Afghanistan : le doute français

Une certaine idée de la guerre

Publié le 14/09/2008
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LES FAMILLES des victimes ont certes tous les droits et il est normal que le gouvernement ait accepté que quelques-uns de leurs membres se rendent sur place. Mais depuis le début de ce conflit, les pertes de la coalition sont considérables et la France, pour sa part, y a perdu 24 hommes ; si l'on compare l'attitude de l'opinion à celle qu'elle avait lors de la guerre d'Algérie, par exemple, on note que le seuil au-delà duquel les pertes deviennent inacceptables a singulièrement baissé. La France ne fait pas exception à une règle que l'on observe en Grande-Bretagne, au Canada et, bien sûr, aux États-Unis, pays où les citoyens, dans leur majorité, considèrent la guerre, quelle qu'en soit la justification, comme un un anachronisme. Si les Américains comprennent qu'il faille se battre en Afghanistan, où ont été conçus les attentats du 11 septembre, ils éprouvent la même douleur pour les tués de Kaboul et pour ceux de Bagdad.

Donner du sens.

L'extrême sollicitude que le gouvernement français a témoignée aux familles des victimes est dictée par son embarras, car ces dix décès étaient évitables. On devine sans effort que le commandement a commis une erreur tactique et n'a pas pris toutes les précautions requises quand il a ordonné la patrouille fatale. Et, surtout, l'exécutif français a accru son engagement militaire en Afghanistan sans avoir pris le temps d'établir la signification de cet engagement, ni avoir obtenu des assurances de nos alliés sur la durée de la guerre et les résultats à atteindre.

LA GUERRE D'AFGHABISTAN PEUT ENCORE ETRE GAGNEE

Or il n'est pas difficile de donner du sens à la mission de nos forces et à la diplomatie que nous conduisons dans cette partie du monde : il ne s'agit pas d'une occupation de l'Afghanistan, mais d'aider les Afghans à se défendre eux-mêmes pour qu'ils puissent, dans un avenir que l'on espère pas trop lointain, établir les bases d'une économie et d'une société.

Malheureusement, la coalition ne semble pas se rapprocher de ces résultats ; et si la perte de dix hommes est durement ressentie, c'est aussi parce que beaucoup de Français ont tendance à penser, sans oser le dire, qu'ils sont morts pour rien.

Le gouvernement français peut atténuer ce sentiment en exigeant de la coalition qu'elle définisse ses objectifs : réduire l'insurrection, comme elle a fini par le faire en Irak ; créer une armée afghane capable de prendre le relais des alliés dans un délai raisonnable ; construire une infrastructure susceptible de mettre un terme à la culture et au commerce du pavot ; éliminer la corruption des rouages du fragile État afghan. C'est une tâche énorme, peut-être irréalisable. Mais après tout, les Américains sont parvenus à réduire l'insécurité en Irak, où Al-Qaïda a dû battre en retraite ; preuve qu'avec des moyens et un plan, on peut modifier le rapport de force, sinon infliger une écrasante défaite à l'adversaire.

On ne niera pas cependant que la crise afghane est d'une énorme complexité : en faisant des pertes civiles considérables, les tirs de la coalition l'ont rendue très impopulaire ; les rivalités ethnniques, les seigneurs de guerre totalement indépendants du gouvernement de Kaboul, le médiocre leadership du président Karzaï, tous ces éléments contribuent au chaos. En outre, la guerre ne pourra pas être gagnée si le Pakistan ne refuse pas le droit d'asile aux taliban. Or les services secrets pakistanais ont des liens et des affinités avec les insurgés afghans et l'instabilité politique du Pakistan (où la coalition au pouvoir a éclaté) ne favorise pas une action concertée contre les terroristes situés de part et d'autre de la frontière. Les Américains se sont octroyé un droit de poursuite sans l'avoir négocié avec les Pakistanais. De toute évidence, il faut mettre de l'ordre dans les idées, additionner les faits et tenter d'élaborer une politique réaliste, assortie d'une action militaire qui associe le Pakistan.

Un consensus.

Contrairement à ce que l'on ne cesse de répéter, la guerre d'Afghanistan n'est pas perdue : l'échec de la coalition vient de ses erreurs, mais elles peuvent encore être réparées. Par exemple, l'Irak a détourné de l'Afghanistan des forces et des moyens qui font cruellement défaut au gouvernement de Kaboul ; or il se trouve que, de George Bush à Barack Obama en passant par John McCain, un consensus américain semble se former au sujet du transfert en Afghanistan d'une partie des troupes américaines actuellement stationnées en Irak.

Autre exemple : l'action des « forces spéciales » américaines, celles qui se battent sur le terrain, va être favorisée au détriment des bombardements aériens qui ne cessent de faire des victimes civiles. Bref, s'il est toujours très difficile de battre les taliban, surtout dans les zones tribales qui séparent l'Afghanistan du Pakistan et abritent Al-Qaïda et Ben Laden, il n'est pas impossible d'élargir le périmètre de sécurité autour de Kaboul, comme cela a été fait à Bagdad, où la situation n'est pas moins compliquée.

Pour résumer : les difficultés afghanes ne doivent pas inspirer le défaitisme aux Français. De son côté, le gouvernement doit agir dans la transparence et surtout expliquer à l'opinion ses intentions et ses objectifs. Mais, bien sûr, il s'agit d'une partie très difficile : de toutes les politiques appliquées par le pouvoir, la guerre en Afghanistan est la plus dangereuse pour lui.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8418