LE QUOTIDIEN : Quels changements concrets à venir pour les médecins ?
PATRICK ERRARD : Il y a une modification substantielle apportée par la loi de 2016. Désormais, le laboratoire pharmaceutique doit fournir à la base de données publique « Transparence santé* » l'objet précis du contrat, le bénéficiaire direct et final ainsi que les montants des rémunérations qui s'y attachent. Cela concerne toutes les prestations dès lors qu'il existe une relation contractuelle entre le médecin et le laboratoire. Cela peut être la rédaction d'un article scientifique, la participation à titre de conseil à un congrès… Le plus important des contrats est celui sur la recherche clinique.
Ces déclarations sont à fournir avant le 1er octobre de chaque année pour les contrats, rémunérations et avantages consentis au cours du 1er semestre. Quel est le nombre de contrats conclus et leur montant moyen ?
Cette modification est toute récente. Les informations sur le nombre de contrats conclus et les montants versés ne seront connues que dans six mois, une fois les données analysées. Les contrats peuvent aller de quelques centaines d'euros à plusieurs dizaines de milliers d'euros selon la nature de la prestation prévue.
Les contrats d'investigation clinique, par exemple, intègrent des rémunérations liées à la fois à l'activité du médecin investigateur, au suivi des études ou encore à l'audit qualité des études. Ce sont des contrats lourds qui justifient des montants de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d'euros.
Comment ces données sont-elles collectées ?
Le processus de collecte des dépenses de toute nature – frais d’hospitalité, repas, voyage… – est propre à chaque laboratoire. Toutes ces données sont colligées dans des logiciels informatiques différents et c’est la compilation de ces sources variées qui est complexe. Pour donner un ordre d’idée, un laboratoire de taille moyenne envoie entre 8 000 et 10 000 lignes à chaque publication. À chaque action correspond une ligne !
Cet éclatement rend la collecte encore plus difficile. Il faut savoir que chaque firme collige ces informations de façon automatisée pour éviter les erreurs. Mais il y a toujours un risque lié à la saisie sur le logiciel final de publication. Pour éviter toute erreur de chiffre ou parfois de doublon, nous faisons systématiquement des contrôles de qualité. La plupart d’entre nous faisons deux contrôles : un avant la publication et l’autre après.
Comment le médecin est-il informé des données publiées le concernant ?
L’information du médecin n’est pas obligatoire. Mais certains laboratoires écrivent aux praticiens pour leur donner le bilan complet de ce qui va être publié. D’autres informent les praticiens pour chaque opération. Par exemple, si nous invitons le médecin à un congrès, nous rappelons que le montant figurant au titre de cette invitation sera publié au titre des liens d’intérêt. La base étant publique, le médecin a la liberté de vérifier et de contester pour toute correction.
À titre personnel, dans mon entreprise [Astellas Pharma France NDLR], il n’y a jamais eu de contestation de la part des médecins depuis l’entrée en vigueur du dispositif en 2013.
Les conventions doivent être transmises pour avis à l’Ordre des médecins. Combien de contrats ont reçu un avis défavorable ou favorable pour ce premier semestre ?
Cet avis est aujourd’hui consultatif mais il deviendra une autorisation ou un refus au plus tard le 1er juillet 2018. C’est l’article 180 de la loi de modernisation du système de santé qui a donné lieu à une ordonnance mais ce texte n’est pas encore applicable en l’absence d’un décret. Nous n’avons pas de chiffres pour 2017. Le LEEM ne reçoit pas les avis de l’Ordre.
Avec ce dispositif sur la transparence des liens d'intérêts, les médecins sont-ils plus frileux à participer à des congrès scientifiques ?
Non. La majorité des confrères considèrent que les liens de travail avec l’industrie du médicament sont nécessaires et qu'ils ne doivent pas faire objet de conflit d'intérêt [ce qui est le cas si le lien vient influencer la décision publique NDLR]. Tous sont conscients que tout lien d’intérêt doit être déclaré et rendu public.
Je crois qu’il n’y a pas de frilosité de la part des médecins mais une prise de conscience que les choses ont changé et sont encadrées. Pour mieux les aider à saisir la nouvelle réglementation, le LEEM a diffusé deux brochures d’information – l’une à destination des médecins et pharmaciens, et l’autre pour le grand public.
Ce dispositif est-il trop contraignant ?
Oui et ceci pour deux raisons. D’abord, le dispositif est techniquement lourd et complexe. Il faut faire converger vers une base unique des données émanant de logiciels différents qui ne se sont pas nécessairement "communicants", et le tout en s’assurant qu’il n’y ait pas d’erreurs ni de doublons.
Ensuite, le fait d’avoir baissé le montant à déclarer à partir de 10 euros [pour tous les avantages et rémunérations] est une absurdité car le nombre de lignes à publier est tel que cela masque l’essentiel. La recommandation du Leem est de le fixer à 60 euros.
Quel est l’intérêt pour un laboratoire à prendre en charge financièrement les médecins ?
Si nous ne le faisons pas, il n’y aura plus aucun médecin français dans n’importe quel congrès international. C’est non seulement une nécessité pour l’industrie du médicament mais aussi un devoir de contribuer à la formation médicale continue des médecins notamment des médecins hospitalo-universitaires. Aujourd’hui, il n’y a pas de financement public pour cela.
*www.transparence.sante.gouv.fr
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