Soins palliatifs à l'hôpital

Les choix économiques pèsent lourds

Publié le 02/07/2008
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DE NOTRE CORRESPONDANT

« LA CULTURE palliative dans une économie de rentabilité » : le thème n'était pas simple et pouvait même surprendre. Mais les organisateurs du 14e Congrès national de la SFAP y tenaient particulièrement (« le Quotidien » du 28 mai). Le sujet a même eu droit à une « plénière » au grand auditorium de la cité des Congrès de Nantes. Moins d'une semaine après l'annonce du programme de développement des soins palliatifs 2008-2012 par le président de la République lui-même et la promesse faite aux professionnels de bénéficier d'un financement conséquent, «dans une période où les crédits en matière de santé sont resserrés», comme l'a pourtant remarqué la SFAP, l'occasion était ainsi donnée de s'interroger sur l'approche budgétaire et le rapport entre santé, éthique et argent. Une problématique qui renvoyait aux travaux du comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) dans son avis de juin 2007**, qui reprenait l'idée d'Amartya Sen, économiste indien prix Nobel en 1998, citée dans son introduction : il faut réencastrer l'économie dans la science morale. «Cette interdépendance (NDLR : entre indicateurs macroéconomiques et contextes culturel, psychologique et éthique) est d'autant plus nécessaire que les pressions budgétaires qui s'exercent quotidiennement sur l'hôpital tendent à occulter la dimension éthique des arbitrages», écrivait encore le comité national.

L'intervention du Pr Louis Puybasset (département d'anesthésie-réanimation, l'hôpital de la Pitié- Salpêtrière, Paris) a fait sensation, car il a montré – exemples et chiffres à l'appui – comment un système de financement peut dévoyer des comportements. «Autour de moi, je vois des comportements non éthiques de certains pour des raisons d'activité, a-t-il regretté. Les choix économiques pèsent lourds et la relation incestueuse qu'entretiennent soignants et industrie a un impact sur les choix médicaux. La logique de la tarification à l'activité comporte des aspects positifs, comme l'incitation massive à la restructuration, la fermeture de petits établissements à haut risque par manque d'activité ou encore l'existence d'un outil de régulation politique de l'offre de soin. Mais on constate aussi que certains actes, relativement simples, mieux rémunérés, connaissent une véritable inflation au détriment d'autres plus risqués. Le médecin est juge et partie… On constate également que le remboursement des médicaments à coût constant et non en fonction du volume a un effet néfaste car, au final, c'est le malade qui paie à travers les franchises. On peut s'interroger sur le fait qu'un budget consacré à l'achat de tel médicament nouveau équivaille à 260postes d'infirmières comme c'est le cas à la Pitié… C'est bien une question éthique.» Même remarque sur le recours à des traitements de chimiothérapie en toute fin de vie, plus lucratif que l'accompagnement humain. «L'hyperactivité n'est pas forcément un signe de bonne santé médicale», déclarait en 2006 le parlementaire médecin Jean Leonetti, dont le Dr Puybasset a diffusé le témoignage vidéo.

Jean-Jacques Romatet, directeur général du CHU de Toulouse, s'est voulu plus optimiste. Avec un certain sens de l'humour, il a remarqué : «La France est un pays très idéologique mais, que le ministre soit bleu ou rose, il existe une grande continuité dans l'action. Exemple avec la T2A: préparée par les roses et mise en oeuvre par les bleus, comprenant une couche libérale, une couche planificatrice, etc., elle aboutit à un ensemble plutôt équilibré.»

Des leviers d'action.

«La T2A s'adapte probablement mal à la prise en charge des maladies chroniques, des soins de suite, des soins palliatifs, selon le CCNE», a rappelé ensuite Jean-Jacques Romatet, avant de nuancer : «Ce n'est pas si sûr que cela. La T2A n'est qu'un aspect du financement. Si quelqu'un a le courage de simplifier le mille-feuilles des soins palliatifs (EMSP, USP, lits identifiés, HAD, SSIAD), avec ses règles de financement différents, si l'on utilise mieux les règles (codage) et les outils de contrôle et d'évaluation que l'on nous donne, si l'on prend garde de ne pas entrer dans une logique trop utilitariste qui peut entraîner des dérives (sorties précoces, transferts inadaptés, chimiothérapie poussée à l'extrême…), on peut parvenir à un résultat équilibré. Les leviers d'action sont plus nombreux qu'on ne pense. On pourrait par exemple imaginer des indicateurs de suivi des soins palliatifs, comme il en existe pour l'infarctus ou l'AVC. Un système de financement ne peut pas se substituer à une éthique de comportement. La performance est possible en plus de l'approche humaine…» Le débat est ouvert.

* Le 15e congrès de la SFAP aura lieu les 18, 19 et 20 juin 2009 au CNIT de la Défense, sur le thème « Soins palliatifs, médecine et société : acquis et défis ». Informations : www.sfap.org.
** www.ccne-ethique.fr/docs/avis101.pdf.

> OLIVIER QUARANTE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8403