EN 1889, GAUGUIN, dans une lettre à Maurice Denis, évoquait la décennie précédente et s’exprimait en ces termes : « Je voulais à cette époque [NDLR, la fin des années 1870] tout oser (…). Aujourd’hui vous pouvez tout oser et qui plus est personne ne s’en étonne. » C’est sa découverte du petit village de Pont-Aven et de la Bretagne sauvage qui avait amené Gauguin vers de nouvelles recherches ; c’est là qu’il s’était mis en quête de naturel ; c’est là qu’il avait trouvé l’inspiration d’un art fait de couleurs vives, de plans simplifiés et de formes essentielles. Il répandit alors sur ses toiles des harmonies extrêmement audacieuses, en prodiguant à la couleur un pouvoir expressif.
Audaces.
C’est au cours de la même décennie décisive des années 1880 que les peintres Sérusier, Ranson, Bonnard, Vuillard, Ibels et Piot se réunirent pour former le groupe des nabis (« prophète » en hébreu), aux côtés de Maurice Denis, qui en devint par la suite le théoricien et chef de file. Leurs revendications et leitmotivs ? En réaction au réalisme triomphant de l’époque, développer un art simplifié, très décoratif, aux formes synthétisées, et dans lequel la nature serait glorifiée. Les nabis multiplient les audaces. Les formes sont épurées, parfois à l’extrême. Les lignes, souples et sinueuses, déploient de subtiles arabesques. Les couleurs, éclatantes, rayonnantes, sont disposées en aplats. Maurice Denis définissait un tableau, selon une formule devenue célèbre, comme une « surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Les influences du japonisme sont là. L’allégorie est très présente. La lumière est douce ou au contraire violente et extrême. On est devant une peinture vibrante, une peinture de sensations.
L’intérêt des nabis pour les arts appliqués fut vif. Il se manifesta à travers des paravents, des cartons de vitraux, des panneaux décoratifs… Les peintres participèrent également à l’aventure des théâtres d’avant-garde (décors de Vuillard, de Sérusier, de Denis, en liaison avec des metteurs en scène très inventifs tels que Lugné-Poe ou André Antoine...). Des livres illustrés en témoignent dans l’exposition.
Dans les dernières années du XIXe siècle, le groupe nabi se divise, Denis revendiquant le « goût latin » en opposition à l’« empirisme sensuel » d’un Vuillard ou d’un Bonnard. De somptueuses toiles présentes dans l’exposition (« la Fille du Patron », de Gauguin, une « Vue du port de Saint-Tropez » de Bonnard, mais aussi des œuvres de Maillol, Ranson, Vallotton, Vuillard…) illustrent brillamment ces courants originaux, parenthèses éphémères et très inspirées dans l’histoire de l’art moderne français.
Musée de Lodève, square Georges Auric, tél. 04.67.88.86.10. Tlj sauf lundi, de 10 à 18 heures (mardi jusqu’à 22 heures, du 6 juillet au 24 août). Jusqu’au 14 novembre.
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