«EN 1914, un blessé ayant un éclat d'obus dans le genou avait de fortes chances de mourir de la gangrène à Bordeaux ou à Nice; en 1915, on lui eût coupé la cuisse dans l'ambulance de l'avant et le blessé s'en fut tiré à ce prix; en 1916, on eût réséqué son articulation et il en eût sans doute guéri, en ankylose avec sa jambe raide à jamais. Enfin, en 1918, on eût conservé sa jambe et sa cuisse et l'intégrité presque absolue de la flexion de celle-ci sur celle-là» (Abram, 1919). En quatre ans de conflit, la médecine, dans l'horreur des tranchées, a effectué, par l'engagement massif du corps médical, de considérables avancées. En 1918, les armées françaises comptaient vingt fois plus de médecins qu'en 1914.
Avec les revers d'août et de septembre 1914 (Charleroi, Virton, etc.), tout avait commencé par une Bérézina sanitaire. L'état-major considérait le blessé comme un «matériel humain», dont il fallait au plus vite débarrasser le champ de bataille et ses accès. Pour appliquer la doctrine de l'évacuation systématique, point n'était besoin de faire appel à des médecins, des officiers régulateurs faisaient l'affaire, sans mesures de triage, avec des trajets lents effectués sur de longues distances. Il fallut la pression du Parlement pour que soit constituée, sous la houlette du médecin inspecteur général Paul Chavasse, une direction générale du service de santé, avec une organisation à proprement parler médicale : relève, évacuation, traitement, groupes de chirurgie de l'avant, ambulances automobiles, hôpitaux d'évacuation. Plus de 5 000 hôpitaux sont créés, avec 500 000 lits répartis sur 3 200 communes (200 000 en zone des armées et 300 000 en zone de l'intérieur), permettant l'accueil de 2 700 000 blessés évacués. Un officier de réserve, le Dr Maurice Marcille, fit accepter à grand-peine le principe d'une salle d'opération transportable sur camions et remorques automobiles, pour prendre en charge les blessés graves, avec un environnement chirurgical moderne. Une remorque de campagne assure la stérilisation, le chauffage, l'éclairage et la radiologie, avec une tente intégrée. Elle devient en 1915 un véhicule appareillé, l'autochir. En 1915, la Société de chirurgie de Paris prend l'initiative d'une campagne de presse pour appuyer la généralisation de son emploi et assurer ainsi l'accès aux armées de véritables salles d'opération correctement équipées. Par voie routière, on totalise 10 679 945 évacuations médicales. Côté ferroviaire, 183 trains sanitaires sont équipés, avec 48 personnels et 2 médecins à bord, composés de wagons couverts qui peuvent accueillir 12 blessés couchés sur deux étages de brancards ; 4 988 663 évacuations seront comptabilisées. L'aérochir (avion radiochirurgical) prend son envol en 1917, avec aux commandes le Pr Pierre Duval, et 21 navires hôpitaux sont affrétés. Sur terre, c'est l'immense oeuvre des sociétés d'assistance de la Croix-Rouge qui prend en charge des centaines de milliers de blessés et de malades.
L'Institut Pasteur et Marie Curie mobilisés.
La science aussi se mobilise. L'Institut Pasteur développe la production de sérums et de vaccins, puis mobilise ses ressources pour élaborer des antidotes contre les gaz. Sous la conduite de Marie Curie, des équipages radiologiques mobiles sont répartis sur tout le territoire.
Psychiatres, neurochirurgiens, stomatologistes, oto-rhino-laryngologistes, ophtalmologistes, dentistes, aucune spécialité n'échappe à ce branle-bas médical. Quinze mille gueules cassées, des soldats défigurés par les combats, seront sauvés, qui vont rappeler durant des années aux Français l'horreur du conflit.
Pour produire et fournir thermomètres, prothèses, produits galéniques, des ateliers généraux du service de santé sont ouverts, dotés d'un service automobile indépendant ; une régie voit le jour, pour réguler les approvisionnements avec des magasins généraux que dirigent pharmaciens et officiers d'administration.
Au 11 novembre 1918, lorsque le silence retombe enfin sur les tranchées, le service de santé forme une impressionnante armée sanitaire, avec 223 791 personnels, dont 21 181 médecins, 5 732 pharmaciens, 137 000 infirmiers-brancardiers, 10 348 infirmières. Le corps médical, lui aussi, a été saigné : 1 353 médecins ont été tués, ainsi que 149 pharmaciens, 9 213 infirmiers-brancardiers et 72 infirmières.
« La Médecine militaire », sous la direction d'Eric Deroo, publié par le service de santé des armées, 232 p., 25 euros.
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