Les 20 ans de la greffe de sang de cordon

L'histoire de l'adulte sauvé par un bébé

Publié le 22/04/2008
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DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

LORSQUE SA LEUCÉMIE a été diagnostiquée en mars 2006, Fabrice, 40 ans, ne s'attendait pas à ce qu' «un bébé puisse (lui) redonner la vie». Sans donneur compatible, la solution de la greffe de moelle osseuse est écartée. Le traitement par chimiothérapie échoue. «C'est en décembre 2006 que j'ai reçu une greffe de sang de cordon.»

Le Pr Pierre Tiberghien, président de l'Etablissement de transfusion sanguine Bourgogne-Franche-Comté, à Besançon, précise : utilisé au départ chez les enfants, le sang placentaire est aujourd'hui également transfusé chez les adultes, en administrant au patient deux greffons ensemble. «Les deux greffons aident au démarrage de la greffe mais à terme, un seul greffon persiste», indique-t-il. Car un des inconvénients de la greffe de sang placentaire, c'est le nombre limité de cellules souches hématopoïétiques dans un greffon. A titre d'exemple, sur les 2 800 unités de sang de cordon reçues en 2007 par l'Etablissement français du sang (EFS) sur les sites de prélèvement de Besançon et de Bordeaux, seules 700 sont arrivées au bout de la chaîne, c'est-à-dire jusqu'à l'inscription sur le fichier de France greffe de moelle. Parmi ces unités, 40 % ont été refusées parce que le volume était trop faible ou parce que le nombre de cellules contenu dans ce volume était insuffisant. «Dans mon cas, j'ai eu deux donneuses féminines», ajoute Fabrice dans un sourire.

Même si la greffe de sang placentaire offre de nombreux avantages – aucun risque pour le donneur, moins de risques infectieux, meilleure diversité HLA, immaturité immunologique, capacités hématopoïétiques, disponibilité immédiate –, le retour à la guérison a plutôt été éprouvant pour Fabrice. Avant la mise en place du système immunologique, qui peut aller de six mois à plusieurs années, les défenses immunitaires restent fragiles. Au cours de cette période, il arrive que le «greffon agisse contre le receveur», explique le Pr Tiberghien. Fabrice a eu des «réactions au niveau de la peau», a souffert d'infections urinaires, de problèmes intestinaux. Alors que l'hospitalisation de base est d'un mois environ, il a dû rester quatre mois en soins intensifs et subir une transfusion d'anticorps pendant dix mois. Aujourd'hui, Fabrice reprend des forces. Il a changé de groupe Rhésus (d'A+ à O-) et est devenu allergique aux noisettes, une information qui a été transmise aux enfants à l'origine du don de sang placentaire.

Grâce aux sages-femmes.

Anonyme (sauf, bien sûr, dans les cas rares d'usage intrafamilial) et gratuit, le don se concrétise à la maternité, grâce à des sages-femmes volontaires, préalablement formées au prélèvement. A Besançon, trois maternités travaillent en lien avec la banque de sang de l'EFS, deux publiques et une privé. Chevilles ouvrières du don, ce sont les sages-femmes qui sont chargées de donner l'information à la future mère lors d'une consultation prénatale : qu'est-ce que le sang placentaire, dans quel cas est-il utilisé, comment s'effectue le prélèvement ? Le consentement écrit est recueilli avant l'accouchement et un entretien médical est réalisé. Certaines contre-indications au prélèvement existent, comme des antécédents de cancer, des maladies génétiques, des pathologies endocriniennes. La fièvre pendant le travail l'exclut, la naissance de prématurés ou de jumeaux également.

Les poches de sang seront transférées à la banque dans les 24 heures après le prélèvement (dr)

«En fait, les questions que posent les mamans concernent surtout le moment du prélèvement: elles veulent s'assurer que le bébé ne risque rien ou qu'il ne sentira rien, indique Odile Allemandet, sage-femme au CHU de Besançon. Lorsqu'elles sont rassurées, il n'y a que peu de refus, souvent inexpliqués. C'est indolore et sans risque.» Le prélèvement a lieu dans les minutes qui suivent l'accouchement lorsque le cordon ombilical vient d'être coupé et que le placenta est encore dans l'utérus. Une première validation est réalisée grâce à des examens sérologiques et bactériologiques (HIV, hépatites, syphilis...), sur le sang placentaire et maternel. Obligatoires, les contrôles supplémentaires concernant le virus d'Epstein-Barr, la toxoplasmose et le cytomégalovirus ne sont toutefois pas un critère d'exclusion. «Le prélèvement ne nécessite pas de gestes très compliqués, mais c'est toutefois bien qu'une sage-femme soit totalement disponible pour le faire: on obtient un échantillon de meilleure qualité», souligne Odile Allemandet. Au-dessous de 70 ml, les poches de sang ne peuvent pas être conservées. Dans le cas contraire, elles sont étiquetées puis préparées pour leur transfert à la banque, dans les 24 heures du prélèvement.

La mission des sages-femmes ne s'arrête pas là. Deux mois après l'accouchement, la maman doit revenir à la maternité pour effectuer une prise de sang de contrôle. Pendant l'entretien, la sage-femme s'assure qu'aucun incident médical n'est intervenu dans l'intervalle. «Nous faisons tout notre possible pour motiver les mamans, poursuit Odile Allemandet. Si elles ne reviennent pas à ce rendez-vous, tout le don est compromis. Il arrive que certaines changent d'avis en cours de route», regrette-t-elle. Pour cette jeune mère de famille, qui s'est organisée avec le papa pour faire garder son bébé, il n'était pas question de ne pas aller au bout de la démarche. «A la naissance de mon premier enfant, j'ai été déçue de ne pas pouvoir donner son sang de cordon: il n'y en avait pas assez. Cette fois-ci, ça a marché. Je donne la vie, c'est une bonne motivation pour donner du sang à quelqu'un de malade», estime-t-elle.

L'étiquette, collée par la sage-femme sur le carnet de santé de l'enfant, mentionne que son sang placentaire a été prélevé «en vue de greffe allogénique». Aux pédiatres (ou à la famille) de prévenir l'Agence de la biomédecine au cas où surviendrait, par exemple, une maladie métabolique. «L'EFS de Besançon nous informe toujours de l'utilisation du don. Le retour est très important, insiste Odile Allemandet. C'est encourageant de savoir que le don a servi. Les mamans aussi sont prévenues. Un jour, l'une d'entre elles est revenue pour nous dire que le sang placentaire de son enfant avait été cédé pour greffer un malade. Elle en était très émue.»

Un réseau public de banques allogéniques

Dans le document d'information sur le don de sang placentaire qui est distribué par l'EFS de Besançon aux futures mères, un paragraphe explique la différence entre banques commerciales et banques publiques. «Des compagnies à l'étranger proposent de stocker ce sang placentaire en vue d'une greffe hypothétique d'un membre de votre famille. Ce service est payant, et vous pouvez trouver les informations relatives à ces compagnies sur Internet. En France, à ce jour, aucune structure agréée par le ministère de la Santé n'est en mesure de fournir ce service aux familles désireuses de stocker ce sang placentaire pour leur usage propre», est-il indiqué.

Contrairement à la Belgique et à la Suisse, qui ont autorisé les banques de conservation autologues (à la demande des parents moyennant finance), la France n'autorise que l'ouverture de banques publiques allogéniques. «Selon la législation française, on ne peut conserver d'éléments du corps humain que pour des visées thérapeutiques, souligne le Dr Hélène Esperou, de l'Agence de la biomédecine. Or, si l'effet allogénique est évident pour guérir par exemple une leucémie, l'effet autologue est loin d'avoir prouvé son intérêt thérapeutique, même si des recherches sont en cours», ajoute l'hématologue, qui était aux côtés du Pr Eliane Gluckman lors de la première greffe de sang de cordon en 1988. «Je peux d'ailleurs vous dire que le garçon qui a été greffé et sa soeur (donneuse) sont des jeunes gens en pleine forme aujourd'hui», ajoute-t-elle.

D'autres pays, comme l'Espagne ou l'Italie très récemment, ont adopté le concept de « banques autologues solidaires ». Les unités de sang placentaire sont conservées à la demande des parents moyennant également finance, mais le typage HLA doit être inscrit sur le fichier national. Si un malade est compatible, l'unité de sang est utilisée et remboursée à la famille. En Grande-Bretagne, Richard Branson, le fondateur de Virgin, a créé un nouveau modèle de banque de cellules de sang de cordon à la fois privée et publique. Contre 2 270 euros, les parents qui le souhaitent peuvent faire conserver le sang de leur enfant pendant vingt ans. Financée par ses clients et ses investisseurs, la Virgin Health Bank donne gratuitement 80 % de chaque prélèvement à une banque publique. Les 20 % restants restent la propriété exclusive de la famille.

> STÉPHANIE HASENDAHL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8359