LA CRISE alimentaire mondiale ne s'arrête pas aux portes de l'Europe. Conséquence de la montée des prix agricoles, de l'emballement des cours du pétrole, du réchauffement climatique, de la sécheresse et des plans agroénergétiques (biocarburants), elle menace des populations précaires de plus en plus nombreuses, en France comme dans le reste de l'Europe. Secours populaire, Banque alimentaire, Restos du Coeur et Croix-Rouge française ont fait leur compte : cette année, ce seront pas moins de 20 millions de repas qui pourraient ne pas être distribués dans l'Hexagone pour cause de choc alimentaire international. «Cinquante pour cent des aides que nous recueillons proviennent de Bruxelles, explique Marc Castille, responsable du programme France au Secours populaire, et l'augmentation du nombre des Etats de l'Union contribue à limiter les budgets qui nous sont alloués sous formes de produits alimentaires.»
10 000 tonnes de produits de base en moins.
Par rapport à 2007, les quatre principaux organismes distributeurs risquent au total de manquer de 10 000 tonnes de produits de base (lait, beurre, pâtes, viande). Cette chute des approvisionnements d'urgence s'est fait sentir dès le premier trimestre. Circonstance aggravante, à la Croix-Rouge française, on a calculé que la baisse de l'offre de repas s'accompagne, symétriquement, d'une augmentation de la demande, à hauteur de 7 %. Ce sont 3 millions de repas supplémentaires qui devraient être assurés cette année pour satisfaire les populations précaires. Aussi bien pour les distributions alimentaires d'urgence que pour les épiceries sociales (où les personnes font leurs courses contre une participation limitée à 10 % des prix) et pour les chèques d'accompagnement personnalisé, de nouveaux demandeurs sollicitent l'association. Emerge une nouvelle pauvreté qui frappe massivement les jeunes et les étudiants ; observé depuis quelques années, le phénomène de rajeunissement des bénéficiaires d'aide s'accélère, avec 50 à 60 % d'augmentation en un an : jeunes couples de salariés accusant des fins de mois difficiles, ou qui sont dans l'attente du versement du RMI, jeunes désocialisés qui vivent à la rue.
Dans les CHRS (centres d'hébergement et de réinsertion sociale), comme celui de Montpellier, un tiers des usagers ont moins de 25 ans. Autre phénomène massif relevé par la Croix-Rouge, le travail ne protège plus de la précarité : 20 % des utilisateurs des CHRS, d'un âge compris entre 30 et 50 ans, exercent une activité professionnelle. Ruptures familiales, familles nombreuses ou monoparentales, surendettement sont autant de facteurs qui précipitent les difficultés.
La précarisation touche enfin une nouvelle catégorie, peu connue des associations, celle des seniors. Avec des retraites qui stagnent ou qui diminuent, bien que disposant d'un logement et d'un revenu régulier, de plus en plus de personnes âgées n'arrivent pas à boucler leur budget. Au CHRS d'Avignon, elles représentent 20 % des demandes d'aide.
Cette dégradation de l'offre et de la demande a conduit le Secours populaire à lancer «un appel d'urgence à toutes les bonnes volontés pour mobiliser les gens de coeur qui souhaitent aider les enfants, les familles souffrant de la faim, dans le monde, en Europe et en France».
Les organismes distributeurs d'aide ont été reçus la semaine dernière, à leur demande, par un conseiller de François Fillon. «Nous attendons du Premier ministre, explique Marc Castille, qu'il mette à profit la prochaine présidence française pour lancer un vaste programme d'urgence européen. Pour le moment, le gouvernement semble pris par surprise devant le changement radical qui fait basculer la planète d'une situation d'excédent à une crise de pénurie.»
Avant que n'interviennent de nouvelles dispositions, les associations tentent de mobiliser les donateurs. La Croix-Rouge table en particulier sur sa traditionnelle quête nationale, qui se déroulera le samedi 17 et le dimanche 18 mai, pour recueillir les 7 millions d'euros supplémentaires nécessaires au simple maintien de ses actions en France. Des négociations sont aussi engagées avec la grande distribution pour organiser de nouvelles opérations chariot, avec le Secours populaire et la Banque alimentaire.
www.secourspopulaire.fr, www.restosducoeur.org, www.banquealimentaire.org, www.croix-rouge.fr.
Chronique des famines et des émeutes annoncées
«La situation est grave et on peut s'attendre à de nouvelles émeutes urbaines, estime le directeur adjoint du Programme alimentaire mondial (PAM), Gemmo Lodesani. Faute d'une rallonge de 1,4 milliard de dollars en plus des budgets prévus, «on va assister, pronostique-t-il, à de grands mouvements de populations à la recherche de nourriture et qui se mettront en danger de mort.»
Ce pessimisme semble aujourd'hui partagé par la plupart des observateurs, à commencer par les ONG. Président de Coordination Sud (qui regroupe les associations françaises de solidarité internationale), Henri Rouillé d'Orfeuil souligne que «la montée des prix met en difficulté les consommateurs urbains, comme le montrent les émeutes qui viennent de se dérouler dans les villes de nombreux pays (...) Il faut augmenter l'aide alimentaire d'urgence, mais en veillant à ce qu'elle ne ruine pas la revitalisation des agricultures locales».
Intervenant devant le Conseil de l'Europe, à Strasbourg, Bernard Kouchner a proposé d'« utiliser les fonds souverains gigantesques [fonds d'investissement créés par des Etats pour investir les revenus liés aux excédents de balances des paiements, NDLR] comme un fonds de réserve afin que l'agriculture nourrisse les plus pauvres». Pour le ministre des Affaires étrangères, «il faudra équilibrer entre riches et pauvres, c'est la globalisation. Il faut mettre sur pied des protections et un vrai développement des cultures alimentaires, alors que l'on comptera près de deux milliards d'Africains en 2050».
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