Des stratégies psychosocio-thérapeutiques
Le centre d'enseignement, de recherche et de traitements des addictions (CERTA) de l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), qui est inauguré aujourd'hui, propose sur un même site des modes de prise en charge adaptés à chaque patient, aux produits consommés et aux degrés de dépendance. L'Albatros, tel est son nom, dirigé par le Pr Michel Reynaud, réunit des consultations spécialisées, un hôpital de jour et 18 lits d'hospitalisation.
– Tabac (Dr Patrick Dupont) : l'unité s'adresse aux personnes hospitalisées et aux patients externes les plus dépendants, ou ayant des problèmes associés somatiques, psychologiques et socioprofessionnels. Elle offre des séances d'information aux fumeurs non désireux d'arrêter, des réunions de groupe de l'Alliance thérapeutique et d'évaluation pour les fumeurs disposés à l'abstinence, des consultations de suivi individuel, des accompagnements de thérapie comportementale et cognitive.
– Cannabis (Dr Amine Benyamina) : les protocoles de soins, prenant en compte les souhaits du patient, vont des simples conseils à des interventions thérapeutiques brèves faisant appel à une approche cognitivo-comportementale. En présence de signes de sevrage, tels qu'une anxiété ou des troubles du sommeil, voire, en cas de morbidités psychiatriques (dépression, psychose), une thérapeutique médicamenteuse est envisagée.
– Cocaïne (Dr Laurent Karila) : les abuseurs ou les dépendants au produit sont pris en charge sur le plan pharmacologique et psychologique, en consultation ou en hospitalisation.
– Alcool (Dr Sarah Coscas) : le sevrage thérapeutique constitue l'une des premières étapes du projet de soins. Comprenant systématiquement un bilan somatique, en particulier hépatique, il s'effectue soit en ambulatoire, soit en milieu hospitalier. Les soins se poursuivent en consultations, en hôpital de jour ou en postcure.
– Polyconsommations (Dr Henri-Jean Aubin) : l'hospitalisation est souvent indispensable, compte tenu des multiples complications somatiques possibles, de l'addition des signes de sevrage et de la nécessité de prévenir le risque majeur de rechute.
– Nutrition (Dr Christine Vindreau) : le service, qui prend en charge les troubles du comportement alimentaire chez les adultes et les adolescents, dispose de 16 lits à temps plein ou en hôpital de nuit et de 6 à 8 places en hôpital de jour. Grâce à des soins ambulatoires, certains patients peuvent conserver leur activité professionnelle, poursuivre leurs études et leur vie sociale et familiale. Le plateau thérapeutique assure également des activités sportives et manuelles, une médiation corporelle, ainsi que de la relaxation ou de la balnéothérapie. Des interventions familiales sont aussi organisées au décours des hospitalisations. En complément, l'unité d'hospitalisation (Dr Amine Benyamina) réalise des sevrages et des bilans de comorbidités psychiatriques et somatiques. Parallèlement, l'hôpital de jour (Dr Abdou Belkacem) aide le patient à maintenir son abstinence et à se réinsérer sur les plans familial, social et professionnel. De multiples formations universitaires, à la fois théoriques (DIU de tabacologie, DU d'addictologie clinique, DU adolescents cannabis et nouvelles consommations, capacité et DESC d'addictologie) et pratiques, sont proposées aux professionnels qui profitent en outre d'une aide au décrochage d'addictions (mission FIDES).
L'Albatros, «semblable au prince des nuées» selon Baudelaire, vise, «dans l'idéal, à une prise en charge globale», tient à souligner le Pr Michel Reynaud, président de la Fédération française d'addictologie. «A la différence des services de gastroentérologie et de médecine interne, il met en oeuvre des stratégies psychosocio-thérapeutiques. L'épidémiologie, la neurologie, l'imagerie et la sociologie en ont confirmé le bien-fondé.» Depuis ces cinq dernières années, la prise en compte des comportements individuels est au coeur de l'exercice des praticiens de l'addictologie.
Une mainmise socio- économique et culturelle
Chaque addiction renvoie à une histoire personnelle (vulnérabilité psychopathologique ou génétique). Nombre de dépendances sont facilitées par une société plus ou moins pourvoyeuse de produits à risque, relève Michel Reynaud. «Si la modification de l'image de la cigarette, associée à des hausses de prix conséquentes, réduit le tabagisme masculin, il n'en est rien en ce qui concerne l'alcool, catalogué “bien culturel”.» La moitié de l'alcoolisme français serait un alcoolisme d'entraînement, c'est-à-dire porté par la vie sociale. Ainsi les «ivresses répétées, banalisées, valorisées» de la jeunesse, auxquelles 10 % des 17-30 ans s'adonnent plus de dix fois par an. En matière de prévention alcoolique, la France se situe, parmi les 30 pays les plus développés, au 27e rang. Pour les drogues illicites, le «marché» (la société) a ouvert les vannes du cannabis et de la cocaïne à partir des années 2000. De 60 à 70 % des 15-30 ans ont expérimenté le cannabis, 20 % en fument régulièrement et de 5 à 10 % souffrent de dépendance. Pour la cocaïne, les chiffres ont triplé entre 2002 et 2006, avec 6 % d'initiés et 1 % d'usagers réguliers, les prix ayant été divisés par quatre. Les jeux, le sexe, le sport, l'alimentation, qui produisent des addictions comportementales, elles aussi nourries par «un dérèglement des mécanismes de gestion du plaisir et des émotions», n'échappent pas à la mainmise socio-économique et culturelle, poursuit le spécialiste. «Ici, la Française des jeux multiplie par deux ses bénéfices, là, les jeux d'argent et le sexe en ligne envahissent les ordinateurs. Les sports extrêmes (moto, glisse, sauts en parachute et à l'élastique) ou d'endurance (jogging, marathon), largement promus, s'invitent également au rayon des “leurres pharmacologiques”, apaisants comme l'alcool ou addictogènes à l'instar du tabac, de l'héroïne et de la cocaïne.» «Toutes les drogues sont des leurres pharmacologiques agissant sur les récepteurs qui modulent la stimulation dopaminergique», la caractéristique des substances ou activités addictogènes étant d'engendrer un grand plaisir puis une grande descente. C'est dire que la tâche des thérapeutes se voit en permanence contrariée par une société qui, si elle ne légalise par certains produits, facilite les dépendances, déplore Michel Reynaud.
L'importance du contrôle parental
A défaut d'une société sans mal-être et sans drogue, le rôle éducatif des parents semble constituer l'unique bouée de sauvetage. Marie Choquet, chercheur INSERM/Paul-Brousse (unité Santé de l'adolescent), vient de faire une analyse de l'enquête ESPAD 2003 sur l'usage de produits psychoactifs chez 18 500 lycéens et collégiens français, d'un âge moyen de 15,4 ans, qui met l'accent sur l'importance du lien éducatif familial. Lorsqu'il y a contrôle parental – les parents savent où se trouvent leur enfant le samedi soir –, le risque de consommation d'alcool est deux fois moins élevé et trois fois moins pour le tabac et le cannabis, rapporte l'épidémiologiste*. Le risque de consommation de boissons alcooliques et de cannabis étant 50 % plus important chez les jeunes des milieux favorisés.
Le constat confirme la réflexion sur la psychopathologie et l'éducation du Pr Philippe Jeammet, qu'illustre le titre de son dernier ouvrage, « Pour nos ados, soyons adultes » (Odile Jacob, janvier 2008).
* Analyse publiée dans le bimestriel britannique «Alcohol and Alcoholism» de janvier-février 2008. L'enquête ESPAD, quadriennale, est menée dans 35 pays, dont les 27 de l'Union européenne, moins l'Espagne, la Turquie et 7 autres pays de l'Est. Le sociologue-épidémiologiste suédois Hibell la coordonne. La prochaine, démarrée en 2004 avec la présence de la Suisse, sera rendue publique en juin. L'Observatoire français des drogues et toxicomanies la finance pour la France.
Inquiétudes budgétaires
Le milieu des soignants appréhende des coupes claires dans le budgetdu financement sanitaire des addictions. Les 44 millions d'euros alloués aux soins hospitaliers en 2007 pourraient être réduits d'un tiers, tandis que les traitements non hospitaliers subiraient une amputation des deux tiers. Plus que jamais, les praticiens de l'addictologie craignent les aléas politiques et idéologiques des pouvoirs publics. Restrictions budgétaires et «tout-sécuritaire» sont dans l'air.
Repères
Un plan de lutte contre les toxicomanies 2008-2011, pour la mi-juin. 120 services d'addictologie, 250 réseaux de santé en addictologie (300 en tout en médecine de ville), un pôle addictions dans chacun des 26 CHU (contre 10 aujourd'hui*), une unité addictions au sein de l'institut des neurosciences (INSERM). Réaffirmation de «l'interdit républicain des drogues», «restauration de la parole prescriptive des adultes» (parents), campagne de communication grand public relayée par les associations familiales (UNAF), mobilisation-prévention dans les écoles.
Décès : le tabac, l'alcool, les substances illicites, les jeux et les médicaments détournés de l'usage tuent plus de 100 000 personnes par an.
Une circulaire du ministère de la Justice, attendue dans la semaine, permettra aux procureurs de la République de proposer aux juges de recourir au stage de sensibilisation sur les dangers des drogues (loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance). Il s'agit d'une «sanction pédagogique, aux frais de l'usager (interpellé) ne justifiant pas d'obligation de soins ou de sanction plus sévère».
Un plan européen 2009-2012, préparé sous la présidence française de l'Union européenne (juillet-décembre 2008), visera une coopération accrue des Etats membres, l'identification et la saisie des avoirs criminels, et un centre européen contre la cocaïne en Méditerranée.
Le budget MILDT en baisse de 26%, par rapport à 2007. Vingt-sept millions d'euros, plus 2 millions d'euros provenant du Fonds de concours drogue abondé par le produit de la vente des biens de trafiquants.
Soins : depuis le 24 janvier (décret), les centres de cure ambulatoire en alcoologie et les centres spécialisés de soins aux toxicomanes sont des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (loi du 2 janvier 2002).
* Paul-Brousse (Villejuif), Fernand-Widal (Paris), Angers, Dijon, Fort-de-France, Nancy, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Lille et Nantes.
La toxicomanie sans limite d'âge
Dans un document intitulé « Consommations de drogues chez les personnes âgées : un phénomène négligé », l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) rapporte que le pourcentage des 40 ans et plus traités pour une dépendance aux opiacés a plus que doublé entre 2002 et 2005, pour atteindre 17,6 % de l'ensemble des patients concernés. Une telle évolution s'expliquerait par des problèmes sociaux (soucis financiers), psychologiques (dépression) et physiques (troubles médicaux douloureux).
Vingt-sept pour cent des 55 ans et plus déclarent boire de l'alcool quotidiennement. Les plus de 65 ans consomment un tiers des médicaments psychotropes prescrits sur ordonnance, dont souvent des benzodiazépines et des analgésiques opiacés. «Des procédures de dépistage pourraient être introduites, particulièrement pour l'abus de médicaments», en agissant sur les «renouvellements de prescriptions ou prescriptions multiples», suggère l'OEDT. «Selon des estimations, le nombre de personnes âgées connaissant des problèmes liés à la prise de substances ou nécessitant un traitement des troubles associés à l'abus de ces dernières devrait plus que doubler entre 2001 et 2020.»
Aux Etats-Unis, le nombre de personnes de 50 ans et plus demandant une prise en charge pour usage de drogues illicites pourrait progresser de 300 % durant la même période.
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