sont « surtout des hommes… l’addiction peut prendre des formes diverses. Par exemple la masturbation compulsive, certains passent 8-10 heures par jour sur des sites pornographiques ; d’autres enchaînent les partenaires anonymes, passent leurs journées à les rechercher… La sexualité envahit leur vie et devient source de souffrances psychologiques et physiques », explique le clinicien. Chez ces personnes, la sexualité serait vécue comme un exutoire pour leurs angoisses. « Ils recherchent l’apaisement dans le sexe. Mais les angoisses ne disparaissent pas avec la jouissance, au contraire, ces personnes ont honte et se sentent coupables après coup, face à leur propre incapacité à se contrôler, face à la perte de temps… La quête d’apaisement reprend, c’est un cycle infernal. »

Le trouble n’est pas inscrit dans le DSM

De par sa frontière floue avec les troubles compulsifs ou avec les paraphilies, cette pathologie fait actuellement l’objet de nombreuses controverses – tant sur le plan nosographique que thérapeutique. Face au manque de consensus, l’addiction sexuelle n’apparaît pas en tant que telle dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) – la bible américaine pour la recherche en psychiatrie, dont le but est d’homogénéiser les critères diagnostiques. L’unique addiction comportementale à avoir fait son entrée dans la dernière et 5e version du DSM, parue en 2013, est le jeu pathologique.

Le manuel comporte cependant un « trouble de l’hypersexualité », répertorité dans la catégorie des troubles des conduites. Mais cette dénomination est mal appropriée, selon le Pr Reynaud. « Il n’y a pas de sexualité "normale" ni une seule façon de la pratiquer. Il existe des "hypersexualités" tout à fait physiologiques, nous ne sommes pas tous égaux en la matière, il existe aussi des "hyposexuels"… Donc l’hypersexualité, en soi, n’est pas un trouble, insiste l’addictologue. Tel qu’il est défini dans le DSM5, ce trouble présente d’ailleurs toute la terminologie des addictions : la perte de contrôle, l’excès, la souffrance, la volonté d’arrêter sans y arriver… »

Avant que la dépendance sexuelle ne fasse son chemin dans le DSM, il est nécessaire de s’y retrouver dans ce fourre-tout dans lequel se côtoient aujourd’hui infidèles repentis, hypersexuels, pervers et addicts. Pour le praticien, les critères de l’addiction sexuelle doivent être clairement établis. « Il faudrait mettre en place des études permettant de catégoriser les signes, et à partir de cela, réaliser des bilans hormonaux, psycho et cognitifs complets, éventuellement de l’imagerie… C’est un champ qui doit être analysé de façon rationnelle, or, pour l’instant, on n’a quasiment rien. »

Un trouble qui se soigne sur le long terme

Que penser alors de cet emballement autour des cliniques spécialisées aux États-Unis ? Pour le Pr Reynaud, la prise en charge d’une addiction repose forcément sur un travail qui dépasse le cadre de la cure hospitalière.

« Poser une étiquette d’addict sexuel, envoyer une personne se faire soigner deux semaines ou un mois, comme on le faisait auparavant avec les alcooliques – la cure dont on allait sortir miraculeusement blanchi – ça peut faire plaisir à l’entourage et encourager le patient, mais ça ne suffit pas… explique le Pr Reynaud. Après il peut toujours être intéressant d’aller au vert se ressourcer, réfléchir, traiter sa dépression, laisser s’apaiser les conflits conjugaux… Je ne dis pas qu’il faut tout jeter mais, s’il s’agit effectivement d’une addiction, c’est un travail de plus longue haleine. »

En France, la prise en charge est de nature ambulatoire, les spécialistes s’appuient essentiellement sur la thérapie comportementale et cognitive. « On travaille les scénarios, on cherche à aider le patient à repérer et modifier ses schémas automatiques dysfonctionnels, les émotions qui déclenchent le cycle, on essaie de renforcer d’autres types de plaisirs, etc. ». Au CHU de Nantes, le service d’addictologie a mené une étude exploratoire sur les thérapies de groupe, qui aurait montré des bénéfices. Enfin, des stratégies de type psychanalytique, systémique, sexologique et conjugal peuvent être associées. L’hospitalisation, elle, est rarement proposée, sauf lorsque la dépendance sexuelle s’accompagne d’addiction sérieuse à des substances – souvent des problèmes d’alcool ou de cocaïne, note le Pr Reynaud.

Une prise en charge encore timide…

Mais les spécialistes en la matière restent rares, surtout en province. « Il y a quelques thérapeutes en ville… Il y a quelques rares hôpitaux qui font de l’addiction comportementale, ils s’y sont mis avec le jeu pathologique, mais ils ne sont pas nombreux. Je pense que c’est un réel problème car ces personnes en souffrance on du mal à trouver une réponse soignante ».

À cela s’ajoute la barrière érigée par la honte associée à tous types d’addictions – certaines plus que d’autres. Pour l’instant, la seule option offerte au niveau national est offerte par un groupe d’entraide, « l’association pour les dépendants affectifs et sexuels anonymes » (DASA), qui fonctionne sur le modèle des alcooliques ou des narcotiques anonymes, et se réfère à la toute puissance divine pour trouver la « volonté » de rester « sobre ». Mais le ciel n’est pas toujours efficace…

Clémentine Wallace

Source : Le Quotidien du Médecin: 9395