C'EST POURQUOI la presse et une partie de l'opinion demandent à Hillary Clinton, la moins bien placée des deux candidats, de se désister. Ce n'est pas nouveau. Elles le lui ont demandé dès le début de l'hiver, quand M. Obama a montré qu'il avait une grande partie du vote blanc. Elles le lui ont demandé quand, la semaine dernière, Mme Clinton a perdu la Caroline du Sud et ne l'a emporté dans l'Indiana qu'avec deux points d'avance. Le sénateur de l'Illinois a remporté plus d'États et obtenu plus de suffrages de délégués que la sénatrice de New York. Mais elle refuse d'abandonner la course. Dans ce dilemme extraordinaire, probablement sans précédent historique, il faut examiner deux éléments.
Il y a d'abord la nature et le caractère de Mme Clinton : son courage, en dépit de l'immense déception que M. Obama lui a infligée il y a quelques mois, alors qu'elle se présentait comme la candidate naturelle ou légitime du Parti démocrate, ne se dément jamais. Elle est douée d'une persévérance remarquable qui démontre sa capacité à gouverner : bien que les pouvoirs présidentiels soient étendus, le dialogue avec le Congrès est toujours difficile et, pour faire voter une nouvelle loi, il faut des trésors de patience et de volontarisme dont Hillary est manifestement pourvue.
Il y a ensuite les dommages, probablement définitifs, que Mme Clinton a infligés à la cause démocrate. Tout en l'admirant pour son exceptionnelle combativité, on peut comprendre que la presse tente de la convaincre de sauver la candidature de Barack Obama ; car l'énergie que les deux sénateurs mettent à se disqualifier l'un l'autre ne peut que renforcer le candidat du Parti républicain, le sénateur John McCain. Cette analyse n'est pas d'aujourd'hui, mais elle se renforce avec l'interminable campagne démocrate. Or tout a été dit : M. Obama n'a pas réussi à couler une candidate apparemment insubmersible ; Mme Clinton n'a pas réussi à écarter M. Obama de son chemin.
Un paradoxe.
De sorte que les primaires démocrates ont créé un dangereux paradoxe : alors que la qualité de chacun des deux candidats est indiscutable, ils s'affaiblissent réciproquement dans une bataille plutôt minable, où la moindre erreur sémantique prend des proportions nationales. Les fautes commises jusqu'à présent par la sénatrice ou par le sénateur ne disent rien de leur capacité à gérer les États-Unis et, par delà, le monde. Elles n'ont rien à voir avec les difficultés des lourds dossiers qui les attendent au lendemain du 4 novembre. En France, elles ne sont signalées que par les spécialistes des États-Unis. Bien entendu, le problème vient, comme lors de l'élection présidentielle de 2000, de l'égalité numérique des candidats. Si l'Amérique s'est couverte de ridicule en 2000, ce n'est pas seulement parce que les méthodes de comptage dans les bureaux de vote étaient archaïques, c'est surtout parce que George W. Bush était majoritaire en nombre de grands électeurs et Al Gore majoritaire en nombre de voix populaires. Avec Clinton et Obama, nous avons une situation comparable : par exemple, Mme Clinton a plus de « superdélégués » que M. Obama et semble plus populaire que lui dans les grands États peuplés, qui seront décisifs lors de la présidentielle. Mais il a remporté beaucoup plus d'États qu'elle.
LE DILEMME EST RACINIEN : CHACUN DES DEUX CANDIDATS IRA JUSQU'AU BOUT DE SON DESTIN
Les Américains ont démontré leur capacité à se donner une femme ou un Noir comme président. Ce sont les Blancs qui ont fait triompher M. Obama au début de la campagne ; les Noirs ne se sont ralliés à lui que plus tard, lorsqu'ils ont découvert, non sans une très agréable surprise, qu'il était éligible. Aujourd'hui, le danger est que les Américains n'auront ni un Noir ni une femme comme président et que la démonstration sera inachevée.
Le dilemme n'est pas cornélien, il est racinien : Obama et Clinton iront au bout de leur destin. Les appels à l'ordre lancés par la presse et le Parti n'ont aucune influence sur deux caractères particulièrement trempés. Hillary Clinton veut que la défaite lui soit imposée, elle n'entend pas se sacrifier plus tôt à une cause supérieure à sa personne ; Barack Obama, qui croit énormément en ses propres capacités, est convaincu, depuis le premier jour des primaires, que la victoire lui revient de droit. Il ne cèdera pas et, franchement, la presse, qui lui est favorable, estime déjà qu'il a gagné, ce qui lui évite de nourrir le moindre doute.
Le respect de la démocratie.
En outre, sur ce combat de titans plane la crainte des démocrates, de leur appareil, des médias, de peser de manière visible sur le résultat de la course ; chacun, dans son domaine, a peur de commettre une atteinte au fonctionnement de la démocratie. Les chefs du Parti craignent d'« inventer » une solution, comme l'a fait la Cour suprême en 2000, qui ne respecterait pas le rapport de forces tel qu'il est établi par l'électorat : c'est ce qui permet aujourd'hui à Mme Clinton de dédaigner les appels des médias.
Dans cette tragédie classique, tout porte à penser que l'issue sera dictée par la fatalité. Prenons l'hypothèse d'une victoire de M. Obama, plus probable que celle de Mme Clinton. Imaginons qu'elle ait lieu à la dernière minute, pendant la convention du Parti démocrate à Denver, le 25 août. Mme Clinton exprimera sa frustration, ou dénoncera une injustice ; M. Obama, si vigoureux qu'il soit, sera épuisé par la campagne et affaibli par ce qu'elle a révélé de lui, sur ses accointances dans le milieu noir extrémiste ou sur son arrogance. Même en laissant de côté les facteurs négatifs de la campagne, on verra alors que les nombreux partisans d'Hillary Clinton (la moitié de l'électorat démocrate, n'est-ce pas ?) préfèreront s'abstenir ou voter républicain.
M. Obama a raison d'être sûr de lui, il a raison de se présenter en rassembleur du peuple américain, il a raison de dire qu'il sera le président des Noirs, des Blancs, des Indiens, des pauvres et des riches. Mais John McCain, qui aura fait la campagne des primaires la plus facile de l'histoire américaine, sera élu. Or c'est sûr : 2008 devait être l'année des démocrates. Et voilà comment une chance inespérée, celle de succéder à une présidence historiquement désastreuse, va être gâchée.
> RICHARD LISCIA
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