C'est une charge féroce contre l'« evidence based medicine ». Ancien chef de service au CHU de Besançon, président d'honneur de la Société nationale française de médecine interne, Jean-Louis Dupond la mène de manière... inattendue. Dans un San-Antonio à la sauce hospitalière dont le héros, hérault de l'exercice clinique et obsédé par la nécessaire réforme des études médicales, souffre d'un arachnidome de la voute crânienne (soit une araignée au plafond).
L'auteur prévient : son livre est « certes une farce d'un médecin qui a fait le pari de faire rigoler ses confrères », mais il s'agit aussi d'« un pamphlet contre certaines dérives de la médecine hospitalière moderne et en particulier son recours excessif à la technique ».
Attaques en règle
« Pamphlet », le mot est un peu faible. Car les attaques (souvent désopilantes) se font à la truelle. Tenant le manche : le Pr Duroc, maître incontesté de l'examen clinique – « L'histoire de son diagnostic de polychondrite chronique atrophiante posé sur la seule découverte d'une ensellure de l'arête nasale à peine visible, en l'absence de toute exploration complémentaire, chez un malade souffrant de fièvre et de fatigue inexpliquées, avait fait plusieurs fois le tour de l'internat. »
Face à lui, le Pr Curie : « Brillante enseignante et chercheuse reconnue, elle manifestait pour l'examen clinique au lit du malade autant de défiance qu'un caméléon sur une couverture écossaise. Elle ne palpait pas, n'auscultait pas, mais parvenait à des résultats confondants de précision et d'exactitude en ne s'appuyant que sur les données de l'interrogatoire et sur les résultats de l'imagerie et de la biologie. »
Cette « pasionaria de la nouvelle médecine » bénéficie au sein du CHU d'un soutien de choix en la personne du doyen Petitpet, professeur de biostatistique ayant « pour les cliniciens autant de sympathie qu'une tapineuse de trottoir pour le commissariat du coin ». « Grand, chauve, enveloppé dans une blouse blanche trop grande, défendue par trois rangées de stylos-billes il avait le teint d'un hareng oublié au soleil. Ses lèvres flasques ressemblait à une vulve de péripatéticienne surmenée (...). » Le portrait du monsieur laisse songeur... Tout comme ses déclarations enflammées : « Le petit p des calculs statistiques est en train de remplacer le stéthoscope dans les hôpitaux. (...) Grâce à lui, la médecine n'a plus besoin des malades. On peut même dire que le malade dérange, car il fait perdre du temps à découvrir ce qu'il a. »
Bécasses et grivoiserie
En toile de fond de la guerre des médecines (avec ou sans le corps, donc), Jean-Louis Dupond décrit sans jamais brider son imagination le quotidien d'un grand CHU. Le petit bal pyramidal des médecins (universitaires et non), des internes et des externes, des infirmiers, des secrétaires, des brancardiers... se joue sans temps mort et avec toute la grivoiserie requise. Brigitte K., baptisée la « Pompe », les externes Bacaillou et Criquet, Mike le PH (« tout à la fois Superman et Sherlock Holmes, il était spécialiste en infectiologie et jouait des antibiotiques comme Clint Eastwood de son six-coups »), la chef de clinique Buisson Ardent... font le show.
Bourgeonnement littéraire, quelques histoires de chasse viennent pimenter l'affaire – le Pr Duroc taquine la bécasse avec sa Setter Pilule. Tant et si bien que les 283 pages de l'ouvrage avalées, on se demande pourquoi diable ce n'est pas Jean-Louis Dupond qui a reçu jeudi dernier le Prix Nobel de Littérature.
Jean-Louis Dupond, « Et la clinique... bordel ! », préface du Pr Hugues Rousset, Éditions Graine d'Auteur
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