Exposition aux incinérateurs entre 1970 et 1990

Le surrisque de cancers est confirmé

Publié le 08/04/2008
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AU COURS des années 1970-1980, la France a eu largement recours à l'incinération pour éliminer les ordures ménagères dans des conditions d'exploitation beaucoup moins sévères que celles imposées aujourd'hui. Le premier incinérateur a démarré en 1972. Les premières études à avoir apporté des arguments en faveur de la possibilité d'un surrisque de certains cancers datent de 1996 en Italie et au Royaume-Uni. En France, la première étude écologique en population générale a été réalisée à proximité de Besançon par l'équipe de Jean-François Viel en 2000. Elle montrait un excès des cas incidents de sarcomes des tissus mous et de lymphomes malins non hodgkiniens dans les cantons exposés. Depuis, la réduction des valeurs limites d'émission de polluants dans l'atmosphère a été imposée (à la fin des années 1990). De même, le nombre d'usines d'incinération d'ordures ménagères (UIOM) a diminué de façon significative : 292 usines en 1985, 213 en 2000 et 130 en 2004.

Une association significative.

Toutefois, l'inquiétude persistante quant à l'impact des rejets d'incinération sur la santé des populations riveraines a conduit l'InVS, à la demande de la Direction générale de la santé (DGS), à lancer en 2003 une étude sur le sujet. Financée dans le cadre du plan Cancer, elle avait pour objectif d'analyser à un niveau collectif l'incidence des cancers en fonction de l'exposition passée aux rejets atmosphériques. Les résultats définitifs, qui viennent d'être publiés, confirment les données 2006 disponibles (« le Quotidien » du 1er décembre 2006) : il existe bien une association significative entre la survenue des cancers et l'exposition sur une longue durée aux rejets de l'incinération des ordures ménagères. Chez les femmes, le risque est augmenté pour les cancers toutes localisations confondues, les cancers du sein et les lymphomes malins non hodgkiniens. Ainsi, une exposition forte dans les années 1970-1990 est associée à une augmentation au cours des années 1990 de 6 % de tous les cancers féminins, de 9 % des cancers du sein et de 18 % des lymphomes non hodgkiniens. «La relation statistique entre l'exposition aux rejets des incinérateurs d'ordures ménagères et l'incidence, chez la femme, des cancers toutes localisations confondues n'avait pas encore été mise en évidence en population générale», indiquent les auteurs de l'étude.

Le sein, pour la première fois.

Pourquoi une telle augmentation seulement dans la population féminine ? «Nous pouvons faire l'hypothèse que les femmes, notamment dans les années 1970 et 1980, étaient plus sédentaires et surtout moins soumises que les hommes à une exposition professionnelle ou à certains facteurs de risque, par exemple l'alcoolo-tabagisme, ce qui a pu masquer l'effet de l'exposition aux fumées d'incinérateurs chez les hommes dans cette étude», expliquent-ils. Des différences hormonales pourraient également être en jeu (lien entre estrogènes et récepteur intranucléaire hydrocarboné aryl, Ahr, encore appelé récepteur de la dioxine, qui est impliqué à la fois dans le contrôle de la prolifération cellulaire et dans l'équilibre hormonal).

C'est aussi «pour la première fois en population générale» que l'exposition aux agents émis par les incinérateurs apparaît comme un facteur de risque de cancer du sein.

Chez l'homme, l'excès de risque n'est retrouvé que pour les myélomes multiples (de 23 % pour les niveaux d'exposition élevée), mais lorsque l'analyse porte sur les deux sexes réunis, un surrisque apparaît pour les lymphomes malins non hodgkiniens.

Des associations non significatives, mais proches de la significativité (seuil statistique de 5 %), ont également été observées pour trois autres localisations lorsque les données sur les hommes et les femmes sont analysées ensemble : les sarcomes des tissus mous, les cancers du foie et les myélomes multiples (surrisque de 23 %). Il n'a pas été mis en évidence d'association significative pour le cancer du poumon.

2,5 millions de personnes.

Compte tenu de l'importance de l'étude, 135 123 cas de cancers comptabilisés au sein d'une population de 2,5 millions de personnes sur une période de dix ans dans les quatre départements de l'étude (Isère, Haut-Rhin, Bas-Rhin et le Tarn), et de la qualité des données recueillies (registres des cancers ; méthodes performantes d'estimations de l'exposition passée), l'impact sanitaire des rejets atmosphériques doit être considéré. Il pourrait même être sous-estimé. En effet, le temps de latence entre l'exposition et l'apparition du cancer a été estimé dans l'étude à cinq et dix ans pour les leucémies et les cancers solides, en fonction des valeurs moyennes retrouvées dans la littérature. Cependant, des publications récentes évoquent des temps de latence encore plus longs, de quinze ou même vingt ans. «Si tel était le cas, tous les cancers induits par l'exposition aux polluants émis par les incinérateurs n'auraient pas eu le temps de survenir ou de parvenir à un stade détectable.» En regard de cette incertitude, on ne peut non plus «exclure que les expositions des années 1970 puissent encore aujourd'hui favoriser la survenue de cancers», font remarquer les auteurs.

Toutefois, il est important de souligner que, l'étude portant sur une situation passée, ses résultats ne sauraient être transposés au contexte actuel avec ses nouvelles normes. De même, un lien de causalité ne peut être déduit du lien statistique qui vient d'être démontré. Enfin, l'étude n'a permis d'identifier ni les substances ni les voies d'exposition en cause.

En conclusion, les auteurs estiment que l'excès de risque relatif est faible et qu'il ne justifie pas la mise en place de mesures particulières de prévention secondaire pour les populations déjà exposées (dépistage, précoce, suivi médical). Ils recommandent une large diffusion des résultats de l'étude.

Privilégier les alternatives à l'incinération

Tout ce que souhaite le Dr Jean-Michel Calut, un des 531 médecins opposés à l'implantation d'un incinérateur d'ordures ménagères au centre de l'agglomération de Clermont-Ferrand, c'est prendre au mot le président de la République. «Nicolas Sarkozy avait dit, au moment du Grenelle de l'environnement, que l'incinérateur devait être envisagé en ultime recours. Pour le Puy-de-Dôme, il y a des alternatives que le président de Clermont-communauté a déjà présentées. Nous voulons devenir une région exemplaire», explique le Dr Calut au « Quotidien ». Pour le médecin, qui bataille depuis plusieurs années contre l'implantation d'une usine d'incinération au nom du principe de précaution, les derniers résultats de l'InVS sont «encore plus inquiétants que prévus. On se souvient que, à l'époque des incinérateurs ancienne génération, les autorités administratives nous affirmaient qu'il n'y avait pas de risque. Aujourd'hui, il faut savoir que les nouvelles normes ne concernent que certains polluants. Or l'InVS n'incrimine pas un polluant en particulier, mais le panache en général. Les composés organiques volatils n'ont toujours pas fait l'objet d'études sur la santé. Par ailleurs, les normes de rejet actuelles ne correspondent pas à une réalité sanitaire, mais à la faisabilité technique du moment. Ce sont des normes fixées à la louche.»

Pour les médecins du collectif clermontois, tant que l'innocuité du système de combustion n'est pas démontré, le principe constitutionnel de précaution doit s'appliquer.

> Dr LYDIA ARCHIMÈDE > S. H.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8349