DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
Enclavé entre le Soudan au nord, le Kenya à l'est, la Tanzanie et le Rwanda au sud, la République démocratique du Congo à l'ouest, et ouvert au sud sur le lac Victoria, là où l'aventurier britannique John Hanning Speke a, le premier, découvert une des sources du Nil (Nil blanc), l'Ouganda reste un pays pauvre. Si la croissance du PIB est de 5 %, 35 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté et le pays doit faire face à d'importants problèmes d'infrastructures.
Pourtant, il est considéré comme un modèle dans la lutte contre le sida. C'est le premier pays d'Afrique subsaharienne à avoir enregistré une baisse de la prévalence nationale du VIH chez les adultes. Après le premier cas identifié dans la région de Rakai au début des années 1980, l'épidémie s'est rapidement étendue pour atteindre une prévalence de 18 %, voire de 25-30 %, dans certaines zones urbaines en 1992, un pic suivi d'une baisse avec des taux ramenés autour de 6-7 % depuis 2000, période à partir de laquelle la prévalence et l'incidence de l'infection se sont stabilisées.
Prévalence stable depuis 2000.
«Il importe de noter que, dans une population à la croissance aussi rapide (taux global de fécondité de 6,7 pour une population de près de 30 millions d'habitants), un taux stable de l'incidence du VIH signifie qu'un nombre croissant de personnes contractent le VIH chaque année», souligne l'ONUSIDA dans son dernier rapport de décembre 2007.
Les Ougandais en ont conscience. Si le succès enregistré est à mettre au compte d'une volonté du gouvernement qui, dès l'arrivée au pouvoir du président Yoweri Museveni, en 1986, a mis en place un programme national de lutte contre le sida, alors que l'époque était au déni de la maladie, l'implication collective des personnes vivant avec le VIH, des organisations non gouvernementales, des groupements religieux, des professionnels de santé, dès les années 1990, a eu son importance.
«Nous ne pouvons pas nous contenter de cette success story », souligne Robert Ochai, l'actuel directeur de TASO, une des premières organisations ougandaises d'aide aux malades du sida, créée en 1986. «Près de 100000personnes bénéficient aujourd'hui d'antirétroviraux mais 300000 en auraient en fait besoin; si plus de 1 million d'Ougandais vivent avec le VIH, beaucoup ignorent encore leur séropositivité parce qu'il ne se sont pas fait tester», poursuit-il. L'organisation a été créée à l'origine par un groupe de 16 personnes, infectées ou non, pour lutter contre la discrimination, la stigmatisation et l'exclusion. Aujourd'hui, l'organisation compte 11 antennes dans tous le pays, dont un centre pédiatrique à Kampala, susceptibles de prendre en charge les patients, de les traiter par antirétroviraux ou contre les infections opportunistes. La plupart bénéficient d'une consultation de counselling et envoient des volontaires à domicile. Les notions de soutien psychosocial et financier (distribution de nourriture, paiement des frais de scolarité, aide pour une activité génératrice de revenus) sont importantes, tout comme la formation ou l'éducation. Celle-ci passe notamment par la création de troupes de théâtre et de musique animées par des personnes séropositives qui trouvent là un moyen de s'impliquer dans la lutte. Jane Florence Kaweesa, danseuse et comédienne, a découvert sa séropositivité à l'occasion d'une grossesse qu'elle n'a pas pu mener à son terme. Son mari, lui, était séronégatif et, neuf ans après, il l'est encore tandis qu'elle est désormais sous antirétroviraux. Son message aujourd'hui : «Utiliser le préservatif.» L'augmentation des couples sérodiscordants (la moitié des couples) est une des nouvelles figures que prend l'épidémie en Ouganda.
Les traitements n'ont été disponibles dans cette partie de l'Afrique qu'en 2004. Cependant, dès 2000, un groupe de chercheurs ougandais et nord-américains se sont réunis afin de pouvoir traiter tous ceux qui en avaient besoin. Après une série de rencontres, ils décidèrent de former The Academic Alliance for AIDS Care and Prevention in Africa. La seconde étape de leur démarche a consisté à trouver un lieu : «On ne traite pas le sida sous un manguier», explique le Dr Alex Coutinho, directeur de l'IDI (Infectious Diseases Institute). Impliqué dans le sida depuis le début de l'épidémie, spécialiste des campagnes de prévention et d'éducation, il avoue avoir perdu une dizaine de membres de sa famille. Après avoir participé en tant que directeur (de 2001 à 2007) à l'extension des programmes de TASO, il a rejoint l'institut en octobre 2007, succédant au premier directeur Keith Mac Adam, un spécialiste de médecine tropicale. L'Institut des maladies infectieuses, un bâtiment de brique rouge attenant à l'hôpital de Mulago, construit grâce au soutien financier du Laboratoire Pfizer, est la solution proposée par les membres de l'Alliance pour offrir des programmes de prévention et de soins de qualité soutenus par de la recherche et de la formation ; un laboratoire accrédité par le College of American Pathologists assure le suivi biologique. Centre de référence, un des premiers de la région d'Afrique de l'Est, il fait partie de l'université de Makerere (Kampala) et a, depuis sa création, pris en charge 18 000 personnes, dont 8 000 sont décédées ou ont été perdues de vue et 6 000 bénéficient d'antirétroviraux. Dans la salle d'attente, les patients sont accueillis en musique : «Cela fait partie du traitement», souligne le Dr Andrew Kambugu, 35 ans, chef du département soins et prévention. Comme à TASO, un programme intitulé Creativity Initiative permet aux patients de s'exprimer à travers chansons, peinture, jeux de société, cuisine ou autres activités ; des projets de microfinances leur sont aussi proposés. D'ailleurs, ce ne sont plus des patients mais des «amis ou des clients», un changement d'appellation qui veut marquer les esprits : ils ne sont plus considérés comme passifs mais totalement impliqués dans la prévention et l'activité de soins. «Les mots sont importants», explique le Dr Kambugu. C'est aussi pour cela qu'il a proposé le terme de «changement de traitement», plus positif, plutôt que celui «d'échec thérapeutique» pour désigner l'une des réunions qui rassemblent chaque semaine les membres du staff médical. Quelques patients bénéficient déjà des traitements de seconde ligne (44 sur une cohorte de 3 300).
Contre la pénurie de professionnels.
La recherche clinique opérationnelle et la publication des résultats, un des points forts développés par l'institut, se concentre sur des problèmes spécifiques au sida en Afrique, comme celui du syndrome de restauration immunitaire (SRI) qui apparaît après introduction des multithérapies, lorsque les cellules immunitaires restaurées répondent de façon exagérée à un agent infectieux déjà présent dans l'organisme (tuberculose, méningite à Cryptococcus, sarcome de Kaposi), plus fréquent lorsque les patients sont diagnostiqués tardivement, comme c'est encore le cas. «Il est important de bien le comprendre car les patients et parfois les médecins eux-mêmes sont déconcertés car le malade est traité et il va plus mal», insiste le Dr David Meya.
La formation, une autre priorité de l'IDI, tente de correspondre au problème aigu du manque de personnel qualifié et formé en Afrique. Un ambitieux programme propose différents volets pour les médecins, mais aussi les pharmaciens, les personnels de laboratoire et les infirmières. Il porte sur le VIH/sida et le paludisme avec comme slogan : «Nous en formons cent, qui vont dans leur pays en former des centaines, qui, à leur tour, en formeront des milliers.» Plus de 2 100 participants de 26 pays africains, dont certains francophones comme le Mali et le Cameroun, ont ainsi été formés. L'institut n'est pas en reste puisque, désormais, grâce au programme, «quatre visites sur dix sont assurées par les seules infirmières ou la pharmacienne (renouvellement d'ordonnance) , les médecins ne revoyant les patients qu'au bout de trois mois si leur état est stable», se réjouit le Dr Kambugu.
Pour couvrir l'ensemble de ses activités, l'IDI bénéficie de 5 millions d'euros grâce à un partenariat public-privé avec des antirétroviraux fournis par le programme américain PEPFAR (24 %) et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la paludisme (69 %).
L'ouverture à la fin de l'année dernière, avec le soutien du laboratoire indien CIPLA et d'une entreprise locale de chimie, d'un laboratoire spécialisé dans la production de génériques (ARV) vient compléter la réponse ougandaise à l'épidémie. Il prévoit de fabriquer 2 millions de comprimés par jour, ce qui lui permettrait d'en fournir aux pays voisins.
Pfizer dans les pays en développement
L'Institut des maladies infectieuses de Kampala est l'unique projet de ce type conduit par le Laboratoire Pfizer. «L'Ouganda détient l'un des records de la lutte contre le VIH en Afrique et a fait montre dès le début de volonté politique pour faire face à l'épidémie, aussi bien en ce qui concerne le dépistage que les campagnes d'éducation et de prévention. Le gouvernement, y compris le président Yoweri Museveni, l'a reconnu comme un problème de santé qu'il fallait résoudre et non pas un problème moral ou je ne sais quoi d'autre», souligne le Dr Jack Watters, en charge des Affaires médicales internationales pour le groupe.
Parmi les autres programmes de Pfizer en Ouganda et dans les pays en voie de développement, on peut citer :
– Le partenariat Diflucan (fluconazole) : créé en 2000, il permet de distribuer gratuitement les médicaments pour le traitement des infections fongiques opportunistes, de même que du matériel d'éducation des patients et de formation des personnels de santé. Plus de 1 300 sites dans 59 pays en Afrique, en Asie, dans les Caraïbes et en Amérique du Sud en ont déjà bénéficié.
– L'Initiative internationale contre le trachome : fondée en 1998 avec le soutien de la fondation Edna McConnell Clarck, son objectif est d'éliminer l'affection qui constitue la première cause de cécité en Afrique. Elle peut être prévenue notamment par la chirurgie et le traitement de masse par Zithromax (azithromycine). Depuis son lancement, 74 millions de doses ont été distribuées dans 15 pays et 328 000 interventions ont été réalisées.
– Le programme Global Health Fellows existe depuis 2003 est un des premiers partenariats de ce type entre un laboratoire et des organisations à but non lucratif et des centres de santé. Des salariés volontaires peuvent choisir de s'engager pendant une période donnée en conservant leur salaire. Plus de 155 salariés depuis cinq ans y ont participé. «Tous ont été changés par l'expérience» et en ont retiré une nouvelle façon de concevoir leur métier.
Le manque de moyens d'un hôpital de district
L'hôpital Kawolo est un hôpital de district situé à Mukono, au centre de l'Ouganda, à 50 km de la capitale Kampala. Quelque 55 000 patients y sont accueillis chaque année pour une capacité de 100 lits, mais, «souvent, les malades sont plus nombreux que le nombre de lits. Dans ce cas, nous improvisons», explique le Dr Richard Bbosa. En consultations externes, 200 patients sont vus chaque jour. Et les pathologies sont multiples : paludisme, VIH-sida, infections respiratoires, mais aussi accidents de la route. L'hôpital bénéficie du programme Diflucan et les antirétroviraux sont distribués par la pharmacie centrale (National Medical Store). Contrairement au centre de Kampala, les ruptures de stock ne sont pas rares et, parfois, les patients sont obligés d'interrompre leur traitement. De plus, le laboratoire y est dans un état de vétusté tel qu'il rend difficile le diagnostic et le suivi des patients. Les médecins du centre n'hésitent pas à dénoncer le manque de formation des agents de santé, la faiblesse de la chaîne de distribution et le manque criant de moyens qui obèrent la qualité de soins. «Il faut faire plus», conclut le Dr Kiberu Joshua. Ce que reconnaît volontiers le Dr Zainab Ako, du ministère de la Santé.
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